Terrence Malick

Alors que nous aurons tous quitté notre belle planète bleue depuis belle lurette, ce film de Malick sera entré au panthéon des grands classiques ... lui décerner la palme d'or serait courageux, et permettrait d'alimenter une jubilatoire polémique, dont Malick se moque comme d'une guigne ... heureux poète !

traversay a écrit:

Je passe sur les images de la création du monde (un documentaire de National Geographic aurait eu le même effet) et oublie l'épisode du dinosaure qui écrase à moitié la tête d'un de ses congénères (hum).

Représenter la genèse n'est possible qu'en utilisant une imagerie familière qui peut faire penser à des photos documentaires façon National Geographic... à la différence de taille qu'il y ajoute des inventions visuelles étonnantes (merci Trumbull) et de toute beauté et surtout qu'il chorégraphie l'ensemble en choisissant des musiques symboliquement et esthétiquement très fortes. La confrontation des 2 crée une sensation d'hypnose assez stupéfiante. J'en avais pour ma part des frissons. Et en ce qui concerne les dinosaures, je trouve les images un peu trop synthétiques mais le premier plan avec cet animal éventré sur la plage est superbe et la scène du spécimen blessé mais épargné par le prédateur est très surprenante.

Pour moi le pompiérisme serait une représentation académique et aseptisée d'un lyrisme grandiloquent alors que j'ai vu des images aériennes, poétiques, subjugantes, au service d'un propos bien plus subtil que ce à quoi la plupart le réduisent. Kubrick aussi a été hué à l'époque de 2001 et c'est vrai que la comparaison entre les 2 n'est pas usurpée. La différence étant que Kubrick a une approche plus cérébrale et abstraite alors que Malick est un impressionniste dans l'émotion pure et dans une quête d'absolu esthétique et spirituel. Wagner aussi peut apparaître pompier en apparence mais quelle sublime beauté dans sa musique y compris dans sa démesure.

Le film me fait découvrir cet artiste serbe Arsenije Jovanovic dont je n'ai pas trouvé l'extrait utilisé dans le film mais cette vidéo qui aide à comprendre ce qui a attiré Terrence Malick dans son travail:



Les goûts de Malick en matière de musique contemporaine le poussent davantage vers les minimalistes comme Arvo Pärt (dans La Ligne rouge), Gorecki, John Tavener, Kancheli, David Hykes... Il avait envisagé Ligeti pour la partie cosmique mais il en aurait fait un décalque trop proche de 2001. Il y a une très belle cohérence dans le choix des standards classiques, romantiques ou impressionnistes de Brahms, Berlioz, Mozart, Bach, Smetana, Mahler, Respighi, et même Couperin, à des incursions plus modernes mais tout aussi nimbées de nostalgie, de spiritualité, de douceur élégiaque. Avec aussi ces moments menaçants dont parle Constance qui font appel à des musiques électroniques plus proches du New Age. C'est une des bandes originales les plus riches de ces dernières années (Scorsese avait fait du beau travail aussi sur Shutter Island, Lynch également dans Inland Empire).

Pour me faire plaisir... L'avis d'Eric Neuhoff qui est parfois à côté de la plaque et préfère le plus souvent des histoires bien scénarisées à l'abstraction. Mais il lui arrive d'entrer en transe pour des films comme "Le Bannissement" ou "Lumière Silencieuse" ... alors je suis content de l'entendre dire ça:

Moi aussi, pour le plaisir, Marko ... cette photo de l'extrait qui fait tant jaser, et que je trouve sublime par sa référence à notre animalité ... et, bon sang ! par quel miracle Malick est-il parvenu à créer cette lumière humide ?

Vu The tree of Life. Pas mal, mais pas enthousiasmant pour autant. Mallick fait de la belle image, c'est vrai. Mais je me suis dit qu'il devrait vraiment tourner des documentaires animaliers, des documentaires sur les bébêtes qui vivent sous l'eau, ou encore sur le surf (combien de plan filmés juste sous l'eau !). Ou, mieux encore, une pub Herta. Là, il serait très bon.
Bref, c'est beau, certes, mais quel est le sens de tout ça ?
Le dinosaure qui s'approche de l'autre, qui est blessé, lui met la patte dessus et l'enlève... avez-vous compris ce que ça veut dire ? Est-ce que, de même l'Homme découvre l'utilisation de l'outil chez Kubrick dans 2001, ici l'animal découvrirait la compassion ?

Plus globalement, pourquoi voir des animaux de la préhistoire ?

A propos de Kubrick, là on sent trop que Mallick "veut faire son Kubrick". Mais il y a une grosse différence : quand Kubrick montre des images de l'espace, il met globalement des musiques non religieuses, parce qu'il sait qu'il n'y a pas besoin de surligner. Mallick, lui, surligne terriblement : mettre de la musique ostensiblement religieuse alors qu'on a déjà bien compris de quoi il s'agissait, c'est redondant.
Chez Kubrick, la musique et l'image se combinent pour donner un sens différent ; pas là.
Et quant aux images de l'espace, il utilise tous les cliches du genre (la nébuleuse à tête de cheval, la nébuleuse de la Lyre - sauf erreur de ma part -, il manque peut-être la galaxie M31, mais sinon il aligne toutes les "stars" de l'astronomie).

