Andreï Tarkovski

Cette image me rappelle un plan d'A travers le miroir de Bergman tourné un an avant en 1961. La séquence dans le bateau échoué. J'essaierai de retrouver cette photo.

L'image d'un enfant couché sous un arbre mort..
La condition humaine se paye, mais où est exactement le sacrifice? Celui de la raison?
C'est magnifique , on voudrait s'arrêter à chaque image tellement elles sont toutes travaillées. Il faut saluer encore une fois comme chez Bergman Sven Nykvist, tant les lumières sont belles.

Donc, dans le même DVD , un très bon document de Chris Marker qui parle de l'oeuvre de Tarkovski. Très émouvant au début, puisqu'il commence avec l'arrivée en France du fils et de la mère du cinéaste, qu'il n'a pas vus depuis 5 ans. Et qu'il ne va pas voir longtemps, il est déjà couché et à ses côtés on entrevoit Schwarzenberg , l'oncologue des célébrités de l'époque ( le commentaire est d'ailleurs dit par Marina Vlady) .
Il aura le temps de voir son film monté avant sa mort. .

Je profite de la sortie récente du film de Nuri Bilge Ceylan , Les trois singes, pour faire un pont entre les 2 cinéastes. Notamment avec Le Miroir qui est en partie à l'origine de la genèse des premiers films du réalisateur turc. Tarkovski n'en finit pas de faire des émules de grand talent avec aussi Reygadas et Zviaguintsev. Chacun ayant réussi malgré tout à s'affranchir de cette filiation et à développer son langage propre. J'aime bien l'idée que Tarkovski (et Bergman, Antonioni ou Bresson aussi) continue à vivre à travers eux.

Vidéo: In memoriam.Andrei Tarkovski

La maison d'enfance du réalisateur , filmée par ses soins en 70mm.

et dire que je me suis arrêté dans mes impressions à l'enfance d'Ivan... et que je vais attendre (demain ?) avant d'arriver à Solaris. et quelle chance de l'avoir vu juste après avoir lu Faust.

avant de revenir donc cette sensation magnifique ou magique (en abrégé) de sas ou passage provoqué par l'eau (et son bruit) et la végétation... la porte intime qui mène à l'être qui respire en nous. il y a des choses très très belles dans ce film, dans ce Cinéma.

en attendant la sublime séquence (pas longue du tout, voir les premières pages du fil) d'autoroute : clic

Solaris

On découvre un homme qui marche autour d'un petit lac... un homme et un enfant arrivent, la maison au part du lac abrite également le père, la tante et sans doute la nièce de cette homme. Cet homme a l'air éprouvé, et ils se connaissent, est venu avec un film, témoignage d'une mission sur Solaris par un pilote d'hélicoptère... un océan étrange et animé dont on ne sait pas grand chose, certains pensent à un gigantesque cerveau. cependant l'attrait pour la forme de vie extraterrestre supposée n'empêche pas que des années de recherches n'ont mené à rien. L'homme Kelvin, psychologue, doit partir sur Solaris pour y voir plus clair et mettre fin probablement au projet d'étude. Beaucoup de mystère, d'attente. Avant de partir il brûle de nombreux souvenirs.

adaptation d'une nouvelle de Stanislas Lem avec des différences mais lesquelles... et une référence appuyée à Faust. le côté science-fiction un peu kitsch n'est pas forcément intéressant, quoique les choix d'intérieurs soient efficaces et que le contexte permette de rendre réel certaines visions.

parce que sur Solaris, au lieu de trouver les trois derniers hommes présents sur la station, il n'en trouve que deux qui ont l'air franchement fou au milieu d'une station un peu abîmée. son ami Gibarian s'est suicidé tout en lui laissant un enregistrement. paranoïa ambiante et formes de vies imprévues... mais point d'alien ou de superordinateur pour traumatiser les étrangers... ce sont leurs pensées, souvenirs, "mauvaise conscience" qui prennent forme et vie à leur contact.

