Andreï Tarkovski

Avadoro a écrit:

Ce sera aussi mon cadeau (déjà hâte de découvrir L'enfance d'Ivan et de revoir les suivants, qui m'ont tous marqué à diverses périodes de ma vie) !

Nous voilà prêts pour un visionnage commun avec commentaires à la clé! Je trouve que Solaris a été un peu laissé de côté. Ce sera mon premier à revoir après les 3 courts métrages.

Marko a écrit:

Avadoro a écrit:

Ce sera aussi mon cadeau (déjà hâte de découvrir L'enfance d'Ivan et de revoir les suivants, qui m'ont tous marqué à diverses périodes de ma vie) !

Nous voilà prêts pour un visionnage commun avec commentaires à la clé!

Très bonne idée

Alors je commence avec L'Enfance d'Ivan.



Nous sommes en pleine deuxième guerre mondiale. Le jeune Ivan, 12 ans à peine, ne vit plus que pour venger la mort de sa mère, tuée par les allemands en allant au puits. Il rejoint le front russe pour servir sa cause, s’infiltrant au risque de sa vie à l'intérieur des lignes allemandes pour fournir de précieux renseignements.

L’enfance d’Ivan est le premier long métrage d’Andreï Tarkovski (1962) et tout l’univers du réalisateur est déjà présent dans ce premier film : l’enfance meurtrie, la mère et son absence, le deuil, la nostalgie et la perte de l’innocence, la nature sublimée, les scènes oniriques et des images de guerre (rappelons que Tarkovski avait 14 ans à la fin de la seconde guerre mondiale).

Mais ce qui frappe surtout est cette omniprésence de la matière liquide dans ce premier film et dans son œuvre en général : cette pluie qui purifie et qui peut sauver des vies humaines en effaçant les traces de pas laissées sur le sol pouvant trahir notre présence à l’ennemi, cette eau qui nettoie et désaltère les corps, cette surface réfléchissante tel un miroir, le marais comme passage entre deux rives, entre deux mondes, ce lieu d’entre-deux sur lequel on conduit son embarcation tel Charon conduisant les ombres errantes des défunts vers le séjour des morts.


Que nous sommes loin des films de guerre américains ! Pas de faits glorieux, pas de héros, pas de cascades impressionnantes ou de risques inutiles : l’attente, l’enfance sacrifiée, l’enfant vengeur devenu monstrueux malgré sa blondeur angélique, aussi sombre et maléfique que les événements qui ont précédé cette rupture, ce point de non-retour. Un enfant qui déstabilise, qui a déjà tout perdu que pour connaître encore la peur, un enfant qui pose question, à qui on s’attache malgré son étrangeté, un enfant qu’on voudrait protéger malgré lui. Un enfant déjà mort.


Je retiens aussi quelques images magnifiques comme cette forêt de bouleaux, ce lieu préservé et à l’écart de la folie de hommes, l’étreinte d’un homme et d’une femme au-dessus du vide d’une tranchée.

Présence déjà de la cloche en fonte, des chevaux, des icônes religieuses, des arbres, des ambiances crépusculaires et des miroirs et autres surfaces réfléchissantes.

Une première œuvre qui annonce le grand Tarkovski à venir, ce réalisateur construisant ses films comme autant de prières et de méditations sur la nature et la conscience humaine.

Plusieurs prix internationaux dont le Lion d'or à la Mostra de Venise en 1962.

Extra ton commentaire! Et une envie terrible de le revoir là tout de suite maintenant

Marko a écrit:

Extra ton commentaire! Et une envie terrible de le revoir là tout de suite maintenant

Merci ! Et dire que j'ai déjà envie de le revoir également, tant tout est dans tout, y compris dans les moindres détails. En regardant quelques photos du film, je me suis par exemple rendue compte que je n'avais pas vu cette ombre, ce miroir, cette toile etc bref il demande plusieurs visions tant il est riche sous ces dehors de simplicité et de lenteur.

sentinelle a écrit:

Marko a écrit:

Extra ton commentaire! Et une envie terrible de le revoir là tout de suite maintenant

Merci ! Et dire que j'ai déjà envie de le revoir également, tant tout est dans tout, y compris dans les moindres détails. En regardant quelques photos du film, je me suis par exemple rendue compte que je n'avais pas vu cette ombre, ce miroir, cette toile etc bref il demande plusieurs visions tant il est riche sous des ces dehors de simplicité et de lenteur.