Je n'ai pas bien compris, à un moment j'ai cru voir Brad Pitt avoir une crise d'épilepsie... avez-vous compris pareil ?

La scène vers la fin, la plage, tous les gens rassemblés, je l'ai déjà vu dans Lost. Déjà, dans Lost, c'était cliché et la "philosophie" était fumeuse. Ici, c'est plus beau, mais c'es aussi fumeux...

Mettre de belles images avec une voix off qui fait (je caricature) : "où vais ? Où es-tu mon amour ?", etc., c'est quand même terriblement facile...

Mallick est un grand réalisateur, mais si seulement de vrais scénaristes pouvaient travailler avec lui... Kubrick le faisait bien.

Bref, ce n'est pas un mauvais film, mais c'est vraiment un film de cinéma : éblouissement suffisant des images et de certaines scènes, qui font penser qu'on a affaire là à un vrai cinéaste, pour oublier le caractère confus et assez bidon du fond (il n'y en a pour ainsi dire pas).


Les scènes avec Sean Penn ne sont vraiment pas très bonnes.

Annexe 1
Nébuleuse à la tête de cheval :


Annexe 2
Publicité Herta

Ouhou t'y va fort de roquefort avec la jolie pub Herta ! Ahahahah !

Si Eric Zemmour avait été critique de cinéma, il n'aurait pas fait mieux, eXpie ... ... ne le prends surtout pas pour un compliment ...

eXPie a écrit:

Et quant aux images de l'espace, il utilise tous les cliches du genre (la nébuleuse à tête de cheval, la nébuleuse de la Lyre - sauf erreur de ma part -, il manque peut-être la galaxie M31, mais sinon il aligne toutes les "stars" de l'astronomie).

Il faudra que tu m'expliques comment tu représentes l'univers sans avoir recours à ces images connues (parce que l'univers est ainsi) de nébuleuses et de galaxies. Il n'est pas question, comme dans 2001, d'espace mental fabriqué par une entité extra-terrestre pour guider Bowman sous la forme d'un trip psychédélique. Il crée un poème visuel qui décrit la Genèse et ce qui est beau c'est la façon dont justement il ne le filme pas comme un documentaire de la BBC mais qu'il lui applique son style propre avec une fluidité incroyable (j'ai rarement vu un film aussi bien monté avec une telle légèreté. Tout semble s'enchaîner en un seul mouvement ascensionnel parfait. On ne voit pas les coutures). Douglas Trumbull cependant crée à certains moments des images inédites magnifiques qui sont comme des tableaux abstraits lorsque l'imaginaire peut reprendre ses droits (notamment vers la fin pour décrire une forme d'au-delà. Je ne parle pas de la plage nimbée de blanc bleuté).

Les musiques ne se contentent pas de surligner, elles induisent un sous-texte comme des leitmotivs (le rapport à Wagner s'impose vraiment pour moi) qui suggèrent notamment, et en même temps qu'une dimension spirituelle, une thématique du deuil à travers l'utilisation de la musique de Preisner (Requiem for my friend). C'est un exemple parmi d'autres. Il serait fastidieux de détailler toutes les musiques utilisées et dans quel but. Mais il y a un travail magnifique qui fait bien plus qu'illustrer de manière redondante.

Pour la pub Herta ( ) franchement tu pousses!! C'est justement toute la beauté du cinéma de Malick que de décoller bien au-delà de ces stéréotypes visuels et thématiques. Si tu ne vois pas la différence entre les 2 je ne peux plus rien pour sauver ce film

Pour finir, je pense qu'il y a un gros malentendu sur la dimension "spirituelle" du film et sa représentation. Peut-être que trop de spectateurs ne le regardent pas suffisamment attentivement mais les questionnements sont très ambigus. Malick a enseigné la philosophie à l'université et il a même traduit Heidegger. Et pour le peu qu'il me reste de souvenirs de mes cours de philo on doit pouvoir trouver pas mal de pistes de réflexion dans cette influence d'un ouvrage comme "Etre et temps". Comme début de piste on peut jeter un oeil à cet article: Dieu, L'être et la Nature, dialogue autour de Spinoza et Heidegger

Méchant eXPie
Cela dit, cette voix off, quelle plaie !

traversay a écrit:

Méchant eXPie
Cela dit, cette voix off, quelle plaie !

