Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Michael Haneke Mer 20 Juil 2011 - 9:51
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur Le Ruban blanc. Avec un peu de retard sur la plupart d'entre vous, je viens seulement de voir ce film. Je ne pense pas faire avancer le débat sur ce film, tant le nombre de choses qui ont été dites à son sujet est grand, mais j'avais quand même envie de vous faire part de mes impressions, et de faire le point avec moi-même quant à ce que j'ai retiré de la vision de ce film...
Je trouve ce film un peu particulier... Le réalisateur dit ne vouloir livrer aucune clé au spectateur pour la compréhension de son film afin de le laisser se faire sa propre représentation des évènements non résolus, alors qu’il me semble qu’il est totalement inutile de vouloir chercher les causes et les coupables des crimes commis dans ce petit village allemand. Je pense qu’ils servent simplement à véhiculer un sentiment de malaise et à placer le spectateur directement dans la peau des habitants du village en le laissant tout aussi déboussolé et désemparé que chacun d’entre eux. Dommage, du coup, qu’une grande partie du film veuille donner l’impression que ces crimes doivent être élucidés. Impression de mener un combat déjà perdu d’avance…
Derrière ses faux airs de thrillers sans révélation, Le Ruban blanc tire tout son intérêt dans la représentation d’une communauté réduite au sein de laquelle les liens entre les personnages, solidement hiérarchisés et noués de tout temps, forment un canevas étroit duquel il est impossible de trouver le moindre souffle de liberté. Ces portraits de villageois sans aucune emprise sur leur destinée personnelle, mais qui essaient toutefois de tirer leur épingle du jeu du mieux que possible, fait toute la force du film. Certaines scènes sont d’une finesse psychologique incroyable, et le jeu des acteurs l’illustre à merveille (je pense par exemple à la scène au cours de laquelle le jeune professeur veut emmener sa future fiancée en pique-nique au bord du lac, scène ponctuée par la terreur de la jeune fille qui s’imagine devoir transgresser des interdits contre lesquels on l’a trop longtemps prévenue). La violence surgit toujours là où on l’attend le moins et laisse une impression durable de malaise. Le Ruban blanc est le film de l’inconfort, avant d’être un film à thèse. La brutalité et la violence seules sont-elles incriminées ? S’il s’agit des caractéristiques principales de la société allemande à la veille des deux grandes guerres et de l’émergence d’une société totalitaire, le parallèle est vite fait. Mais que peut-on accuser aujourd’hui dans ce cas, alors que le totalitarisme a pris d’autres formes ? La pression sociale semble être dénoncée avant toute autre chose.
Michael Haneke n’a voulu fournir aucune clé à la compréhension de son film, et je n’ai donc pas particulièrement cherché à en trouver. J’ai apprécié ce film pour son ambiance et pour le jeu psychologique des acteurs. Quant aux questionnements politiques que certains voient à travers ce film, je préfère éviter de revenir dessus. Il me semble que la question, à la manière des crimes commis dans le film, est beaucoup trop complexe pour être élucidée en 2h30.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 9 Oct 2011 - 21:07
Je suis revenue sur un dossier consacré au Ruban Blanc paru dans le numéro 33 de Transfuge. J’ai lu un commentaire qui m’a semblé très pertinent. Décrivant ce que le journaliste considérant comme étant l’acmé de la violence dans ce film, il cite cette scène :
« Le médecin s’adresse à sa maîtresse : « Tu es laide, avec toi je ne peux plus, j’aurais pu prendre une vache, ça aurait été la même chose. » Cette scène définit le sadisme : un être s’acharne sur une victime jusqu’à nier son humanité, il la « chosifie ». Dans la lignée de la réflexion sur le fascisme menée par Pasolini dans Salo ou les 120 journées de Sodome, Michael Haneke analyse cette volonté de nier l’existence de l’autre. Or, la maîtresse du médecin reprend tout de même la parole : « Tu dois bien souffrir pour agir comme cela… », murmure-t-elle. Cette phrase prononcée par cette femme laide et mère d’un handicapé mental, qui sera bien sûr la victime du village, s’avère l’unique espoir du film. Cette femme a compris l’origine de la violence en voyant son amant sombrer dans le sadisme, et ce savoir pourrait venir rompre le cycle infernal de la souffrance. Car chez Haneke, si une lumière transperce l’obscurité, ce ne peut être que celle de l’esprit. »
Et dans une interview, Haneke parle de son intérêt pour la « Glaciation des sentiments », expression que je trouve toute désignée pour parler de son œuvre :
« Je pense que dans notre société, la capacité d’empathie s’est extrêmement réduite. Dans tous mes films, je montre que nous sommes de moins en moins humains les uns envers les autres. Mais je ne fais qu’utiliser ce constat d’un point de vue dramatique, je n’exprime ni regret ni enthousiasme pour cet état de faits. »
Une réflexion intéressante sur les différentes formes artistiques :
« […] j’adore la musique, reine des arts. Je l’aime car elle est dépourvue de concepts. C’est tout le problème de l’art : formuler les choses. Souvent, lorsque les choses sont réduites à des concepts, elles meurent. Dans la musique ou dans la peinture, c’est différent car il y a un échange sensuel. Mais la littérature ou le cinéma sont des arts du langage, il y règne le danger permanent de simplifier les choses. »
Enfin, je termine sur une dernière question posée dans cet interview et qui a fait écho à ma lecture récente du Château de Barbe-Bleue de George Steiner :
« Walter Benjamin écrivait que le monde en était venu à une telle aliénation qu’il trouvait « Un plaisir esthétique au spectacle de sa propre destruction », n’est-ce pas là une réalité très présente dans vos films ? Oui, c’est un constat que vous pourriez faire aussi face au succès des films catastrophes. Cette secrète attirance pour la fin de l’humanité est une immense industrie. Le malaise dans la société est compensé notamment par ce spectacle. Comme Wagner dans l’Anneau du Nibelung annonce sans cesse la fin tant désirée… C’est triste à dire, mais nous ne sommes pas une société heureuse. »
Cette interview n'est pas toute récente mais j'ai apprécié les propos tenus par Haneke. Peut-être aurais-je dû la lire avant de voir le Ruban blanc ?
