Balades vers des sommets .....littéraires

Marko a écrit:

C'est pas pour faire de la pub pour mon fil mais si vous voulez voyager en montagne à travers la littérature ne manquez pas Ascension de Luwig Hohl! Les descriptions sont incroyablement imagées.

Je note

Merci pour ce beau poème d'Aragon que je ne connaissais pas.

Personnellement, j'adore marcher sur les crêtes d'Angèle, une montagne de la Drôme qui porte bien son nom de "messagère".

Montagne ou mer, lignes de partage entre deux mondes, des lieux magiques où se mêlent les chants des crêtes et les « chants aux crêtes », pour reprendre le titre ( emprunté à la poétesse chilienne Gabriela Mistral) du dernier recueil de poèmes de Norbert Paganelli :
(http://invistita.fr/poemes-poesie-corses-canta-a-i-sarri/ )

Le rocher des Cinq Monts
J'ai passé ma journée d'hier entre ciel et terre, quelque chose à rendre aux nuages. Les nuages étaient nombreux, justement, peut-être venus chercher ce qui leur était dû. Ils en ont atténué la lumière, rendant ternes certains paysages.
Comme livre, j'avais amené Petit éloge de la douceur de Stéphane Audeguy. Ce n'est pas un grand livre, mais on y trouve des grands textes.

Citation :

Nuages
Les nuages sont impensables. Incommensurables. On peut raisonnablement estimer qu'il ne s'en est pas touvé deux pour être identique depuis la formation de l'atmosphère terrestre. En ce sens, ils sont une parfaite image du monde.]

Je n'ai pas passé beaucoup de temps à lire, parce qu'il faisait froid, que je venais avec un but très précis pour une fois.

Citation :

Désespoir
Il ne faut pas médire du désespoir : il s'agit après tout, au sens propre, de ne plus attendre ; et donc d'agir. Je dois de l'avoir compris, jadis, à un poème magnifique d'André Breton, qui commence par ces mots : "Je connais le désespoir dans ses grandes lignes" et qui s'intitule "Le verbe être" ; ainsi qu'au plus grnad livre jamais écrit dans l'incidence des camps de concentration et d'extermination nazis, L'espèce humaine, de Robert Antelme : "Il n'y a pas d'ambiguïté, nous restons des hommes, nous ne finirons qu'en homme..."

La ballade commence par un sentier sous un véritable toit végétal, chemin sombre, tortueux, sans beaucoup de charme mais qui s'étire comme une promesse d'autre chose.





Puis, il s'ouvre, la végétation semble ouvir ses bras, desserrer son étreinte, laisser la place au ciel, aux nuages.








Le poème en prose d'André Breton :

Citation :

Le Verbe Être


Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas d'ailes, il ne se tient pas nécessairement à une table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la mer. C'est le désespoir et ce n'est pas le retour d'une quantité de petits faits comme des graines qui quittent à la nuit tombante un sillon pour un autre. Ce n'est pas la mousse sur une pierre ou le verre à boire. C'est un bateau criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent et leur sang n'a pas la moindre épaisseur. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Une forme très petite, délimitée par un bijou de cheveux. C'est le désespoir. Un collier de perles pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l'existence ne tient pas même à un fil, voilà le désespoir. Le reste, nous n'en parlons pas. Nous n'avons pas fini de deséspérer, si nous commençons. Moi je désespère de l'abat-jour vers quatre heures, je désespère de l'éventail vers minuit, je désespère de la cigarette des condamnés. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas de coeur, la main reste toujours au désespoir hors d'haleine, au désespoir dont les glaces ne nous disent jamais s'il est mort. Je vis de ce désespoir qui m'enchante. J'aime cette mouche bleue qui vole dans le ciel à l'heure où les étoiles chantonnent. Je connais dans ses grandes lignes le désespoir aux longs étonnements grêles, le désespoir de la fierté, le désespoir de la colère. Je me lève chaque jour comme tout le monde et je détends les bras sur un papier à fleurs, je ne me souviens de rien, et c'est toujours avec désespoir que je découvre les beaux arbres déracinés de la nuit. L'air de la chambre est beau comme des baguettes de tambour. Il fait un temps de temps. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. C'est comme le vent du rideau qui me tend la perche. A-t-on idée d'un désespoir pareil! Au feu! Ah! ils vont encore venir... Et les annonces de journal, et les réclames lumineuses le long du canal. Tas de sable, espèce de tas de sable! Dans ses grandes lignes le désespoir n'a pas d'importance. C'est une corvée d'arbres qui va encore faire une forêt, c'est une corvée d'étoiles qui va encore faire un jour de moins, c'est une corvée de jours de moins qui va encore faire ma vie.

