Jacques Audiard

Citation :

En effet, ce film pourrait être interprété à l'infini.

Oui, je crois que nous avons en donné un bel aperçu.

Citation :

Je me souviens de la scène dont tu parles, mais je n'ai pas remarqué qu'elle avait un caractère sexuel...

C'était juste une impression fugace dans le corps à corps entre les deux hommes. La violence n'est plus du tout présente à ce moment-là, on sent comme une complicité entre eux. C'est une belle scène justement qui donne un éclairage nouveau et tranche avec la violence des autres scènes de combat.

Citation :

Il faut dire que tout au long du film, j'ai surtout été soufflée par la proximité et les duels entre la vie et la mort. Chaque scène évoque son extrême précarité : c'est le film d'horreur le plus effrayant que j'ai jamais vu. Il m'a plongé dans l'instantanéité du moment (on pourrait aussi employer le terme de "pleine conscience" qui est en vogue en ce moment).

J'aime bien ce que tu dis. Effectivement, les personnages ne semblent pas se projeter dans l'avenir...

Citation :

Je pense que ça a fonctionné sur beaucoup de personnes. A la fin du film, une petite poignée de spectateurs semblait avoir du mal à marcher et plusieurs ont failli tomber en descendant les escaliers de la salle (avec les autres films ça ne se produit pas, bizarre...)

Merci pour cette anecdote savoureuse.

Il va y avoir, d'ici quelque temps, un remake américain du film Un Prophète (avec l'accord d'Audiard ; voir http://variety.com/2013/film/news/sony-to-remake-french-crime-drama-a-prophet-1200492761/ ).

De rouille et d'os

J'ai jeté un œil, et demi, hier soir. Premier film que je vois de ce réalisateur. Mmmmh il y a des trucs bien (à part les effets spéciaux), surtout dans les à côtés ou ce qui passe en à côtés, la famille en fait, les relations avec le gamin ou la sœur, les aspects "boulot" de ces vies. Les personnages principaux sont aussi intéressants par moment mais comme les particularités de leur relation ça se trouve noyé ou dilué dans un semblant de grandiloquence ou la multiplicité des thèmes à moins que ce ne soit simplement une recherche d'émotion (ou de sensationnel) un brin facile.

Pas vraiment emballé mais j'ai l'impression que les avis positifs sont influencés par les autres films, du coup j'en essaierai bien un autre un jour.

Dilué dans un semblant de grandiloquence ? Pourtant, ça parle pas beaucoup.

ben il manque presque plus que les combats de chien, les voitures volées, la drogue et quelques autres trucs. elle aurait planté des patates et il n'aurait pas faits de combats clandestins qu'est-ce que ça changeait vraiment ? (et il y a l'insistance technique (?) sur les jambes manquantes à l'écran qui m'a un peu gêné).

Exini a écrit:

Dilué dans un semblant de grandiloquence ?   Pourtant, ça parle pas beaucoup.

Comme dirait le pote Wittgenstein, ça ne parle pas beaucoup, certes, mais ça montre énormément.

Un film qui démontre plus que jamais les qualités et limites du cinéma d'Audiard.

La surface est séduisante avec une histoire en apparence complexe mais qui repose sur des artifices scénaristiques mélodramatiques assez classiques. C'est une histoire d'amour remplie d'obstacles que le spectateur souhaite voir se lever les uns après les autres. Ici le contexte est celui de l'immigration clandestine de tamouls du Sri Lanka fuyant la guerre civile.  Un homme, une femme et une enfant de 10 ans qui ne se connaissaient pas construisent artificiellement une famille pour obtenir le statut de réfugiés politiques. Les voilà débarquant dans une cité de banlieue parisienne en pleine guerre des gangs autour du trafic de drogue (pas super léger comme métaphore et prolongement des violences subies).

La force du film est dans sa mise en scène qui nous immerge complètement dans un cadre urbain anxiogène aux côtés de ces personnages qui ont une vraie densité. On s'attache à eux, on voudrait les voir s'aimer et trouver un refuge après toutes les misères subies. Toute cette partie est très vivante et captivante. La solidarité entre migrants, les difficultés d'insertion, le handicap de la langue...  Puis il y a une montée de violence dans la cité et Deephan doit faire des choix... On bascule dans un film d'action plus convenu même s'il y a une séquence impressionnante et forte dans un escalier. Audiard a un talent évident et on s'accroche au fauteuil. Mais j'ai trouvé cette partie trop lourdement symbolique et artificielle. On sent qu'il a voulu créer une escalade émotionnelle pour impressionner le spectateur et rapprocher ses héros. Cela peut procurer du plaisir mais ça n'était pas indispensable.

J'ai aussi aimé quelques courtes séquences oniriques qui se veulent donner une assise mythologique au récit et rappeler les origines de nos héros. Il y a un côté Apichatpong Weerasethakul dans la sobriété de ces images hypnotiques.

