Lecture en commun - Stendhal : Le rouge et le noir

Chatperlipopette a écrit:

Et la description de ces jeunes titrés plus insignifiants les uns que les autres...et l'ennui de notre Mathilde (quelle femme derrière son côté chipie rebelle!) en listant ses possibles après un joli mariage. Comme l'amour d'un Julien lui apparaît plus attrayant car rempli de promesses d'un piquant certain!!

Oui, mais insignifiant parce qu'elle le dit, elle, Mathilde. On nous dit que certains ont beaucoup d'esprit, de la répartie... mais sont insignifiants.
Tandis que Julien, lui, a beaucoup d'esprit, de la réparti... mais n'est pas insignifiant. Tout ça parce qu'il n'est pas bien élevé, qu'il est moins policé, qu'il a un fond "peuple".
Plus qu'insignifiant, ils sont ennuyeux parce qu'ils sont prévisibles, et ils sont prévisibles parce qu'ils suivent les règles du bon goût.

Mathilde est déchiré : elle aimerait ruer dans les brancards, mais de temps à autre sa bonne éducation (quoi qu'elle en pense) reprend le dessus, et elle se dit "aimer un valet ?". Alors qu'un peu avant, elle trouvait ça plus excitant que si Julien avait été de bonne extraction.

J'avais omis cet aspect des choses: l'ennui du à la prévisibilité de ces pauvres jeunes gens, et l'intérêt suscité par le côté incongru de la présence d'un Julien, issu du peuple!!! Le croustillant du fruit défendu possède un attrait des plus tentateurs!
Mais d'un côté, pourquoi ne pas croire Mathilde quand elle considère ces galants insignifiants?

Cette société de la restauration qu'évoque Stendhal, est terriblement figée, et tout est codifié et prévisible. Le but est de maintenir en état, et en particulier les hiérarchies sociales, ne rien changer, ne rien déplacer. Et donc une personne comme Mathilde étouffe forcement.
Ce que représente Napoléon pour Julien, c'est en partie le mouvement, le changement, la possibilité de bousculer les valeurs et l'ordre social mortifère qui est en place. Ce qui les associe, entre autres, c'est une impossibilité de se trouver une place satisfaisante dans la société telle qu'elle fonctionne à leur époque. Julien parce qu'il est issu mauvaise classe sociale, Mathilde parce qu'elle est une femme.

Julien et Mathilde bien que d'un monde différent se ressemblent ; les mêmes inconstances dans les sentiments, ils sont tous deux méprisants, beaux, jeunes.

Je t'aime, je ne t'aime plus, c'est un valet, c'est un roi................................

(je ne sais si dans votre livre figure aussi cette info) :
"(Cette page nuira de plus d'une façon au malheureux auteur. Les âmes glacées l'accuseront d'indécence. Il ne fait point l'injure aux jeunes personnes qui brillent dans les salons de Paris, de supposer qu'une seule d'entre elles soit susceptible des mouvements de folie qui dégradent le caractère de Mathilde. Ce personnage est tout à fait d'imagination, et même imaginé bien en dehors des habitudes sociales qui, parmi tous les siècles, assureront un rang si distingué à la civilisation du XIXe siècle"

...........Maintenant qu'il est bien convenu que le caractère de Mathilde est impossible dans notre siècle, non moins prudent que vertueux, je crains moins d'irriter en continuant le récit des folies de cette aimable fille.


Chappy tu as raison, Mathilde est moderne !

Bédoulène a écrit:

(je ne sais si dans votre livre figure aussi cette info) :
"(Cette page nuira de plus d'une façon au malheureux auteur. Les âmes glacées l'accuseront d'indécence. Il ne fait point l'injure aux jeunes personnes qui brillent dans les salons de Paris, de supposer qu'une seule d'entre elles soit susceptible des mouvements de folie qui dégradent le caractère de Mathilde. Ce personnage est tout à fait d'imagination, et même imaginé bien en dehors des habitudes sociales qui, parmi tous les siècles, assureront un rang si distingué à la civilisation du XIXe siècle"

...........Maintenant qu'il est bien convenu que le caractère de Mathilde est impossible dans notre siècle, non moins prudent que vertueux, je crains moins d'irriter en continuant le récit des folies de cette aimable fille.