Pour Kris Kelvin c'est sa femme morte, suicidée elle aussi. D'abord le rejet puis la réflexion ou le questionnement. Mélange d'analyses et de sentiments. Et la compréhension (vaguement horrifiée) progresse... ces vies risquent la mort coupées de ce qui les pense. Une impressionnante découverte de l'autre qui surpasse violemment l'idée de la pensée égoïste... mais ce n'est pas si simple et l'apprentissage et l'indépendance se font... l'art apparait aussi avec les chasseurs dans la neige de Bruegel :


et ça apparait comme une des clés de la survie "seule" de cette femme/pensée, comme si les tourments mais d'abord l'essentiel étaient présents dans la peinture. et Tarkovski sait filmer la peinture, les détails et les mouvements. c'est merveilleusement beau.

on peut creuser loin, très loin dans les sensations et les réflexions sur l'amour, la culpabilité, le souvenir, le sentiment de soi et de l'autre (cet espèce de recouvrement des sentiments), cet éternel sentiment de "maison", plus encore que refuge, qui habite les films de Tarkovski... pour ne pas me perdre je vais utiliser la référence à Faust. Le choix de Kelvin est de mettre de côté la science pour laisser la place à l'amour (un peu comme le Faust donc). D'autant plus important qu'il s'agit de contact avec une altérité plus grande, si on veut. C'est le principe qui l'emporte mais pour qu'il l'emporte, en plus du message explicite, il y a tout le cœur du film. le retour épuisant de l'homme sur lui-même dans des demi songes, le nœud des souvenirs et la brutalité du présent, les pièges de la pensée. Et toujours le souffle, le toucher... et l'eau et les plantes qui sont un chemin de l'âme pour revenir à elle-même.


Deux parties assez tranchées dans le film entre la Terre et Solaris. Complexité et résolution ? la fin énigmatique du retour est d'une beauté qui ébranle...


et le lien pour les deux images (pour une fois que c'est pas choisi avec les pieds) : clic

musique sublime également.

extrait traumatisant

j'en oublie beaucoup, notamment les réactions des autres personnages et de cette Hari ressuscitée... excellent film qui se fait de plus en plus captivant.

animal a écrit:

adaptation d'une nouvelle de Stanislas Lem avec des différences mais lesquelles... et une référence appuyée à Faust. le côté science-fiction un peu kitsch n'est pas forcément intéressant, quoique les choix d'intérieurs soient efficaces et que le contexte permette de rendre réel certaines visions.

Pourquoi ne pas lire le livre, excellent et court ?

Merci pour cette remise en mémoire.
Ce film est un chef d'œuvre, il faut absolument que je le revoie.
Je n'ai pas compris pourquoi un remake...

Arabella a écrit:

Pourquoi ne pas lire le livre, excellent et court ?

faut mettre une patte dessus avant.

j'ai cru lire que son auteur n'avait pas tout apprécié dans le film ?

Arabella a écrit:

Pourquoi ne pas lire le livre, excellent et court ?

Mais c'est fait, voilà quelques décennies déjà.
D'ailleurs, vous avez raison, c'est peut être le moment de le relire...
De mon coté, je recommande les "Mémoires d'Ijon Tichy " ainsi que "Les Voyages électriques d'Ijon Tichy" dans une veine plus humoristique mais d'aussi bonne qualité.

Igor a écrit:

Merci pour cette remise en mémoire.
Ce film est un chef d'œuvre, il faut absolument que je le revoie.
Je n'ai pas compris pourquoi un remake...

Tout film non américain ayant eu du succès dit à un moment ou un autre est passé par la moulinette ricaine qui, seule, pourra donner une vraie dimension universelle au dit film, grâce à un bon nivellement vers le bas.
D'ailleurs, je suis étonné que Stalker n'ait pas été déjà remakisé. Paul W.S. Anderson, le réalisateur de Resident Evil, serait parfait pour mener à bien ce projet de destruction.

animal a écrit:

Arabella a écrit:

Pourquoi ne pas lire le livre, excellent et court ?

faut mettre une patte dessus avant.

j'ai cru lire que son auteur n'avait pas tout apprécié dans le film ?

