Miguel Gomes

Tabou

Entendre trop de louanges entraîne-t-il trop d’attentes ? Avec le risque corollaire d’être un tantinet déçue ? Je ressors du film avec un sentiment mitigé, bien que je n’aie pas été non plus totalement insensible au film, plus séduite par la forme que par le contenu, trouvant la trame trop simpliste, l’histoire d’adultère étant abordée de manière trop classique. Trop de longueurs aussi, de manque de rythme, de pistes laissées à l’abandon, inexploitées (sans doute voulu par le réalisateur mais quand même frustrant), engendrant parfois un certain ennui. Voilà pour les points négatifs.

Passons maintenant aux points positifs. J’ai aimé les contrastes que présente le film tout au long du parcours : la vie/la mort, l’amour/la perte, les maîtres/les serviteurs, l’agitation des hommes/la placidité du crocodile mais aussi l’image nette de la première partie, contemporaine/le gros grain et les contrastes plus importants de la deuxième partie, africaine.

Le prologue sous forme de fable poétique qui annonce comme un clin d’oeil la deuxième partie du film est très réussie aussi, bien que déboussolante tant on ne comprend pas d’emblée où veut en venir le réalisateur. Une deuxième partie qui donne tout le sel au film quant à sa forme : un côté un peu kitsch dans le bon sens du terme, l’absence de dialogue pour mieux faire référence aux souvenirs du passé mais accompagnés des bruits de la nature, des chants et des danses sans oublier la voix-off du narrateur. Cette deuxième partie onirique possède une certaine grâce aussi légère qu’une bulle de savon qui malheureusement finit par éclater sur un scénario un peu trop mince pour convaincre totalement.

Un dernier mot quand même sur une des images fortes du film : le gros plan sur le sexe d’Aurora après avoir fait l’amour avec son amant, son ventre proéminent de femme enceinte des œuvres de son époux et la main de son amant posé sur cette partie du corps, germination de la séparation future des deux amants. Une scène forte chargée de symboles.

En conclusion, un film romantique, mélancolique et poétique au scénario un peu léger qui n’évite pas toujours l’ennui. Mais cela n’engage que moi, cela va de soi.

Marko a écrit:

Ce film est magnifique pour moi mais je comprends qu'on puisse avoir du mal à y entrer. C'est en tout cas du pur cinéma dans ce qu'il établit un pont entre la magie du muet et l'art contemporain plus expérimental.

Je crois savoir que Coline a adoré aussi et qu'elle doit même le revoir. Mais je la laisse nous en parler ... Donc il y a des filles qui aiment!

Et c'est un film on ne peut plus portugais dans l'âme avec cette nostalgie/répulsion ambigüe de l'héritage colonial. C'est tout le thème du film pour moi aussi captivant par son discours que dans sa forme narrative qui ne doit pas faire oublier le fond.

sentinelle a écrit:

Tabou

Entendre trop de louanges entraîne-t-il trop d’attentes ? Avec le risque corollaire d’être un tantinet déçue ? Je ressors du film avec un sentiment mitigé, bien que je n’aie pas été non plus totalement insensible au film, plus séduite par la forme que par le contenu, trouvant la trame trop simpliste, l’histoire d’adultère étant abordée de manière trop classique. Trop de longueurs aussi, de manque de rythme, de pistes laissées à l’abandon, inexploitées (sans doute voulu par le réalisateur mais quand même frustrant), engendrant parfois un certain ennui. Voilà pour les points négatifs.

Passons maintenant aux points positifs. J’ai aimé les contrastes que présente le film tout au long du parcours : la vie/la mort, l’amour/la perte, les maîtres/les serviteurs, l’agitation des hommes/la placidité du crocodile mais aussi l’image nette de la première partie, contemporaine/le gros grain et les contrastes plus importants de la deuxième partie, africaine.

Le prologue sous forme de fable poétique qui annonce comme un clin d’oeil la deuxième partie du film est très réussie aussi, bien que déboussolante tant on ne comprend pas d’emblée où veut en venir le réalisateur. Une deuxième partie qui donne tout le sel au film quant à sa forme : un côté un peu kitsch dans le bon sens du terme, l’absence de dialogue pour mieux faire référence aux souvenirs du passé mais accompagnés des bruits de la nature, des chants et des danses sans oublier la voix-off du narrateur. Cette deuxième partie onirique possède une certaine grâce aussi légère qu’une bulle de savon qui malheureusement finit par éclater sur un scénario un peu trop mince pour convaincre totalement.

Un dernier mot quand même sur une des images fortes du film : le gros plan sur le sexe d’Aurora après avoir fait l’amour avec son amant, son ventre proéminent de femme enceinte des œuvres de son époux et la main de son amant posé sur cette partie du corps, germination de la séparation future des deux amants. Une scène forte chargée de symboles.

En conclusion, un film romantique, mélancolique et poétique au scénario un peu léger qui n’évite pas toujours l’ennui. Mais cela n’engage que moi, cela va de soi.