Dans mon édition Folio, oui, cela figure... Ce passage fait vraiment partie du roman, je pense.

Je continue. "En y pensant mûrement, elle avait décidé que c'était un être, si ce n'est tout à fait commun, du moins ne sortant pas assez de la ligne pour mériter toutes les étranges folies qu'elle avait osées pour lui. Au total, elle ne songeait guère à l'amour ; ce jour-là, elle était lasse d'aimer" (chapitre XIX).
Voilà qu'on risque de tomber dans les pages de je-t'aime-moi-non-plus, à jouer au yoyo.
Pour varier un peu, Stendhal introduit une conspiration, il y a des passages un peu longs... Stendhal le sent, ou fait mine, il s'en excuse presque.
Julien part en mission, il soupe avec du chocolat, et bien lui prend (on ne vantera jamais assez les vertus du chocolat, comparé au laudanum vineux), se retrouve à Strasbourg et rencontre, en la personne de Korasoff, une sorte de Tom Cruise dans Magnolia (le gourou du sexe). Il prend des cours.

Citation :

"L'air triste ne peut être de bon ton ; c'est l'air ennuyé qu'il faut. Si vous êtes triste, c'est donc quelque chose qui vous manque, quelque chose qui ne vous a pas réussi.
C'est montrer soi inférieur. Etes-vous ennuyé, au contraire, c'est ce qui a essayé vainement de vous plaire qui est inférieur. Comprenez donc, mon cher, combien la méprise est grave." (page 522 chez folio ; Livre II, chapitre XXIV).

Plus loin : "[...] rappelez-vous le grand principe de votre siècle : soyez le contraire de ce à quoi l'on s'attend."
C'est ce qui explique le yoyo des relations Julien-Mathilde.
De la même façon, on a : "Comme la manière de voir de madame de La Mole n'était jamais qu'une contre-épreuve des opinions de ce mari qui pouvait la faire duchesse, depuis quelques jours elle portait aux nues le mérite de Julien". (chapitre XXV).
A notre époque, c'est un peu pareil, des affiches publicitaires encouragent les gens à être différents de tout le monde, donc de porter massivement le jean Tartampion. A force de vouloir être original, les gens se comportent de façon naïve, enfantine, à qui il suffit de dire d'aller à droite pour être sûr qu'ils vont aller à gauche. Et font tous la même chose, en masse.
Bref. Korasoff-Tom-Cruise a fourni à notre héros un kit clefs en main de lettres à envoyer à une Maréchale, amie de Mathilde, pour attiser la jalousie de ladite Mathilde, qu'il faut par ailleurs ignorer superbement.
Lettres particulièrement ennuyeuses, longues et confuses, que Julien copie : "S'endormir en transcrivant une sorte de commentaire de l'Apocalypse, le lendemain aller porter une lettre mélancolique [...]" (chapitre XXVII). Amusant.
La page d'après (542 chez les folioïtes), on lit : "Comme tous les êtres médiocres que le hasard met en présence des manoeuvres d'un grand général, Julien ne comprenait rien à l'attaque exécutée par le jeune Russe sur le coeur de la sévère Anglaise" (les lettres, à l'origine, étant destinées à une quakeresse angleuse).

Le mot est lâché : Julien est médiocre. Ses propres jugements sur la médiocrité des autres sont donc (mais le lecteur le savait déjà) très relatifs.

Passons au chapitre XXIX. Julien continue son travail de sape, il se débrouille très bien, Mathilde admire son baratin à la Maréchale, elle sait bien qu'il ne pense pas un traître mot des livres, ou idées qu'il fait mine d'admirer. Par contre, aime-t-il vraiment la maréchale ?

