Alexandre Sokourov

Moi aussi je voudrais le découvrir d'avantage, des belles choses en perspectives.

Pour faire semblant d'avoir relu tout le fil...

eXPie a écrit:

Personne n'a parlé de Moloch, ici... pour ne pas en dire du mal ? Il est visible, mais quand même pas mal surestimé, non ? (on va me répondre non )

Moloch (1999)

ça ne va pas être facile d'en parler, mais je peux dire que par rapport aux autres que j'ai vus il ne m'a pas moins impressionné, peut-être même plus (mais le souvenir du Soleil s'efface). Dans une atmosphère ouatée et coupée du monde, dans le nid d'aigle à Berchtesgaden quelques instants de la vie de Adolph Hitler, Eva Braun, du couple Goebbels et de Martin Bormann. Il ne s'agit pas d'une reconstitution historique. Dans la brume et le verdâtre les espaces sont étonnamment grands et c'est comme si on assistait à une comédie mythologique. Quelque chose de démesuré et méchant dans les farces et la comédie des attitudes, de soumission enjouée souvent, d'ennui puis de dégoût, et une grande solitude humaine. Il y a un rapport au mythe, d'où les apparences de mythologie pour "passer au travers", revoir le banal.

Il y a ces discussions épuisantes, construites pour meubler, pour représenter, pour exister, souvent folles et des moments d'absences, peut-être lucides.

J'avais des doutes au départ, l'aspect irrémédiablement construit, écrit, et surréaliste, le sujet, les personnages... et en fait ça fonctionne et la comédie humaine grave malgré les rires s'avère magnétique.

Il y a aussi quelques plans d'ombres totalitaires, l'impression de déformations, de postures insolites (personnages penchés). L'image/compression assez moyenne (ou franchement moyenne) du dvd n'empêche pas les sensations de textures (il est salement doué pour ça Sokourov, et on devrait d'ailleurs ajouter les textures sonores). Les superpositions ou mélanges et interactions de niveaux de sensations et de représentations sont très bien foutus et très efficaces. Et intéressants, c'est ça le principal. Le naturel d'une partie des échanges est confondant à côté de ceux plus ahurissants, abstraits.

Personnages usés, fatigués plus encore que complexifiés pour l'écran, il fait partie des réalisateurs qui ont su tourné autour de l'humain derrière l'histoire avec suffisamment de distance (et d'écriture) pour que ça marche, pour qu'on oublie aussi l'incarnation des figures historiques, c'est un film qui peut aborder l'histoire ou la vue de l'histoire et le phénomène totalitaire en évitant tout simplement de la jouer de trop près et surtout trop mal.

Une bande-annonce (pas mal foutue).

Vive Sokourov!

Francofonia

Tellement à la croisée des genres qu'on pourra risquer une étiquette comme "interrogation aux faux airs de documentaire et de fiction". Faux airs de reconstitution historique avec des incrustations et des costumes qui n'effacent ni l'apparence actuelle des lieux ni la circulation actuelle, ni les lumières actuelles. Faux airs de documentaire avec ce contrepoint du cargo dans la tempête et chargé de containers renfermant des œuvres d'art. Parallèle de la tourmente et de l'incertitude du devenir ou faut-il ajouter l'ombre d'une question marchande ? Un point de vue qui serait à mettre en face de l'oeuvre comme trophée de guerre, avec un Napoléon qui revient dans les salles du Louvre, cette constitution particulière des collections avant qu'une idée d'état ne se l'approprie (plus ou moins une Marianne) ou alors l'étrange hybride au centre du film à savoir une oeuvre entre les deux. Le contenu à la fois acquis et menacé de (nouvelle) main basse par l'envahisseur.

Mais les œuvres sont préservées, quelles sens ont-elles ou font-elles ? Qu'y a-t-il de force derrière le symbole ? Bizarrement, ou pas, un sentiment de temps révolu semble nous placer devant des œuvres qui ont perdu de leur aura. Ceci ne fait que motiver un peu plus la question de la part d'identité culturelle qu'il y a dans l'art. Façon aussi dans ce commentaire de glisser vers un point non moins important du film qui est d'essayer de nous faire appréhender une manière d'identité. La révision historique d'abord sur la France défaite (il faut reconnaître que l'on n'est pas vraiment habitué à voir les choses présentées si froidement), quelques échos d'ailleurs (le portrait serait si spécifique à l'Europe ?) et surtout la Russie négligée, rejetée alors que pour l'art Allemagne et la France au delà des individus (un Allemand, Franz von Wolff-Metternich, et un Français, Jacques Jaujard) se reconnaissent. On peut sauver le Louvre on doit détruire la Russie (bolchevique). La question piège (verbe).