A l'arrivée le film montre que ce que vise Audiard dans tous ses films c'est de faire un cinéma populaire avec une certaine maestria visuelle et de raconter des histoires universelles en forme de contes par le prisme du réalisme et de situations sociales plus contemporaines. On peut adorer ce parti pris et y prendre beaucoup de plaisir. On peut aussi y voir beaucoup d'artifices et de clichés. J'y trouve les deux et je prends du plaisir  

Marko a écrit:

A l'arrivée le film montre que ce que vise Audiard dans tous ses films c'est de faire un cinéma populaire avec une certaine maestria visuelle et de raconter des histoires universelles en forme de contes par le prisme du réalisme et de situations sociales plus contemporaines. On peut adorer ce parti pris et y prendre beaucoup de plaisir. On peut aussi y voir beaucoup d'artifices et de clichés. J'y trouve les deux et je prends du plaisir  

Voilà une belle souplesse que je t'envie .

Par contre Palme d'or faut pas pousser!

Marko a écrit:

Par contre Palme d'or faut pas pousser!

C'est sûr.
Par contre, il y a ce que j'aime chez Audiard : il sait faire bien jouer ses acteurs. Tahar Rahim était très bon dans Un prophète, alors qu'ailleurs, euh... (dans Gibraltar, par exemple, je n'ai jamais cru à son personnage) et même Marion Cotillard était bien dans De Rouille et d'Os. Je ne sais pas comment il s'y prend, mais je le trouve très fort dans la direction d'acteurs.


Attention, quelques spoilers dans ce qui suit.

En fait, ce qui m'a un peu gêné dans Dheepan, c'est toute la partie guerre des gangs : je n'y ai rien compris, parce qu'on ne nous explique pas grand-chose. Est-ce pour montrer que le traumatisme de la guerre revient dans l'esprit de Dheepan ?
La scène de l'escalier est pas mal fichue, c'est vrai, mais je pensais sans cesse : "faut pas pousser". Terminator-Dheepan dans une atmosphère pleine de fumée (qui venait d'où ? de la voiture ? non, franchement...).
Donc : beaucoup de confusion vers la fin. C'est certainement fait exprès, mais je vois ça plus comme un aveux d'impuissance (mince, qu'est-ce qui va se passer dans mon film ?) qu'autre chose.

Et le message final (volontaire ? ou juste histoire de faire une fin ?) : la France, ça craint grave, il y a de la violence, du trafic. L'Angleterre, par contre, est un havre de paix et de sérénité. Avec ce genre de films, pas de doute, les réfugiés ou migrants traverseront la France pour rejoindre l'Angleterre coûte que coûte.

A part ça, on retrouve ce qui est finalement une obsession chez le réalisateur : la langue, la barrière de la langue, le problème de compréhension. Parler en n'étant pas sûr que l'interlocuteur comprenne, ou bien parler en pensant que l'interlocuteur ne comprendra pas. C'est le cas ici, mais c'était déjà le cas dans Un Prophète ; et on pourrait prolonger ça avec Sur mes lèvres, voire même avec De rouille et d'Os (communication gestuelle avec l'orque).

Je me suis aussi demandé ce qu'il voulait nous dire avec ce retour de la violence qui apparaît forcée et exagérée. Trauma de guerre bien sur mais justement cette violence urbaine lui paraît mineure et secondaire. Sauf peut-être quand son bonheur est à nouveau menacé.

Dheepan

Je n'attendais pas grand chose du film et mon avis rejoint les vôtres. Jacques Audiard sait valoriser des qualités de metteur en scène pour créer et soutenir une tension, une nervosité lors de chaque séquence. Il suit pas à pas l'itinéraire d'une famille qui doit se construire sur l'exil, le vide et une perte silencieuse. Toute période de doute, d'incertitude semble pouvoir se transformer en désastre et un danger omniprésent s'installe, tout comme l'angoisse d'une hypothétique séparation.

J'ai aussi trouvé que l'évolution du scénario représente une forte déception. Dès l'introduction du caïd joué par Vincent Rottiers, un équilibre se rompt et les scènes d'action, relativement hors-sujet, précipitent les personnages principaux vers l'arrière-plan en les réduisant à des silhouettes. La violence de Dheepan représente presque une forme de symbolique sacrificielle pour s'approprier enfin un rôle d'époux et de père, mais cet épilogue pompeux n'est guère convaincant.

Dheepan ne changera donc pas mon opinion sur le cinéma d'Audiard, avec des raccourcis, des artifices et des caricatures qui m'ont gêné malgré la portée du sujet abordé. Et sur un plan plus objectif, le choix de la Palme d'Or me laisse également perplexe.

Dheepan
J'ai été vraiment gênée aussi par ce happy end vraiment grotesque, dont l'aspect sentimentaloromantique avait été préparé par le cliché de l'amitié improbable entre deux solitudes, le truand traqué et la migrante déboussolée.
Ces réserves mises à part, j'ai plutôt aimé, et il m'a paru normal de ne pas tout comprendre puisque les héros ne comprennent pas tout. On sent aussi le désir de faire un cinéma "d'auteur" et d'exploiter le filon du gang pour montrer comme on sait bien faire.
Reste sans doute pour Audiard de savoir s'il veut tourner un film à l’hyperréalisme (enfin je suppose car ce n'est pas un milieu dont je peux dire que c'est bien comme ça que ça s'y passe, il ne me reste plus qu'à croire Audiard sur parole...) dur et violent, et la bluette sentimentale.