Un matin, Mathilde entre dans la bibliothèque où Julien, seul, travaille. Elle se rend compte que Julien n'a pas ouvert une seule des lettre de la Maréchale, ça la perturbe, elle aime Julien, cela n'est plus possible, elle manque s'évanouir.
Mais il ne faut surtout pas que Julien lui dise qu'il l'aime encore, sinon, par esprit de contradiction, elle ne l'aimerait plus.
"Et en maudissant la caractère de Mathilde, il l'en aimait cent fois plus ; il lui semblait avoir dans ses bras une reine."
La preuve est faite : les hommes préfèrent les chieuses.
Ce n'est certes pas nouveau, mais les vérités sont parfois bonnes à dire.

Juste après, envolé lyrique de Mathilde : "Ah ! pardon, mon ami, ajouta-t-elle en se jetant à ses genoux, méprise-moi si tu veux, mais aime-moi, je ne puis plus vivre privée de ton amour. Et elle tomba tout à fait évanouie."

Ah, quel plaisir ineffable que l'avilissement ! Quel frisson ! Est-on chez Tanizaki ou Dostoievski ?

Et Mathilde qui dit (comme Julien l'avait pensé à propos de lui-même pas mal de pages précédemment) qu'elle est une grosse naze, tout ça. "[...] c'est moi qui ai plus de tort qu'on ne pourrait imaginer", pense Mathilde au chapitre XXX.

L'amour Julien-Mathilde ne peut passer, du fait de leur orgueil, que par un mépris de l'autre ou un mépris de soi-même. Parce que, aimer l'autre, ça fait mécaniquement se rabaisser. Si j'aime, c'est que je suis une grosse merde (pour parler vulgairement), j'ai un maître.

eh oui Expie, ils faut qu'ils se méprisent pour s'aimer et sont donc l'un et l'autre à la merci, d'une parole, d'un geste à ne pas dire, à ne pas faire.

A ce jeu là Julien devient habile.

Bédoulène a écrit:

eh oui Expie, ils faut qu'ils se méprisent pour s'aimer et sont donc l'un et l'autre à la merci, d'une parole, d'un geste à ne pas dire, à ne pas faire.

A ce jeu là Julien devient habile.

Ah oui, mépriser, chez lui, c'est presque une seconde nature !

Je crois tout de même que par éclair il voit parfois la vérité chez les gens.

Et finalement Mathilde m'agace plus que Julien, dans ces va-et-vient de sentiments.

Et toujours Julien est en butte avec les "moeurs" de l'aristocratie.

J'ai la sensation, eXPie que tu as une vive antipathie pour Julien et pour l'auteur, et que ce sentiment domine toutes tes impressions de lecture. Mais Stendhal arrive admirablement à faire vivre ce personnage, quels que soient ses travers et ses insuffisances, on ne peut pas dire qu'il nous laisse indifférent pour le moins. Et en filigrane, par petites touches, très légères, la tableau d'une époque, d'une société. Du grand art.

Pauvre Julien....Certes il est agaçant avec son orgueil brandi à chaque instant (parfois mal à propos mais cela fait partie du personnage et de sa grandiloquence) mais il faut s'imaginer la sclérose sociale et ses préjugés: la morgue des aristocrates de la Restauration devait être littéralement autant insupportable que ridicule! J'essaie de me mettre à la place de Julien: il est ambitieux car souhaite sortir de sa misère sociale, il ne souhaite aussi qu'une seule chose...être aimé! Seulement, à ses yeux, seule une réussite sociale peut le faire aimer et donc seule l'ambition et l'hypocrisie peuvent lui permettre d'y accéder.
Je n'ose imaginer l'ambiance des dîner Restauration...quoique....la morgue ses détenteurs du pouvoir économique, culturel et social est la même quelles que soient les époques. Aujourd'hui, les Julien doivent hanter les couloirs du pouvoir.
Malgré tout, je ne peux pas le détester ni le mépriser. Il est le produit de son époque et Stendhal jubile à appuyer sur les travers de son siècle par l'intermédiaire de ses personnages.
Mathilde s'ennuie tellement qu'il lui faut de l'adrénaline, se sentir en danger extrême (une réputation est vite sabrée dans ce bas monde) et l'aura plébéienne a toujours fasciné ces belle dames bien nées...les roses ont toujours besoin du fumier por s'épanouir et exhaler tous leurs sublimes parfums!
Je les aime ces deux-là, même si un "secouage de puces" leur mettait les idées en place.
Je suis d'accord avec Arabella: Stendhal dresse un portrait incisif, derrière l'humour et le cynisme, de son époque, de cette période particulière que fut la Restauration....on pensait que tout pouvait redevenir comme avant mais c'était un leurre, la Révolution bouleversa en profondeur la société française.