Alors qu'on découvre le Louvre en dehors de certaines images des plus connues (même si) et qu'on se concentre pour suivre la narration du réalisateur et alors même qu'on a du mal à tout prendre trop au sérieux (les apparitions ne font pas forcément sérieuses, autre piège ?) on se retrouve face à un ensemble de questions que le réalisateurs donnent l'impression de ne pas trop précisément définir. Du coup il est bien difficile de se dégoter ses réponses, bon point qui en appelle aussi forcément à un ressenti d'une actualité "globale" de choc de cultures, de marchandisation, de perte d'identité, d'économie, et peut-être bien d'inaction.

Maniéré sans doute, frustrant c'est probable, pas systématiquement beau au sens où on aurait pu vouloir l'entendre (le voir surtout), demandeur d'une attention certaine pour n'en rester pas moins énigmatique... ça vaut, je pense, quand même largement le coup d'aller le voir. Pas assez "normal" pour qu'on éprouve pas de regrets à s'en priver et tellement dérangeant pour un film qui aurait pu se contenter de l'étiquette "tourné avec et au Louvre".

Ce n'est pas un Arche Russe bis (remarquez que je me souviens d'images mais pas du contenu de ce dernier).

Un commentaire qui donne diablement à réfléchir ! S'il passe dans mon coin je pense que je me laisserais tenter !

ça devrait te botter je pense (et d'autres aussi).

Merci Animal pour le commentaire.
Sokourov me tente depuis toujours.
Je veux bien aller le regarder.
Merci.

Francofonia

animal a écrit:

. (Et n'empêche Francofonia c'est à voir).

Tout à fait.
Certes c'est un film quand même bancal. Le bateau en perdition avec ses conteneurs pleins d’œuvres d'art des musées  dont je n'ai pas vraiment compris le sens, les deux lignes blanches sur la gauche qui m'ont donné l'impression d'être en pleine crise de migraine, la Révolution hallucinée qui ne sait pas trop ce qu'elle fait par là….

Mais il y a les images d'archives, excellemment sélectionnées, qui sont une histoire à elles  seules. Il y a le musée du Louvre et ses œuvres filmées de la seule façon dont on devrait visiter un musée :  gros plans,  éclairage, personne devant. Il y a cette histoire du Louvre sous l'occupation, à l'image vieillie, replacée dans sa perspective historique (avant-après), et qui ferait presque croire que résister c'est simple.  Les interrogations sur le sens de l'art et des musées. La pointe d'humour de Napoléon, le bureau de travail de Soukorov...

Un film dérangeant, instructif, plein de  questionnements, plein d'enseignements, beau et  étrange, malin et maladroit, dont ma vision a certainement bénéficié de la lecture simultanée, drôle de hasard,  de Suite française de Irène Némirovsky   et de Période glaciaire, de Nicolas de Crécy.

Je dois à l'objectivité de signaler que M. Topocl, toujours plein de nuances, me serine depuis hier de « ce film de merde », car, certes, je comprends que cela puisse déplaire…

mince, encore un coup à se faire traiter de koala.

c'est une film auquel je repense encore, atmosphère, doutes, même pourquoi pas ce bateau dans la tempête ou la marianne ?

La Marianne, je comprend même si je la trouve un peu éthérée. Mais le bateau, je ne vois pas trop le sens, et dans un film comme ça, je ne peux pas imaginer qu'il n'y ait pas un sens.

Pour moi avec ce bateau il y a plusieurs choses :

Un danger ou une menace matérielle qui persiste sur l'oeuvre d'art.

Et un des éléments utilisés pour mettre en jeu la question de la valeur de l'art. Ce qui fait écho avec les "trophées" de Napoléon qui ne sont pas encore des oeuvres d'art, renvoi évidemment au pillage des allemands mais projette aussi vers la marchandisation. Tout ça en ne délimitant pas les frontières habituelles et emmerdantes du problème : quand la pièce de musée devient-elle art ? quelle est la valeur de l'oeuvre d'art ? Ici pas de jugement esthétique qui viendrait condamner un genre, pas de jugement personnel. Pourtant la question est posée.

Plus loin c'est encore le rapport à l'accès et à l'ingestion de l'oeuvre peut-être dans une collection qui sera invisible au public ? On retrouve notre Marianne égarée de côté là je crois.

C'est improbable et terriblement mal foutu en un sens, néanmoins terriblement essentiel ?

Objet bizarre, difficile à identifier, mais qui interroge sur notre rapport à l'art..