alixe Espoir postal
Messages : 38 Inscription le : 28/09/2011 Localisation : luxoslavie
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 9 Oct 2011 - 21:23
Merci Colimasson pour cette interview intéressante et informative.
colimasson a écrit:
Peut-être aurais-je dû la lire avant de voir le Ruban blanc ?
On peut toujours le revoir et revoir...
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 9 Oct 2011 - 21:58
alixe a écrit:
On peut toujours le revoir et revoir...
C'est sûr, mais c'est dommage quand même !
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 9 Oct 2011 - 23:29
colimasson a écrit:
Je suis revenue sur un dossier consacré au Ruban Blanc paru dans le numéro 33 de Transfuge. J’ai lu un commentaire qui m’a semblé très pertinent. Décrivant ce que le journaliste considérant comme étant l’acmé de la violence dans ce film, il cite cette scène :
Cette phrase prononcée par cette femme laide et mère d’un handicapé mental, qui sera bien sûr la victime du village, s’avère l’unique espoir du film. Cette femme a compris l’origine de la violence en voyant son amant sombrer dans le sadisme, et ce savoir pourrait venir rompre le cycle infernal de la souffrance. Car chez Haneke, si une lumière transperce l’obscurité, ce ne peut être que celle de l’esprit. »
C'est très juste mais il y a d'autres séquences équivalentes comme celle où l'enfant vient faire un cadeau à son père pour le "consoler". Cette empathie lucide ou candide d'une mère ou d'un enfant est la seule arme contre le sadisme des pères auxquels ils tendent un miroir en leur permettant d'entrevoir au moins un instant qu'il y a peut-être encore une place pour le sentiment et la possibilité d'une trêve avec la haine de soi devenue haine de l'autre. Ce qu'on lit sur les visages de ces hommes à ce moment là est très émouvant. Malheureusement il est trop tard et le relais semble déjà passé. La frustration comme les humiliations ressenties par les enfants les ont transformés à leur tour en bourreaux. Et la victime expiatoire est forcément l'être le plus innocent.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Michael Haneke Lun 10 Oct 2011 - 21:41
Oui, c'est vrai que cette scène remettait en question beaucoup des valeurs portées par les "pères" de ce village. Et sa signification va bien dans le même sens que celle des paroles prononcées par la maîtresse du docteur.
Maline Zen littéraire
Messages : 5239 Inscription le : 01/10/2009 Localisation : Entre la Spree et la Romandie
Sujet: Le Château Jeu 17 Nov 2011 - 8:36
Hier soir j’ai enfin regardé le DVD du « Château » d’après le roman de Franz Kafka que Michael Haneke a mis en scène pour un téléfilm autrichien en 1997, le regretté Ulrich Mühe (La Vie des autres) joue K., le géomètre.
Haneke transpose le monde surréel de Kafka dans un paysage hivernal, austère et qui rappelle le décor d’une scène de théâtre. Il reste absolument fidèle au texte du roman, transposant le discours indirect en discussion entre personnages et ne coupant que de-ci et delà quelques tirades un peu trop longuettes. (J’ai regardé le film avec le roman sur mes genoux.) Une voix off – celle de Kafka - commente souvent ce qu’on peut voir à l’écran ce qui augmente encore la part du parlé dans ce film. C’est certainement une adaptation qui sert bien l’écrivain.
La caméra reste souvent fixée sur un visage d'acteur, ce qui augmente la ressemblance avec du théâtre filmé. Les longs travellings qui suivent K. dans sa quête à travers une neige profonde, sont aussi répétitifs.