Arabella a écrit:

J'ai la sensation, eXPie que tu as une vive antipathie pour Julien et pour l'auteur, et que ce sentiment domine toutes tes impressions de lecture. Mais Stendhal arrive admirablement à faire vivre ce personnage, quels que soient ses travers et ses insuffisances, on ne peut pas dire qu'il nous laisse indifférent pour le moins. Et en filigrane, par petites touches, très légères, la tableau d'une époque, d'une société. Du grand art.

Euh, non, ce n'est pas de l'antipathie.
Disons que, à travers les extraits de son journal, Stendhal ne m'est pas très sympathique. Ensuite, bien sûr, l'oeuvre et l'auteur sont deux choses différentes. Même si on sent qu'il met beaucoup de lui dans Julien.
Julien ne m'agace pas comme le narrateur du Lys dans la Vallée, ou comme le héros de Manon Lescaut. Il sait mépriser les autres, c'est vrai, non ? Et ce qu'il ne supporte pas, c'est d'être méprisé.
Il m'amuse plutôt, en fait, Julien. On le comprend, il agit, il ne se plaint pas. C'est un battant.
Il a plein de qualités, en fait.
Et c'est un vrai personnage, comme Mathilde. La deuxième partie du livre est nettement plus intéressante que la première, qui m'a semblé globalement (pour l'histoire) un peu bateau, ou du moins plus convenu.

Je lis le livre avec intérêt, mais je ne le place pas dans mon panthéon. Les Affinités Electives, par exemple, m'ont parues nettement mieux (à titre de comparaison : là aussi, je partait avec un a priori, tout en essayant de le mettre de côté).

eXPie a écrit:

Je lis le livre avec intérêt, mais je ne le place pas dans mon panthéon. Les Affinités Electives, par exemple, m'ont parues nettement mieux (à titre de comparaison : là aussi, je partait avec un a priori, tout en essayant de le mettre de côté).

Moi cette troisième lecture m'a complètement fait placer Le rouge et le noir dans mon panthéon avec Goethe entre autres. Je tiens à beaucoup remercier Bédoulène, parce que même si je savais que je n'en avais pas fini avec ce livre, compte tenu des livres en attente j'aurais pu mettre un bon moment avant de m'y remettre. Et je crois que je n'en ai toujours pas fini. Mais je lirai en priorité d'autres romans que je ne connaît pas encore.

Je crois que nous apprécions la lecture, plus ou moins, mais ce livre ne laisse personne indifférent.

le lys dans la vallée aussi se déroulait pendant la Restauration, mais par contre les héros étaient tous aristocrates, il est normal que Julien éprouve des sentiments de méfiance envers eux.


je suis contente d'avoir relu ce livre car trop jeune je lisais gloutonnement, et là je savoure.

J'ai terminé, il y a quelques jours, "Le rouge et le noir"!!!! Une fabuleuse relecture qui m'a laissée, comment dire, ...sous le charme!
Aaaaaah les dernières heures de Julien!!! Aaaahhhh Mathilde embrassant le front de son Julien décapité! Aaaaaaahhhhh les deux amantes réunies dans la douleur!!!!
Les ultimes pages sont d'un romantisme que j'aime au plus haut point! Bref, un régal absolu!