Non, en effet. Il l'explique assez en détails. Déjà il regrette ne pas voir la planète, les extérieurs, leurs descriptions sont très présents dans le livre. Ensuite, il reproche à Tarkovski d'avoir tourné Crime et Châtiment plus que Solaris, de centrer tout sur la culpabilité du héros vis à vis de sa femme morte, de montrer ses parents, de psychologiser l'intrigue, et de la tirer vers la pensée kantienne à la fois. Alors que d'après lui, son roman reposait sur des concepts cognitifs et épistémologiques différents, les destins individuels ne sont pas anecdotiques comme dans le film (je cite) mais interroge sur la place de l'homme dans le cosmos. Lem reproche à Tarkovski d'avoir évacuer le contenu scientifique au profit d'un contenu émotionnel débordant.
Si je comprends bien, Lem lui reproche en gros d'avoir trop centré l'intrigue sur le sentiment, le psychologique, l'humain, alors que son livre était plus centré sur l'univers, dont l'homme n'est qu'une minuscule composante. Mais c'est très résumé.

Igor a écrit:

Arabella a écrit:

Pourquoi ne pas lire le livre, excellent et court ?

Mais c'est fait, voilà quelques décennies déjà.

Pas par tout le monde

L'interview de Lem au sujet du film de Takovski est accessible en anglais
ici

Il reste un film de Tarkovski dont on a peu parlé sur ce fil (Expie en a résumé l'essentiel de la trame au début) et qui pourtant est à mon avis son meilleur: c'est Stalker.



Mon père m'a emmené le voir à sa sortie en 1979 et je dois dire qu'à l'époque j'avais trouvé le temps bien long en passant inévitablement en très grande partie complètement à côté des mystères de ce film. Mais malgré tout j'en ai toujours conservé une impression très troublante. Il m'est resté en mémoire le plan final de la petite fille au pouvoir de télékinésie, le chien accompagnant le Stalker, la bande sonore si étrange d'Artemiev, la chambre secrète de la Zone, l'atmosphère planante et onirique, les images de chemins de fer et de ruines désaffectées, l'eau qui envahit tout...



Je l'ai revu 15 ans après et j'ai été subjugué par sa force hypnotique et la complexité de son propos qu'il me parait vain de vouloir circonscrire de manière rationnelle (surtout sans l'avoir revu depuis). Car c'est d'abord une expérience sensorielle et métaphysique qui ne s'exprime pas par le langage mais par les pouvoirs du cinéma envisagé comme voyage mental et poétique. Il y est question du rapport au mystère de 3 personnages qui incarnent 3 perceptions radicalement différentes du monde, de la réalité ou de la spiritualité et qui s'opposent (un peu comme chez Dostoïevski). Il y a un écrivain, un scientifique et un homme simple, proche de la terre, le Stalker qui les guide vers la zone interdite, vaste espace créé par la chute d'une météorite ou le passage d'entités extra-terrestres. Des militaires s'y sont aventurés et n'en sont jamais revenus, laissant des vestiges de leur passage. La chambre centrale est sensée exaucer les voeux secrets de chacun mais, comme dans Solaris, elle devient surtout une sorte d'espace de projection mentale qui révèle chacun à lui-même. Le Stalker renonce à l'idée de conduire l'homme vers le bonheur auquel il se refuse. Mais sa fille, née au contact de la zone, a développé un étrange pouvoir qui lui donne une emprise sur la matière...



Il me faut absolument le revoir mais je guette surtout une reprise au cinéma pour l'apprécier dans toute sa magie.

Le rêve du Stalker (le texte est un poème du père de Tarkovski):

J'ai dument subventionné mon fils pour que le coffret Tarkovski me fasse la surprise au petit matin du 25...
J'ai aussi hâte de le revoir enfin. C'est curieux ces films disparus, oubliés et que l'on finit par ré-imaginer faute de les revoir. Mon souvenir est fragmentaire, c'est plutôt des flash d'images aussi sublimes que mystérieuses.
J'ai toujours ressenti le cinéma de Tarkovski comme une expérience hypnotique, un rêve que l'on a du mal à expliciter une fois que l'on en est sorti.