André Breton (1896 - 1966)

Et puis, au sommet du rocher, les nuages ont daigné laisser filtrer un peu de lumière et j'ai pu leur laisser les mots que j'avais amené, des mots forts, pas très gais.

Citation :

Arrêtez les pendules, coupez le téléphone,
Pourvu qu'il n'aboie point, jetez un os au chien
Etouffez les pianos et qu'un tambour voilé
Au sortir du cercueil, accompagne le deuil.

Que les avions décrivent des cercles en gémissant
Et tracent dans le ciel ces trois mots : il est mort
Nouez un crêpe au cou des oiseaux blancs
Ajoutez des gants noirs aux tenues des agents

Cétait mon nord, mon sud, l'orient et l'occident
Mon travail en semaine, mon repos du dimanche
Mon midi, mon minuit, ma parole, mon chant
Je pensais que jamais l'amour ne finirait ; j'avais tort

Etoiles, disparaissez, qu'il n'en reste plus une
Démontez le soleil et remballez la lune
Asséchez l'océan, balayez les forêts
Car rien de bon ne peut advenir désormais.

Wystan Hugh Auden (1907-1973)

Comme je ne suis pas sûr de la traduction, je mets la version originale :

Citation :

Funeral Blues
Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.

Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message 'He is Dead'.
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.

He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last forever: I was wrong.

The stars are not wanted now; put out every one,
Pack up the moon and dismantle the sun,
Pour away the ocean and sweep up the wood;
For nothing now can ever come to any good.

Merci Steven de partager tes plaisirs de lecture entre ciel et Terre !

les chants les désespérés sont souvent les plus beaux !

j'aime beaucoup ce que tu dis : "J'ai passé ma journée d'hier entre ciel et terre, quelque chose à rendre aux nuages. Les nuages étaient nombreux, justement, peut-être venus chercher ce qui leur était dû. "

Toi, la Nature et le livre, quelle belle journée !

à tantôt

Steven tu habites dans un de ces petits villages aux pieds des montagnes
c'est une jolie région, y pas tant de neige je vois.

Je trouve aussi que cette image des nuages est très jolie Steven. Audeguy t'a inspiré on dirait
Merci pour le partage et les belles photos.
Le poème de W.Hugh Auden est magnifique...

rivela a écrit:

Steven tu habites dans un de ces petits villages aux pieds des montagnes
c'est une jolie région, y pas tant de neige je vois.

Non, je suis à une heure environ de la montagne (une heure de l'océan aussi). Mais j'aime aller m'y promener et laisser défiler le temps.
Dans ma vie -notre vie - c'e sont des rares moments où je ne me fixe pas d'impératifs horaires, où le temps se suffit à lui même.

Bédoulène a écrit:

Merci Steven de partager tes plaisirs de lecture entre ciel et Terre !

les chants les désespérés sont souvent les plus beaux !

j'aime beaucoup ce que tu dis : "J'ai passé ma journée d'hier entre ciel et terre, quelque chose à rendre aux nuages. Les nuages étaient nombreux, justement, peut-être venus chercher ce qui leur était dû. "

Toi, la Nature et le livre, quelle belle journée !

