Terrence Malick

Je n'ai vu aucun cliché dans le film de Malick. Je trouve même que c'est le moins "américain" de ses films (en tout cas comparé à Badlands et Days of Heaven voire même the New World), il est complètement intemporel pour moi et pourrait s'être déroulé sur n'importe quelle planète.

De même il ne raconte pas vraiment une histoire. Quand on me dit "ah oui Tree of Life" c'est l'histoire d'un père autoritaire" ou encore "Tree of Life ? C'est l'histoire d'une mère qui fait le deuil de son enfant", je ne suis pas vraiment d'accord. Enfin si c'est ça bien sûr, mais ce qui m'a surtout frappée c'est la déconstruction du film, le retour aux sources en somme. L'explosion d'images et de sons qui évoquent plus qu'ils ne parlent. Même chose avec les personnages, chez qui l'intéressant est surtout dans les attitudes, ou dans des gestes infimes (quelqu'un a parlé de la douce sérénité, que j'ai trouvé presque étrange d'ailleurs, du gamin qui joue de la guitare avec son père à côté au piano), même dans des regards (ceux de la mère sont éloquents). C'est un nouveau langage cinématographique, fin et subtil, tout en sensations. Rien vraiment à intellectualiser (exercice difficile de nos jours).

Je rapproche beaucoup ce film de ma découverte de la musique électronique. Cela m'obsède un peu ces temps-ci : revenir à une sorte de pureté de la sensation (mais ça ne veut pas dire grand chose dit ainsi, c'est maladroit). Tout comme il existe en littérature un idéal d'affranchissement des carcans du langage, j'aime (j'adore, j'adule !) le film qui s'affranchit des carcans du langage cinématographique. Pour cela, merci Terrence !

"Il y a assurément de l’inexprimable. Celui-ci se montre, il est l’élément mystique. Ce dont on ne peut parler, il faut le taire." (Wittgenstein)

Quel génie tout de même, celui qui réussit à se taire avec éloquence dans un film !

ça me fait penser aux peintres américains comme Andrew Wyeth ou Albert Bierstadt. Ce que je voulais dire c'est que les images sont majoritairement immédiatement identifiables (et américaines pour la plupart). Pour reprendre l'image du gamin qui joue de la guitare on se retrouve presque avec deux choses : l'harmonie de la scène filmée/montrée et une sorte de doute du au contexte anxieux du rapport au père doublé d'une probable situation de porte à faux (à ce moment du film) vis à vis du succès du frère. là je reconnais que ce n'est pas totalement linéaire comme vision.

Pour les visions nature et très en sensations je lui préfère par exemple Werner Herzog qui affirme le rapport pas clair à l'image.

Je vois ce que tu veux dire quand tu parles d'affranchissement d'un langage cinématographique mais je n'y crois pas vraiment, je vois plus ça comme un langage abouti (formellement surtout). Ce qui m'amènerait à dire qu'il dit peut être tout (le sien du moins).... mais je conçois le rapport et l'importance du principe.

l'abstraction momentanée n'est pas complètement commune mais elle existe, y compris avec un sens dans le cinéma non ?

d'ailleurs c'est amusant, a propos de Bierstadt :

Citation :

Though his paintings sold for princely sums, Bierstadt was not held in particularly high esteem by critics of his day. His use of uncommonly large canvases was thought to be an egotistical indulgence, as his paintings would invariably dwarf those of his contemporaries when they were displayed together. The romanticism evident in his choices of subject[3] and in his use of light was felt to be excessive by contemporary critics. His paintings emphasized atmospheric elements like fog, clouds and mist to accentuate and complement the feel of his work. Bierstadt sometimes changed details of the landscape to inspire awe. The colors he used are also not always true. He painted what he believed was the way things should be: water is ultramarine, vegetation is lush and green, etc.

source : wikipedia.org

animal a écrit:

Je pense qu'on est loin de Boonmee qui propose une atmosphère autrement plus concrète et moins simple.

le nombre de pages de ce fil consacrées à ce film me trouble.

J'ai bien précisé déjà 2 fois que la forme (et donc l'atmosphère qui s'en dégage) de Boonmee et celle de Tree Of Life sont radicalement différentes mais que le propos est relativement le même. Un individu qui cherche la paix intérieure à travers un voyage mental qui le place en communion avec la nature et le cosmos, son passé et même son avenir par une abolition de l'espace/temps. Une sorte de fusion qui s'apparente à une élévation mystique. Les 2 proposent aussi (et surtout) au spectateur une expérience sensorielle en forme de transe qui tient d' un bain amniotique. On y fait l'expérience de la mort et du deuil et on dépasse sa souffrance à travers ce qui s'apparente à une forme de renaissance (réincarnation ou fusion avec le cosmos). C'est la force de ces expériences et la profonde originalité du langage artistique créé pour y parvenir qui en font des films hors du commun à mon avis. Tree of Life nous fait entrevoir en plus des instantanés de vie pris au hasard du flux de la mémoire avec une "vérité" proprement sidérante. Chaque moment d'intimité capté est un petit miracle.


Le nombre de pages de ce fil témoigne du bonheur que ce film a pu procurer à certains et dans une moindre mesure (proportionnellement parlant) du rejet de ceux qui n'ont pas adhéré au propos ou même à la forme de ce film. Je suis heureux qu'un film aussi important ne soit pas rapidement expédié comme si c'était un produit de consommation banal.

Mais en définitive tu as l'air de l'avoir aimé quand même ce Tree of Life

(et après Animal se demande pourquoi il y a tant de pages sur ce fil... mais le voilà qui contribue à la machine... C'est une conspiration !)

Queenie a écrit:

(et après Animal se demande pourquoi il y a tant de pages sur ce fil... mais le voilà qui contribue à la machine... C'est une conspiration !)