A part le fait que je me suis un peu plus ennuyée que toi, tu exprimes parfaitement mon ressenti, sentinelle.

Traversay a écrit:

Un film qui plait aux garçon mais pas aux filles. Tiens.

Marko a écrit:

Ce film est magnifique pour moi mais je comprends qu'on puisse avoir du mal à y entrer. C'est en tout cas du pur cinéma dans ce qu'il établit un pont entre la magie du muet et l'art contemporain plus expérimental.

Je crois savoir que Coline a adoré aussi et qu'elle doit même le revoir. Mais je la laisse nous en parler ... Donc il y a des filles qui aiment!

Oui, en effet, je fais partie des filles qui sont tombées sous le charme de ce film élégant et mélancolique!
Sa séduction vient plutôt, comme quelqu'un le disait plus haut, de la forme que du fond.
Contrairement à Senti j'y suis allée vierge de tout écho de louange...J'ai envie de le revoir (j'essaie demain) pour mieux profiter, maintenant que "je sais", de la première partie déconcertante mais troublante d'emblée...

traversay a écrit:

Et c'est un film on ne peut plus portugais dans l'âme avec cette nostalgie/répulsion ambigüe de l'héritage colonial. C'est tout le thème du film pour moi aussi captivant par son discours que dans sa forme narrative qui ne doit pas faire oublier le fond.

Cet aspect colonial n'est pas en ce qui me concerne la thématique la plus importante, même s'il apparait par petites touches dans toutes les parties du film. Je parlerai plutôt de la perte, de l'absence et la solitude comme thèmes principaux. Et ce qui en reste : les souvenirs, qui nous appartiennent pour toujours.

pour le fond j'ai trouvé que la cohabitation à l'envers des deux parties entre un présent assez neutre voire un peu empêché de la première et le romanesque pas si limpide de la seconde, le dialogue qu'il peut y avoir entre elles avec ce que ça implique d'imaginaire et de souvenirs, est bigrement bien ficelée. (très très belle narration d'ensemble !)

Sentinelle a écrit:

Entendre trop de louanges entraîne-t-il trop d’attentes ? Avec le risque corollaire d’être un tantinet déçue ? Je ressors du film avec un sentiment mitigé, bien que je n’aie pas été non plus totalement insensible au film, plus séduite par la forme que par le contenu, trouvant la trame trop simpliste, l’histoire d’adultère étant abordée de manière trop classique. Trop de longueurs aussi, de manque de rythme, de pistes laissées à l’abandon, inexploitées (sans doute voulu par le réalisateur mais quand même frustrant), engendrant parfois un certain ennui.

Tout à fait d'accord là dessus. La forme je n'ai rien trouvé à redire, en soi c'est une réussite, l'émotion s'il y en a eu est restée chez moi visuelle. Quant au fond, le souvenir, la perte, l'amour etc, oui...ça charme toujours un peu cette nostalgie qui s'en dégage, ça se laisse voir sans déplaisir (je parle de la seconde partie, l'histoire du Paradis) l'effet de surprise marche effectivement dans la première (Paradis perdu) J'ai bien aimé aussi les contrastes, l'absence de dialogue, le récit que nous conte la voix off et que l'on écoute sagement en attendant un dénouement qui tienne

Spoiler:

Mais tout cela manque un peu de consistance. Senti le résume très bien

Citation :

Cette deuxième partie onirique possède une certaine grâce aussi légère qu’une bulle de savon qui malheureusement finit par éclater sur un scénario un peu trop mince pour convaincre totalement.

Tout ça pour dire que ce n'est pas que je ne l'ai pas aimé comme je le dis plus haut, plutôt que je ne comprends pas vraiment tous les éloges dithyrambiques dont il a bénéficiés. Sans doute est-ce un cinéma d'auteur réservé à une frange de cinéphiles possédant toutes les références, mais son impressionnant succés me laisse tout de même bouche bée.

Et maintenant je vais lire les florilèges de critiques proposées par traversay, ça m'éclairera peut-être...

Aeriale a écrit:

Sans doute est-ce un cinéma d'auteur réservé à une frange de cinéphiles possédant toutes les références, mais son impressionnant succés me laisse tout de même bouche bée.

.

Est ce qu'il a réellement un impressionnant succès? (je veux dire au delà de télérama et de cinéphiles comme tu les décris?)

topocl a écrit:

Aeriale a écrit:

Sans doute est-ce un cinéma d'auteur réservé à une frange de cinéphiles possédant toutes les références, mais son impressionnant succés me laisse tout de même bouche bée.

.

Est ce qu'il a réellement un impressionnant succès? (je veux dire au delà de télérama et de cinéphiles comme tu les décris?)