à tantôt

Oui, Bédoulène, ces journées sont souvent très belles ! Et je suis toujours heureux de lire tes réactions sur Parfum ! Merci.

aériale a écrit:

Je trouve aussi que cette image des nuages est très jolie Steven. Audeguy t'a inspiré on dirait
Merci pour le partage et les belles photos.
Le poème de W.Hugh Auden est magnifique...

Audeguy m'a sans doute inspiré !

Pour le poème, j'ai cette version dans un recueil à la maison ; et j'en ai trouvé d'autres, beaucoup d'autres sur internet. Peut-être que Nezumi et les autres anglophones pourront nous dire si la traduction correspond à peu près à la version originale.

aériale a écrit:

Le poème de W.Hugh Auden est magnifique...

Oui, il est superbe et si vous avez vu Quatre mariages et un enterrement, il est récité (dans la version anglaise) de très belle façon par l'acteur John Hannah (avec un petit accent écossais que j'adore).

Tes photos et tes mots sont très beaux Steven.

Lire ton fil est toujours un plaisir Steven!

Oui, la traduction de "Funeral Blues" garde bien le sens original.

Merci pour le partage Steven, très beau fil

En voyant ce livre, j'ai tout de suite pensé à toi et ton fil, Steven


Jean-Louis Hue, L'apprentissage de la marche

Citation :

L’art de marcher est l’aboutissement d’une longue patience. Il faut beaucoup d’application et d’audace avant de trouver une foulée, un allant, un esprit. C’est ce lent apprentissage dont l’auteur a voulu retracer l’histoire. Choisissant les écrivains pour guides, Jean-Louis Hue a suivi Pétrarque sur les pentes du Ventoux, Bashô au plus profond du Japon, William Wordsworth sous la pluie du Lake District, Henry-David Thoreau dans les forêts du Maine, Flaubert le long des rivages bretons, Stevenson à travers les Cévennes, retrouvé Rousseau sur ses terres familières – et le promeneur solitaire a joué un rôle décisif dans l’histoire de la marche. Chacun de ces écrivains a suivi une voie singulière. Rebelles qui fuient leur époque , mélancoliques dont le mouvement soulage les idées noires, prophètes, mystiques, mauvais coucheurs, excentriques, garnements avides d’échappées belles. Ces voyageurs furent des pionniers. L’auteur a partagé leurs habitudes, leurs enthousiasmes, leurs rêveries, leurs fatigues aussi. Parfois, il les a abandonnés en chemin. Pris d’une paresse soudaine, lassé des antipodes, renâclant devant l’épreuve d’une escalade ou d’un trop long parcours, il a pris pour raccourci le chemin des bibliothèques. Pérégrinant à travers le monde et dans les livres, on découvre une histoire de la marche , tout à la fois érudite, surprenante et allègre. Les chemins de la marches ne sont jamais loin de ceux de la sagesse.

J'avais raté ton post Kenavo. Il est très tentant ce titre. L'apprentissage de la marche...

Steven a écrit:

J'avais raté ton post Kenavo. Il est très tentant ce titre. L'apprentissage de la marche...

heureusement rien ne se perd sur le forum

Le plateau et la forêt d’Iraty
Petit balade de rentrée, dans un paysage qu’on dira bucolique. Les pentes douces et verdoyantes invitaient plus à la sieste et à la pause qu’à la marche. Mais, avançons, attaquons ces quelques pentes. Les arbres se réveillent, donnent envie de prolonger encore et encore les moments agréables, plein de douceur et de tendresse ; de la tendresse oui, qui déborde de chaque arbre, chaque rocher. Iraty est au Pays Basque. Si tôt dans la saison, il n’y a personne, ou presque et je crois que j’aime ça, seul avec la nature ; un éternel recommencement, les mots je les ai déjà écrit, vous les avez déjà lu, je n’en dirai pas plus :

Citation :

