David Cronenberg

Kierkegaard a écrit:

L'origine de la psychanalyse ne vient que de cela : des parties de jambes en l'air et de l'éducation des fondateurs de cette discipline.

J'aime bien ce raccourci

Queenie:

Citation :

Je voulais une vraie vision de la psychanalyse, de sa naissance, de son déploiement, de ses obstacles.

Oui mais, nombreux sont les spectateurs qui se sont ennuyés, et pourtant, un avantage de plus (pour moi qui apprecie la rapidité dans les énoncés et les descriptions) le film ne dure que 99mn. Tout un record.

Cronenberg aurait encore pu faire plus court, en supprimant les scènes d´hysterie interprétés par Keira Knightley ( tout à fait d´accord avec vous: elle en fait trop) et j´avais peur qu´une aussi jolie femme ne se démantibule la mâchoire!
J´ai bien aimé la confrontation maître/disciple et la difficulté de Jung de s´émanciper de ses 2 " patrons". L´un professionnel: Freud et l´autre administratif : sa femme parce qu´elle est richissime et qu´elle peut le maintenir.

Jouer l'hystérie est un piège redoutable, je trouve que Knightley s'en sort comme elle peut. Et le plus important est qu'elle offre une consistance à son rôle au fur et à mesure des évènements, jusqu'à un final où elle trouve entièrement sa place, même si cela passe par la révélation d'une amertume.

Oui je trouve qu'elle s'en sort bien aussi, et ce film a au moins le mérite de nous rappeler que sans cette approche novatrice (la parole et les différents procédés qui sont partiellement abordés dans le film) cette jeune femme n'aurait eu peut-être aucun espoir de guérison ou aurait continué à être traitée dans le bain froid, sanglée....

Maintenant on peut dire que la patiente est belle, intelligente, ambitieuse (mais complètement déboussolée et n'ayant aucune confiance en elle).
Si elle avait été pauvre, moche et inculte, est-ce que le professeur Jung lui aurait consacré autant de soins et d'intérêt ?

-A dangerous method-

Et moi je serais plutôt entre l'avis de Queenie et celui de Traversay. Pas emballée par ce film durant lequel j'ai baillé plusieurs fois. Je l'ai trouvé bien lisse. Keira Knightley a beau s'égosiller et se tortionner dans tous les sens d'entrée (jusqu'à risquer un déboitage de machoire c'est vrai Swallow ) ces scènes difficiles à soutenir et la prestation de Vincent Cassel sont quasi les seules moments qui ont réussi à me sortir de ma torpeur. Même les fessées sont bien sages, et ce n'est pas les conversations entre Jung et Freud, si intéressantes soient elles, qui réveillent l'ensemble. Dommage car le sujet interpelle, mais ici traité de façon trop académique et sans risques.

Queenie a écrit:

Je voulais une vraie vision de la psychanalyse, de sa naissance, de son déploiement, de ses obstacles.
J'ai une amourette, un adultère, quelques réflexions face à la morale et à la liberté, une actrice qui en fait des tonnes, des acteurs qui prennent la pose des penseurs.Je ne dis pas qu'il est nul ce film, mais il est superficiel, et il ne m'en reste déjà rien. Il divertit quand il n'endort pas.

Voilà, c'est aussi mon ressenti. Un thème sans doute difficile à transposer au cinéma sans éviter les écueils (longueurs ou au contraire superficialité) Il m'en reste cette histoire d'amour convenue et plus grand chose derrière. Désolée mais je vais me revoir La mouche...


Knightley belle à en faire peur.

Aeriale a écrit:

Désolée mais je vais me revoir La mouche...

Et d'ailleurs j'ai du mal à me dire que c'est le même réalisateur qui a fait ces deux films...

A Dangerous Method


J'ai trouvé ce film absolument superbe de bout en bout. Toutes les préoccupations et obsessions habituelles de Cronenberg sont présentes à travers cette contamination introduite dans les scènes inaugurales par les déformations corporelles hystériques de Sabrina Spielrein dont la tension érotique et l'obscénité apparente contrastent avec sa douceur habituelle et le cadre idyllique, post-romantique, dans lequel se déroule l'action. ce n'est pas une hystérie clinique ou une caricature d'hystérie, c'est une hystérie monstrueuse à la façon de Cronenberg qui revisiterait les figures de la crucifixion de Francis Bacon et leur cri existentiel. La manière dont il filme et cadre ces scènes mutantes est fantastique.



Le corps comme possédé laisse échapper ce que l'esprit ne peut jusque là affronter et cette force abstraite qui se libère envahit les esprits des différents protagonistes, diffuse une mélancolie profonde qui devient progressivement l'anticipation des traumatismes historiques futurs avec la montée de l'anti-sémitisme et du nazisme (voir le générique final qui annonce le devenir de chacun). Les plans sont somptueusement composés et toujours à la limite d'une inquiétante étrangeté, accompagnés par des variations de Howard Shore au piano et à l'orchestre sur des thèmes de L'or du Rhin et de La Walkyrie de Wagner. On est dans une ambiance à la fois douce et mortifère d'une fin de monde comme en trouve chez Thomas Mann ou Arthur Schnitzler.