Et je suis certain que je vais y découvrir mille choses non vues ou oubliées. Un cinéaste dont chaque vision est une redécouverte et comme un nouveau film tellement son univers et sa réflexion sont riches.

Je m’interroge aussi sur cette présence de cloche en bronze dans plusieurs de ses films : référence religieuse, appel au rassemblement, lien de communication entre les hommes mais aussi entre les hommes et les dieux, signal d'alarme ? Un peu de tout cela sans doute, plus bien d'autres choses qui doivent certainement m'échapper. Il est à noter que les cloches sont les plus vieux instruments du monde et sont présentes dans toutes les religions et civilisations, elles rythment depuis la nuit des temps la vie quotidienne des religieux mais aussi des profanes. C'est sans doute cette universalité là qui en fait un objet de prédilection pour Tarkovski, cet objet signifiant le retour à la civilisation ou du moins à ce qui y ressemble un tant soit peu. Dans L'enfance d'Ivan, il s'agit plutôt d'une sorte de relique d'une civilisation disparue en temps de guerre, dans Andreï Roublev, il signe plutôt le retour à la civilisation. Et la (re)naissance d'un homme aussi.

sentinelle a écrit:

Je m’interroge aussi sur cette présence de cloche en bronze dans plusieurs de ses films : référence religieuse, appel au rassemblement, union d'une communauté, lien de communication entre les hommes mais aussi entre les hommes et les dieux, signal d'alarme ? Un peu de tout cela sans doute, plus bien d'autres choses qui doivent certainement m'échapper. Il est à noter que les cloches sont les plus vieux instruments du monde et sont présentes dans toutes les religions et civilisations, elles rythment depuis la nuit des temps la vie quotidienne des religieux mais aussi des profanes. C'est sans doute cette universalité là qui en fait un objet de prédilection pour Tarkovski, cet objet signifiant le retour à la civilisation ou du moins à ce qui y ressemble un tant soit peu ?

Cloche également présente et hautement symbolique dans Boris Godunov dont il a fait une mise en scène pour Abbado. Une des oeuvres fondatrices de la culture russe et un symbole qui a une dimension autant spirituelle qu'intime. C'est aussi le nom d'une oeuvre importante de Rachmaninov ("Les Cloches")

«C’est parce que j’ai passé presque toute ma vie parmi les vibrations des carillons de Moscou, que j’ai réussi à faire vibrer les cloches des émotions humaines dans mes œuvres.»
Rachmaninov

En cherchant un peu j'ai retrouvé ce qu'il dit (Rachmaninov) des cloches dans l'imaginaire russe:

Le son des cloches d’Église dominait toutes les villes russes que j’ai connues : Novgorod, Kiev, Moscou. Les cloches accompagnaient chaque russe de son enfance jusqu’à la tombe et aucun compositeur ne pouvait échapper à leur influence … Cet amour des cloches est inhérent à chaque russe. L’un de mes meilleurs souvenirs d’enfance est associé aux quatre sons des grandes cloches de la cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod que j’ai si souvent écoutées lorsque ma grand-mère m’accompagnait à la ville lors des festivals d’Église. Les sonneurs de cloches étaient de vrais artistes. Les quatre sons étaient un thème qui revenait sans cesse, quatre sons qui pleuraient, au timbre argentin. J’ai toujours associé à ces sons de cloches la notion de larmes.