Il n'existe aucune observation qui ne soit pas compromise par l'action. Tous les instants de reconnaissance spontanée m'invitent à un retour à la grisaille du monde, à reprendre la routine quotidienne de l'invention et de l'observation, et à me salir les mains dans l'accomplissement de tous les travaux que mes mains peuvent faire.
Dans mes efforts pour recouvrer le souvenir de la journée cruciale passée à Detroit, j'avais complètement négligé ces possibilités. Ce jour-là, j'étais absorbé par la rédaction de ma biographie, occupé à répondre à mes propres questions: « Comment suis-je arrivé ici? Quel est mon but ? Comment cette journée vient-elle compléter la somme des jours qui constituent mon passé ? »
Et puis, sans l'avoir cherché, j'étais entré dans l'usine imaginaire de Rivera, aussitôt plus reconnaissable que n'importe quelle usine où j'avais moi-même travaillé. Pour ajouter à cet instant de déclic, j'étais tombé sur les trois fermiers, dressés devant moi au détour d'un couloir, plus familiers à mon esprit que mes propres parents, même si j'étais bien certain de n'avoir jamais vu auparavant ces personnages ni leur photo. Pendant les mois qui suivirent, j'allais être obsédé par le désir de cerner le message personnel que cette image voulait m'adresser, et je devais chercher à tort parmi des noms, des dates et des lieux.
Il me faudrait apprendre que rien de tout cela n'avait une réelle importance, et qu'en réalité ces phénomènes n'existaient pas sans mon intervention active. L'épreuve en noir et blanc était moins un document destiné aux archives qu'un appel à l'action. Je devais mieux le comprendre lors de mon rendez-vous avec un autre souvenir dépêché devant moi le même jour. Ce troisième souvenir allait susciter un moment de reconnaissance aussi intense que celui provoqué par les trois fermiers de madame Schreck.
Car au musée, sur le chemin de la sortie, tandis que je me répétais «Zander, autrichien, Zander, autrichien », j'étais passé devant une vitrine que rien ne distinguait, sinon le fait qu'elle contenait les objets les plus ordinaires du monde et les moins dignes d'être exposés: une douzaine de pennies en cuivre.
Je ne m'étais pas arrêté pour les examiner, mais l'incongruité de la chose (des objets courants érigés en pièces de musée) meles avait fait remarquer. Il me fallut attendre de relire les biographies de Ford pour comprendre. À une demi-heure de l'instant où je pourrais enfin exhumer la photo, je jouais les prolongations, passais en revue les vieux documents que j'avais tenus autrefois pour mon unique piste mais qui ne m'avaient conduit nulle part. Gardant toujours à l'esprit ce que madame Schreck m'avait dit au sujet des fermiers et du photographe, je relisais un passage, dont j'avais déjà bonne connaissance, et qui racontait comment, au plus fort de la Grande Guerre, Ford le philanthrope avait projeté de battre sa propre monnaie. Une fois encore, je lisais l'histoire de ces pièces qu'il avait fait tirer à plusieurs centaines d'exemplaires et que rien, pour ainsi dire, ne distinguait du cent en cuivre à l'effigie de Lincoln, sinon le profil de Henry venu remplacer celui d'Abe, et la devise «En Dieu notre confiance » transformée en «Aide ton Semblable ».
Voilà sans doute ce que renfermait la vitrine du musée : le banal transmué. Mais tant que je n'étais pas retombé sur cette histoire, j'ignorais ce que j'avais vu. Par ailleurs, ce détail biographique ne m'avait pas semblé mériter une attention particulière avant que je ne me rappelle en avoir eu une connaissance directe. La combinaison de l'ensemble me révéla la vraie nature du canular de Ford: geste biographique d'une hubris et d'un humour invraisemblables, acte d'auto-explication, mais aussi souvenir adressé à un éventuel «semblable» des temps futurs, qui ne s'était pas encore fait connaître.
Trois fermiers s'en vont au bal - de Richard Powers

Une petite chanson d'un autre temps, mais des mots si forts : La solitude