Le film expose ces tempêtes sous un crâne de praticiens qui cherchent à comprendre et à donner du sens (chacun à sa façon toujours fragile et insatisfaisante) au comportement humain, à ces pulsions qui nous animent contre notre volonté. L'opposition entre corps et esprit, répression et liberté, principe de plaisir et principe de réalité, pulsion de vie et pulsion de mort, réalité et fantasmes, anime tous les films de Cronenberg qui montre l'être humain comme une sorte de créature mutante dont les excroissances physiques ou mentales, sources de plaisir et de douleur à la fois, cherchent à se confronter aux exigences du réel (notamment social). Les dialogues de Christopher Hampton sont très riches en informations et il était extrêmement difficile de trouver un bon équilibre pour éviter trop de didactisme ou d'abstraction hermétique pour le profane qui ne connait pas les théories de Freud, Jung, Otto Gross... Les joutes oratoires ou épistolaires sont captivantes et il faudrait prendre le temps d'y réfléchir ou de revoir encore le film.

Il montre aussi les rivalités et enjeux de pouvoir, intellectuel et sexuel, entre ces hommes. Tous les fondements de la psychanalyse sont évoqués à travers une fiction qui est en même temps une histoire d'amour. Un homme (Jung) déchiré entre préservation de la conjugalité et adultère, pragmatisme et idéal. Avec le contrepoint d'une figure paternelle écrasante et toute puissante qui dicte la loi à transgresser (Freud) et le tentateur libéré de toute contrainte à cette même Loi (Otto Gross). Le Moi cherchant un compromis entre le ça pulsionnel et le surmoi social et spirituel. Et une figure de jeune femme qui s'affranchit, se libère, comble quelques failles et renverse le rapport d'emprise en transmettant son "virus" mental.



Il y aurait encore mille choses à dire sur ce film que je trouve formellement très beau sans être académique ou neutre. La force de ce récit nait de ce contraste entre une surface paisible et un sous-bassement tourmenté, la conscience et l'inconscient. Et tout cela avec un certain humour et une subtile remise en question de la psychanalyse qui a l'intelligence d'être sobre et nuancée. Et même si on peut trouver les protagonistes à la limite du stéréotype (dans la mesure où ils incarnent surtout des idées et des concepts), je trouve qu'il arrive à donner vie à ces personnages grâce à des acteurs formidables (sans oublier Vincent Cassel, magnétique en Otto Gross). Du grand art!

Le poème symphonique Siegfried Idyll de Wagner (d'après la Tétralogie) en version pour piano et repris partiellement dans le film:

traversay a écrit:

Est-ce le début de l'embourgeoisement pour le cinéaste ou une simple pause avant de lâcher à nouveau les chevaux ?

Queenie a écrit:

Ben moi je confirme : Cronenberg s'embourgeoise (depuis plusieurs films déjà !) et devient trop sage, trop planplan, trop académique, trop chiant.

Je pense qu'il y a un malentendu sur cette idée que Cronenberg tendrait vers un cinéma plus classique ou même pire: académique. C'est simplement qu'il n'a plus besoin d'avoir recours à l'esthétique de la série B ou à des artifices de science fiction ou de cinéma d'horreur pour explorer ses sujets de prédilection. Il arrive désormais à faire surgir l'étrangeté et le décalage à travers des images plus familières. Ses derniers films subissent des distorsions très insidieuses qui font basculer une imagerie rassurante, familière et banalisée d'un cinéma de genre (thriller ou film historique) vers des mutations mentales et conceptuelles plus complexes et plus subtiles. Quand je regarde "A Dangerous Method" je vois des cadrages qui adoptent des angles étranges mais discrets, des acteurs en apparence lisses mais qui libèrent des comportements ou des pensées mouvantes, dérangeantes, contradictoires. L'image qui pourrait sembler lisse et très esthétisante laisse deviner par transparence des choses très tortueuses et vénéneuses. Il y a quelque chose qui tend vers une dimension théâtrale et presque onirique, cauchemardesque, kafkaïenne en quelque sorte. Mais j'ai été bluffé par la beauté et la sobriété de sa reconstitution historique qui délimite des espaces bien plus abstraits qu'il n'y parait. Le choix de la musique est également très intéressant.

Marko pour ce fantastique commentaire !
Je te rejoins aussi dans ton opinion, et je complète avec mon modeste point de vue :


Ce film nous mène loin des premiers Cronenberg qui sentaient la monstruosité à plein nez et dont la réalisation crade flirtait parfois avec le film de série Z pas glorieux.
A dangerous method se propose de traiter un petit évènement bien connu de l’histoire de la psychanalyse en abordant le cas de Sabina Spielrein, d’abord objet de convoitise de Carl Jung, avant qu’elle ne se tourne ensuite vers Freud lorsque ses relations avec Jung se détériorent. Tous les éléments sont réunis pour mettre en scène une histoire d’amour peu commune, faite d’une bonne dose d’amour extraconjugal et d’un soupçon de frivolité, éclairée aux lumières et au prestige de la science naissante que représente alors la psychanalyse. Rien à voir avec les scénarios de La mouche, de Scanners ou de Chromosome 3, par exemple. Est-ce toutefois une raison suffisante pour baisser la garde ? La réalisation a beau être d’une qualité et d’une rigueur presque aseptisée, les relents de la monstruosité ne tardent pas à surgir derrière l’apparence limpide de la perfection. Les vieilles obsessions de Cronenberg n’ont toujours pas disparu, elles s’expriment différemment, de manière latente.