Super le commentaire ! J'y voyais une certaine universalité dans le propos, mais tu ramènes bien tout ce qu'il y a de typiquement russe dans cette référence

Ils parlent dans cette vidéo de ce lien entre Andreï Roublev et la mise en scène de Boris Godunov (ici avec Abbado) autour de la cloche (qui est présente autant au moment du couronnement que de la mort de Boris). C'est en italien mais on comprend l'essentiel...



On peut d'ailleurs voir le DVD de cet opéra comme une oeuvre supplémentaire de Tarkovski. Je ne l'ai jamais vu sur scène malheureusement dans cette version.

sentinelle a écrit:

Alors je commence avec L'Enfance d'Ivan.

Le Père Noël serait-il en avance cette année à Bruxelles?....

Merci pour vos commentaires...Il me faudrait regarder à nouveau mes vieilles cassettes vidéo...

coline a écrit:

sentinelle a écrit:

Alors je commence avec L'Enfance d'Ivan.

Le Père Noël serait-il en avance cette année à Bruxelles?....

J'avais une après-midi à tuer alors je me suis dis que papa noël ne s'offenserait pas de cette toute petite avance

Merci encore Marko pour ces compléments bien intéressants (même si mon italien me semble bien minable par rapport au tien, je ne vais visiblement pas assez à l'opéra pour en être suffisamment familiarisé ). C'est drôle d'ailleurs d'entendre pour la première fois la voix de Tarkovski alors qu'il parle... en italien

Un petit mot encore à propos des commentaires de Pierre Murat (12 min) : contrairement à ce qu’il avance, L’enfance d’Ivan n’a pas totalement échappé à la censure soviétique de l’époque sous prétexte qu’ils n’avaient pas compris le propos séditieux sous-jacent (voir le commentaire du directeur de la photographie Vadim Ioussov sur le même DVD). Peut-être effectivement ne l’ont-ils pas compris mais le fait que Khrouchtchev ait reproché au film de suggérer qu’ils aient pu faire usage d’enfants au front pendant la seconde guerre mondiale a suffit pour que les critiques de cinéma soviétiques n’aient plus osé commenter ce film. Du coup, L’enfance d’Ivan s’est contenté d’une sortie de seconde zone en URSS alors qu’il fut encensé dans les autres pays. Ceci dit, ce fut mieux que rien car il sera totalement censuré par la suite.

Je reviens également sur ses commentaires de la scène de « séduction » entre le capitaine Kholine (Valentin Zoubkov) et l’infirmière Macha (Valentina Malyavina) dans le bois de bouleaux. Pierre Murat parle de sensualité (fait suffisamment rarissime souligne-t-il dans le cinéma de Tarkovski) là où je vois plutôt quelque chose de bien plus insidieux, se rapprochant plus d’une certaine emprise et intimidation de la part du capitaine sur une infirmière qui semble bien plus proche de la biche effarouchée que de l’amoureuse transie. Bizarre de voir de la sensualité là où je vois plus de la peur et de l’inquiétude chez la femme, de la domination chez l’homme. Je serais curieuse de connaître votre avis à ce propos après votre prochaine vision du film.

Impression partagée pour le souvenir que j'en ai.

animal a écrit:

Impression partagée pour le souvenir que j'en ai.

A se demander où Pierre Murat a trouvé de la sensualité dans cette scène ?
Car contrairement au capitaine Kholine qui joue avec Macha comme un chat avec la souris, c'est bien le jeune lieutenant Galtsev (Evgueni Jarikov) qui en pince pour Macha. Il est certes très maladroit quand il s'agit d'exprimer ses sentiments mais c'est lui qui fait tout pour l'éloigner du camp afin de la préserver des dangers inhérents à ce genre d'endroit. Le capitaine s'en fiche quant à lui royalement. Il joue plutôt dans le registre de la séduction sous couvert de l'autorité mais certainement pas dans celui de la sensualité.

Comme quoi il ne faut jamais écouter religieusement les critiques de cinéma (ceci dit, je le savais déjà).
Il n'empêche que j'aime bien l'écouter dans Le masque et la Plume