C'est amusant comme on peut ressentir les choses tellement différemment. Ce que j'aime avec ces voix off c'est qu'elles pourraient se confondre et ne faire qu'un comme autant de questions restées en suspens dans l'atmosphère et que Malick attrape au passage comme il capte des expressions, des émotions, des bribes de souvenir. Ces fragments me paraissent rendre compte bien davantage de la nature humaine qu'un récit standard unidimensionnel. Et je trouve bien que ces paroles ne soient pas trop élaborées ou littéraires parce que ça deviendrait justement artificiel et pompeux. Alors que les personnages expriment des choses simples et essentielles comme on en ressent à certains moments de notre existence. Elles contribuent aussi à ce rythme incantatoire comme si on assistait à une récit de tradition orale que les sorciers racontaient au coin du feu. Ces voix forment un chant qui entre en résonance avec le chant de la terre (Gustav Mahler est d'ailleurs cité musicalement). ça me plait beaucoup.

« Viens, esprit… Aide-nous à chanter l’histoire de notre terre » (Le Nouveau Monde)

eXPie a écrit:

Je n'ai pas bien compris, à un moment j'ai cru voir Brad Pitt avoir une crise d'épilepsie... avez-vous compris pareil ?

Je ne me souviens pas. Je te dirai après l'avoir revu.

Marko a écrit:

eXPie a écrit:

Je n'ai pas bien compris, à un moment j'ai cru voir Brad Pitt avoir une crise d'épilepsie... avez-vous compris pareil ?

Je ne me souviens pas. Je te dirai après l'avoir revu.

Ca passe très vite, la mère cache les yeux d'un de ses fils et l'emmène rapidement. C'est à un moment où il y a pas mal de scènes qui passent vite. On voit quelqu'un (Brad Pitt, je crois) allongé, les gens agitées de mouvements convulsifs (je ne l'ai pas rêvé ? je jurerais que je ne me suis pas endormi ).
Je n'ai pas compris ce qu'il cherchait à montrer, si ça faisait référence à quelque chose qui est perdu dans l'heure (au moins) qui est restée sur la table de montage, et qui fait que le rôle de Sean Penn paraît bancal, ou plutôt mal dessiné.

Marko a écrit:

Pour la pub Herta ( ) franchement tu pousses!! C'est justement toute la beauté du cinéma de Malick que de décoller bien au-delà de ces stéréotypes visuels et thématiques. Si tu ne vois pas la différence entre les 2 je ne peux plus rien pour sauver ce film

Pour finir, je pense qu'il y a un gros malentendu sur la dimension "spirituelle" du film et sa représentation. Peut-être que trop de spectateurs ne le regardent pas suffisamment attentivement mais les questionnements sont très ambigus. Malick a enseigné la philosophie à l'université et il a même traduit Heidegger. Et pour le peu qu'il me reste de souvenirs de mes cours de philo on doit pouvoir trouver pas mal de pistes de réflexion dans cette influence d'un ouvrage comme "Etre et temps". Comme début de piste on peut jeter un oeil à cet article: Dieu, L'être et la Nature, dialogue autour de Spinoza et Heidegger

Je pousse, bien sûr !

J'imagine qu'il y a plein de trucs très profonds (je n'ai pas fait beaucoup de philo, il me manque sans doute des clefs).
Mais bon, les scènes avec les dinosaures ne doivent donc pas être là juste comme ça pour montrer des scènes avec dinosaures... Donc, je me demande ce qu'elles signifient, on avait l'impression qu'un dinosaure va en tuer un autre, et puis non... Je ne vois pas.

Je suis d'accord avec Traversay, c'est un peu une plaie, la voix off. "Mère, je pense à toi" (ou autre chose), quand on a un travelling avant (au demeurant très beau, mais je ne peux m'empêcher de penser à la technique pendant ce genre de scènes) sur la Nébuleuse à tête de cheval... j'ai du mal. A moins d'imaginer un lien cosmique entre la mère et la nébuleuse (là, je pourrais dire que c'est nébuleux, ha ha, Traversay m'a contaminé).
A la fin du film, j'ai eu l'impression d'avoir vu un très beau film, mais il ne m'en reste qu'une impression esthétique, je ne suis pas du tout entré dans la dimension de questionnement intellectuel.
Pour moi, c'est un poème visuel.

Ceci dit, 2001, sans explications, j'avais un peu de mal aussi.

eXPie a écrit:

Ca passe très vite, la mère cache les yeux d'un de ses fils et l'emmène rapidement. C'est à un moment où il y a pas mal de scènes qui passent vite. On voit quelqu'un (Brad Pitt, je crois) allongé, les gens agitées de mouvements convulsifs (je ne l'ai pas rêvé ? je jurerais que je ne me suis pas endormi )

C'est vrai que la partie Sean Penn semble sacrifiée mais après tout on est dans sa tête pendant tout le film puisque c'est une plongée dans ses souvenirs.

Je me souviens d'une scène où la mère cache les yeux d'un des fils mais je ne sais plus pourquoi. A part le fait qu'elle veuille le préserver d'un de ses accès de colère...