Physiquement, les acteurs ne sont atteints d’aucune déformation. L’hystérique qu’on nous présente au début du film est parfois un peu effrayante, d’accord (et encore, grotesque serait un mot plus adapté), mais heureusement, elle se remet bien vite d’aplomb, même si ses troubles se manifestent encore périodiquement. Jung est reluisant de bout en bout. Freud fume cigare sur cigare, mais il est encore trop tôt pour que son cancer se manifeste. La vraie malformation des personnages se situe dans leur cerveau. Essayez un peu de transposer les dialogues qu’ils échangent dans le film à la réalité… Jamais ils ne passeraient. C’est d’ailleurs pour cela que Sabrina, Jung et Freud semblent évoluer en huis clos. S’ils ont des contacts avec l’extérieur, ils se limitent au cercle de leur famille, famille considérée surtout de manière utilitaire comme un outil de reconnaissance sociale. Rien n’est laissé intact à la dissection de leur conscience. Ils épluchent chaque élément anodin et essaient de l’éclairer à l’aune de leur « intelligence » qui, si elle n’est pas vice rationnalisé, ressemble parfois à la folie même.

La psychanalyse n’est qu’un prétexte. A dangerous method ne se propose pas d’en retracer une histoire exhaustive et précise. Elle est considérée comme l’état d’esprit qui imprégnait chacun des personnages de cette histoire et peut-être, aussi, comme un moyen formidable de révéler l’homme monstrueux contenu en chacun de nous.

Je partage ton point de vue Marko...d'autant qu'on peut déjà tirer ce constat après Faux semblants, notamment pour M Butterfly, largement critiqué pour ces mêmes raisons alors que je trouve qu'il représente un des sommets de son oeuvre.

J'hésitais, vous avez fini par me convaincre, j'irai demain sans doute le voir. Si je suis déçue, je sais à qui réclamer.

A la caissière ?

Arabella a écrit:

J'hésitais, vous avez fini par me convaincre, j'irai demain sans doute le voir. Si je suis déçue, je sais à qui réclamer.

N'hésite pas ! Ce serait franchement dommage de passer à côté...

La presse et les émissions télé ou radio (Le cercle ou le masque et la plume) manifestent le même clivage radical entre ceux qui voient un film académique ennuyeux et ceux qui le trouvent profondément réussi et complexe. Ce doit être une histoire de langage et d'univers dans lesquels on pénètre ou pas probablement.

A noter que la pièce de Hampton s'inspire elle-même d'un roman de John Kerr qui raconte la même histoire et s'appuie sur une documentation très détaillée des prémices de la psychanalyse à travers ses fondateurs. J'ai lu que Cronenberg avait demandé volontairement à Hampton de conserver les très nombreux dialogues de la pièce, sans trop de coupes, dans la mesure où c'est justement ce flot de paroles et d'interprétations qui l'intéressent dans la mesure où c'est l' expérimentation des théories analytiques respectives, en tant que cure potentielle ("talking cure") et nouveau mode relationnel créé par des humains, auxquelles se prêtent les différents protagonistes qui finit par générer une sorte de dérive mentale un peu dangereuse et qui rejoint ce qu'exprime Colimasson au-dessus: "Ils épluchent chaque élément anodin et essaient de l’éclairer à l’aune de leur « intelligence » qui, si elle n’est pas vice rationalisé, ressemble parfois à la folie même".

Jung est "contaminé" par les pensées de Freud, Spielrein, Otto Gross et réciproquement dans la mesure où ils sont de façon interchangeable patients et thérapeutes les uns des autres. Chacun semble en être affecté mais chacun trouve aussi sa voie finalement. Un jeu dangereux car de nature à ébranler le système de croyances de chacun mais pas mortel. C'est autant destructeur que réparateur. En tout cas ces cerveaux sont en ébullition et redoutent ce qu'ils sont en train d'inventer autant qu'ils sont excités. On peut voir tout ça avec autant de fascination que d'ironie. C'est autant une critique qu'un hommage à la psychanalyse. Cronenberg a trouvé un univers visuel à la fois conventionnel en apparence et décalé (il y aurait beaucoup à dire des images qu'il nous montre aussi bien des lieux intérieurs qu'extérieurs) qui donne le sentiment de voir s'illustrer des pensées à l'écran. C'est très curieux et captivant mais je comprends qu'on puisse ne pas le voir ou ne pas s'y intéresser...