Bon il faut quand même que j'y retourne une dernière fois avant qu'il disparaisse des salles et qu'il faille attendre 20 ou 30 ans pour le revoir en copie restaurée sur grand écran.

je tente une déviation en quelque sorte mais c'est incertain !

sensoriel je veux bien mais le reste fait un peu trop paquet cadeau : onirique, amniotique, transe et le tour serait joué. C'est vache de parler de hasard dans les "instantanés de vie" choisis. Tu pourrais tenter le forçage sensoriel par l'image travaillé d'une image(rie) commune à la rigueur. Et le miracle est un peu fort, c'est un des trucs un peu gênants à la longue. Il y a de la poudre à nuance sur le portrait de la mère dans les scènes où elle s'oppose au père (à son mari) mais les gros plans sont tous les mêmes : amour et félicité ou amour et chagrin*. Les images sont efficaces (avec la musique qui compte beaucoup) mais diablement limitantes.

dans le même genre (je me répète déjà) si les apparences collent a peu près avec "un voyage mental qui le place en communion avec la nature et le cosmos, son passé et même son avenir par une abolition de l'espace/temps" (bien que dans la chronologie à part les moments new age c'est scrupuleusement linéaire) on assiste plus à une lecture selon des codes définis théologiques, théoriques ou psy-quelque chose (le gamin dans le grenier face à son père qui voudrait rester enfant en faisant du tricycle en rond) d'une vie ou vie supposée qu'à autre chose. Ce qui diffère aussi du récit d'apprentissage, on suit le même type de parcours avec des évidences mais en rétroactif. (ce qui donne aussi un zeste de douce mélancolie).

* : marrant parallèle avec les images naïves de dinosaure échoué ou de bestiole toute gentille dans les bois. Surtout je ne vois pas l'originalité fondamental qu'il pourrait y avoir.

Parce que je suis en forme et pas réveillé (c'est possible) je repars sur Boonmee et la vision panthéiste. Chez Malick, au moins dans ce Tree of life on dirait que la vision panthéiste, du dieu omniprésent (d'où la compassion de dinosaure) rend la nature plus belle ce qui amène à des images en bigger than life (relativement répétitive). Un peu à l'inverse de la junglerie du thailandais ou on aurait une perméabilité de l'individu à la nature dans sa beauté et dans son cycle avec ce qu'il a d'inquiétant. A part l'adjectif 'sensoriel' c'est éloigné. Mais c'est l'adjectif qui rapproche de l'expérience cinématographique du film visible, à voir peut-être (bien que je pense qu'on peut vivre sans). Surtout bien fait.

Je ne le qualifierai pas volontiers de simple produit de consommation (contrairement à d'autres ) mais sorti du plus beau plus grand plus sensible (oui, le dernier s'apparente à une critique) il y a beaucoup de banalité dedans, aussi. Ce qui surprend beaucoup c'est le côté brut de fonderie de la vision complète religieuse (clinquante suis-je tenté d'ajouter), il y a quelque chose d'un peu brutal dans ce catéchisme, dans la certitude de l'exposé.

Eh ben là, je remercie Animal, qui met des vrais mots argumentés sur à peu près tout ce que j'ai ressenti en visionnant la moitié de ce film.

Et moi je remercie Abigail qui a su mettre les mots que je cherchais pour donner mon impression sur le film.

donc désormais nous avons nos mentors Queenie et moi.

darkanny a écrit:

Et moi je remercie Abigail qui a su mettre les mots que je cherchais pour donner mon impression sur le film.

donc désormais nous avons nos mentors Queenie et moi.

On touche à la Grâce ?

Je pense

animal a écrit:

Ce qui surprend beaucoup c'est le côté brut de fonderie de la vision complète religieuse (clinquante suis-je tenté d'ajouter), il y a quelque chose d'un peu brutal dans ce catéchisme, dans la certitude de l'exposé.

Etrange conclusion alors que je vois dans ce film tout le contraire. Ni catéchisme, ni certitudes. Mais je ne referai pas l'argumentaire déjà évoqué avec les autres.

Ce film reste pour moi une expérience bouleversante qui ne me donne en rien l'envie d'y "résister". Je ne vois pas d'arguments pour le faire d'ailleurs. C'est un peu comme on aime la musique ou une peinture. Il y a quelque chose qui s'impose (pour moi encore) dans la beauté, le mélange de force et de fragilité qui émanent de ce film. Et je ne pourrai jamais en rendre compte réellement completement par les mots. Tant mieux!

Badlands (La Balade Sauvage), le premier film de Malick, ressort le 15 juin en copie neuve restaurée (comme ils l'ont fait pour Days of Heaven). Je ne l'ai vu qu'en DVD et je suis impatient de le revoir sur grand écran:

Marko a écrit:

Badlands (La Balade Sauvage), le premier film de Malick, ressort le 15 juin en copie neuve restaurée (comme ils l'ont fait pour Days of Heaven). Je ne l'ai vu qu'en DVD et je suis impatient de le revoir sur grand écran:

Ah oui, j'ai vu la bande-annonce au cinoche ce matin... Et j'étais bien content de l'avoir déjà vu, le film (à la télé), parce que ce n'est plus une bande-annonce, c'est un résumé du film, enfin on voit des bouts de séquence du début jusqu'à la fin... sans voix off (pour un Terrence Malick, c'est un comble ! ).
Il y a quand même des gens qui ne l'ont pas déjà vu !

Il faudrait parfois se boucher les yeux avant le film.

eXPie a écrit:

Il faudrait parfois se boucher les yeux avant le film.

Je le fais souvent quand j'attends un film et que je veux en savoir le moins possible. Enfin je ferme les yeux et je me bouche les oreilles