Un succès qui reste modeste dans le public d'art et d'essai.
Maintenant, c'est un film qui emporte ou pas. Même chose chez Malick ou d'autres.

je ne pense pas qu'il y ait un gros besoin de références ? (d'ailleurs je n'ai pas pensé références devant le film, sans doute parce que manquantes d'ailleurs).

et puis on peut trouver des cas inverses comme Tarantino avec lequel avoir les références fait empirer le résultat.

Aeriale a écrit:

Sans doute est-ce un cinéma d'auteur réservé à une frange de cinéphiles possédant toutes les références, mais son impressionnant succés me laisse tout de même bouche bée.

C'est plus une question de sensibilité que de références, non?
Traversay le dit très justement:

Traversay a écrit:

c'est un film qui emporte ou pas. Même chose chez Malick ou d'autres.

Des références...J'avoue que je n'en ai presque jamais (ou que je les ai oubliées, ma tête est une passoire). C'est pourquoi je me trouve de plus en plus nulle pour donner mon appréciation sur les films, elle est plutôt du genre "j'aime/j'aime pas". Souvent je ne me donne pas la peine de le faire. Je trouve que d'autres en ont si bien parlé avant moi que je ne vois pas quoi ajouter d'intéressant.
C'est sûr que si l'on possède "des références" comme tu le dis Aériale, on a accès à une dimension plus grande que les autres qui en sont dépourvus.
Mais faut-il pour autant bouder son plaisir d'aller voir un film, ou de lire un livre, sans connaissances préalables particulières? Je dis souvent que je ne comprends les choses qu'à travers ce que je ressens...Longtemps j'en ai fait un complexe, mais je trouve que ce n'est déjà pas si mal d'avoir une sensibilité qui puisse nous "donner accès à", nous faire dire "j'aime/j'aime pas" sur des sujets où peuvent débattre les initiés.
Je vais de moins en moins les lire "avant" (critiques professionnels ou amateurs éclairés) pour rester en possession de ma liberté d'apprécier ou non, sans conditionnement préalable. Je prends juste un peu "la température".
Lire ensuite ces critiques m'est un enrichissement et un plaisir...Même celles qui ne vont pas dans le même sens que moi. Et je ne m'en sens pas du tout blessée si c'est le cas.

Mais était-ce là la question?

PS: je ne peux malheureusement pas aller revoir Tabou (dernière séance) comme je l'aurais voulu. J'ai hâte de le revoir à la télé!

Je parle de références parce que la fille avec qui j'en ai discuté ensuite m'a dit qu'il y avait des rapports avec le cinéma de Murnau, elle avait l'air de dire qu'il s'adressait à une élite connaisseuse. Ca m'a fait sourire et j'ai pensé " surement des choses m'ont échappé qui me l'auraient fait apprécier davantage."

Je n'ai pas boudé mon plaisir non plus Coline, je trouve juste le film agréable par certains côtés (de la même façon que ce Alceste plus populaire qui n'a pas plu au parfumés) mais pas renversant au point d'obtenir 5 étoiles dans à peu près toutes les critiques cinématographiques (voir Allo Ciné et le lien transmis par traversay, topocl)

Pour ce film , certains ont une sensibilité différente qui nous a empêché "d'avoir accés "à cette part d'onirisme qui vous a tant plu, et tant pis, il y en a d'autres (de sensibilités) mais je dois encore noter que je l'ai vu sans en avoir lu la moindre critique, tout comme toi Coline, juste vu qu'il était parmi les préférés de l'année pour certains et c'est tout. D'où ma surprise.

Sinon, non ce n'est pas la question. Moi non plus je ne suis pas blessée et je ne pense pas qu'on ait pu vous blesser en vous disant qu'il ne nous avait pas emportés autant, ce serait quand même un peu bébête non?

Tiens, pour vous prouver que j'y ai tout de même été sensible quelque part, je joins cette photo qui me plait bien!

Aeriale a écrit:

Tiens, pour vous prouver que j'y ai tout de même été sensible quelque part, je joins cette photo qui me plait bien!

Sur le site des Inrocks, quelques images et un éclairage donné par Miguel Gomes:
clic

Et bien j'ai été scotchée dès la première image jusqu'à la dernière, et je le reverrais un jour, c'est certain. Complètement embarquée par ces images, cette façon de raconter des histoires sans en avoir l'air, toujours dans une sorte de second degré qui en même temps est tout de ce qui a de plus authentique. Et progressivement tout prend place, rien de gratuit dans les différentes parties qui se répondent. Le jeu subtil ente l'image et le texte de la deuxième partie est d'une finesse incroyable. C'est original tout en s'appuyant sur le passé du cinéma mais en se l'appropriant complètement. Une façon aussi d'aborder l'histoire tout court d'une manière inédite et tellement plus juste que les films reconstitutions. Un film dont le souvenir va longtemps me hanter et risque de me rendre très exigeantes pour les films à venir.

Arabella a écrit:

Et bien j'ai été scotchée dès la première image jusqu'à la dernière, et je le reverrais un jour, c'est certain.

Je suis impatiente de le revoir moi aussi...