Le jeu des acteurs est remarquable. Ulrich Mühe interprète K. tout en douceur même dans les scènes violentes. Susanne Lothar est l’image fidèle d’une Frieda telle qu’elle est décrite dans le roman.
Quelques scènes m’ont paru particulièrement réussies comme celle où K. se cache sous le bar pendant que Frieda nie l’avoir vu. Ou alors celle du réveil dans la salle de classe sous le regard incompréhensif des enfants.
Ce téléfilm est aussi respectueux du roman « Le Château » de Franz Kafka que l’adaptation de la BBC l’est du « Procès », il ne se compare pas au chef-d’œuvre qu’Orson Welles a tiré de ce dernier.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Michael Haneke Jeu 17 Nov 2011 - 23:12
Tiens donc, je ne savais pas qu'il avait adapté le Château. Pourrait être intéressant comme j'ai lu le livre... A voir !
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Michael Haneke Jeu 17 Nov 2011 - 23:22
La bande-annonce du Château, version Haneke (et sous-titrée ici en espagnol...)
Maline Zen littéraire
Messages : 5239 Inscription le : 01/10/2009 Localisation : Entre la Spree et la Romandie
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 20 Nov 2011 - 21:33
Merci, eXPie, je n'avais pas pensé de regarder du côté de YouTube.
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 5 Fév 2012 - 17:56
La pianiste
Une prof de piano quelque peu enfermée dans son existence et par sa mère très possessive succombe au charme d'un jeune élève qui lui même a succombé bien que ce soit un peu plus par jeu peut-être. Le hic est que l'enfermement de la pianiste lui donne une vie et des fantasmes un peu compliqués qui impliquent des rapports de force un peu extrêmes sur fond de gouffre affectifo-sécuritaire.
On est heureusement dans la bonne société et avec une certaine maitrise c'est sans surprise qu'est déroulée devant nous la spirale de la révélation du dérapage. Absence de surprise ou clichés ou personnages irréels et encore une petite tendance au racolage côté prof de piano dominatrice mais si brisée intérieurement, mais sans trop en dire, c'est subtil on a dit. Cela dit ça se regarde, sans intérêt intense, sans agacement trop intense (c'est la bonne surprise) et c'est incontestablement bien mené seulement... quoi à l'arrivée un super frisson et une méditation profonde sur l'art et le rapport masochiste à l'art et les problèmes de personnalités et d'absolus. Ou juste un film qui passe.
Magimel on dirait qu'il est doublé par Daniel Auteuil (la voix et la diction ?), Isabelle Huppert est malgré tout cantonnée à un stéréotype, et c'est peut-être la présence de Annie Girardot qui est la plus marquante bien que la plus distante.
ça ne doit vraiment pas être pour moi ces films de Haneke.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 5 Fév 2012 - 18:02
animal a écrit:
quoi à l'arrivée un super frisson et une méditation profonde sur l'art et le rapport masochiste à l'art et les problèmes de personnalités et d'absolus. Ou juste un film qui passe.
Oui, il ne m'en reste pas grand chose. J'ai eu l'impression qu'il cherchait à choquer le bourgeois. Il faudra que je jette mes deux yeux sur les bouquins de Elfriede Jelinek, pour voir s'il y a plus dedans.
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 5 Fév 2012 - 18:12
je comptais aussi regarder ce qu'on a sur le forum pour la partie papier.
j'ai du mal à ne pas le considérer comme un spécialiste du racolage facile.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 5 Fév 2012 - 18:23
animal a écrit:
je comptais aussi regarder ce qu'on a sur le forum pour la partie papier.
j'ai du mal à ne pas le considérer comme un spécialiste du racolage facile.
Oui, c'est clair qu'il adore ça ! Ensuite, en dehors du racolage, il peut quand même y avoir quelque chose dans ses films (on peut être racoleur avec talent). Mais c'est difficile de départager ce qui fait partie de la provocation gratuite d'une "vraie" dénonciation de quelque chose (la "dénonciation", ça a parfois aussi quelque chose de facile, genre donneur de leçons). A propos de Jelinek, sur Wikipedia, il est dit que Jacqueline Chambon avait arrêté de la publier "à cause des traductions qui devenaient de plus en plus lourdes, difficiles. [...] Enfin, l’agressivité permanente de ses livres me gênait. »" Je vais peut-être me lire une petite pièce de théâtre de Jelinek, pour voir.
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Michael Haneke Dim 5 Fév 2012 - 18:53
ah Jelinek, c'est un peu Duras sans l'alcool, une écriture hyper sèche, frontale, du Funny Games en littérature quoi. Presque illisible à force d'être dans la distance. Je n'ai pas lu La Pianiste mais le film m'a laissé un grand sentiment de malaise (ce qui voudrait dire que le racolage fonctionne sur shanidar, brrr), j'ai surtout aimé la musique, le côté viennois et en parallèle le sadisme violent des trois personnages principaux.