Lucian Freud [Exposition]

Un portrait qui a forcément fait polémique...

Citation :

Comme les princes de la Renaissance italienne, la monarchie britannique a conservé l’habitude de passer commande aux artistes. L’institution du poète-lauréat y jouit depuis longtemps d’un grand prestige et l’on y sollicite à intervalle régulier les peintres pour rendre la physionomie des «royals». Le dernier épisode de cette relation particulière avec le monde artistique a fait grand bruit. Il s’agit du portrait de la reine par celui qui est considéré comme le plus grand peintre vivant, Lucian Freud, petit-fils du fondateur de la psychanalyse, né à Berlin en 1922, réfugié à Londres avec sa famille en 1933. Dans ce tableau, qui est un don et non une commande, la monarque est dépeinte sans flagornerie, avec cernes et double menton.

Le critique du «Guardian», Adrian Searle, enthousiaste, y voit le plus beau portrait royal depuis 150 ans. Il célèbre la capacité de l’artiste à fouiller sous la peau, sous le maquillage, à dépeindre la couronne, posée comme une pierre, à transcrire cet «ennui stoïque des gens qui ont trop vu». D’autres voix se sont élevées pour crier au scandale. Le chroniqueur du «Sun», le plus fort tirage de la presse britannique, connu pour ses playmates dénudées de la page 3, n’y voit qu’un «travesti». Pour Richard Morrison, du «Times», le cou est celui d’un joueur de rugby et le menton – comme bleui par une barbe naissante – porte la typique «ombre de 18 heures». Selon la BBC, qui rapporte ses propos, le photographe du journal spécialisé dans les affaires royales, Arthur Edwards, a proposé d’enfermer Freud dans la tour de Londres…

Le tableau, un petit format de 23,5 x 15,2 cm, sera présenté à partir du 22 mai 2002, à l’occasion de la réouverture de la Queen’s Gallery du palais de Buckingham. La grande exposition qui est organisée réunira 450 œuvres d’art provenant de huit résidences différentes et constituera l’un des événements marquants du jubilé d’Elizabeth II, qui fête 50 ans de règne. Le projet est né de conversations entre Lucian Freud et l’ancien secrétaire de la reine, Robert Fellowes, qui fut lui-même portraituré par Freud. L’artiste a exigé plus que les deux séances de pose concédées à l’origine par la reine. Elles se sont tenues dans le palais de Saint James, entre mai 2000 et décembre 2001. C’est Lucian Freud, pourtant plus habitué à décrire la décrépitude des corps nus, qui a souhaité que la reine endosse la couronne avec le célèbre diadème…

Le commentaire du chroniqueur du "Sun" qui y voit un travesti n'est pas complètement absurde. Freud peint souvent des personnages très équivoques sexuellement comme dans ce tableau où le personnage qui donne le sein est fortement androgyne voire même clairement masculin.

Marko a écrit:

Lucian Freud
Et j'ai tout particulièrement aimé cetraines compositions comme ces "Deux lutteurs japonais et lavabo"

Bon...tant pis si je suis ridicule...j'ose poser la question qui me tarabuste depuis le 10 avril...
Je vois bien le lavabo mais... ...où sont les lutteurs japonais?

on les aperçoit en haut à droite 

l'explication du "type" qui faisait des commentaires était pour le bonhomme qui donne le sein que la femme qui devait servir de modèle était partie, du coup le peintre s'est rabattu sur un assistant ( ? si mes souvenirs sont bons).

animal a écrit:

on les aperçoit en haut à droite 

Oui...enfin...j'ai du mal à distinguer qu'il s'agit de lutteurs...et encore plus de voir qu'ils sont japonais!....

animal a écrit:

on les aperçoit en haut à droite 

l'explication du "type" qui faisait des commentaires était pour le bonhomme qui donne le sein que la femme qui devait servir de modèle était partie, du coup le peintre s'est rabattu sur un assistant ( ? si mes souvenirs sont bons).

Oui, c'est ce que le type disait.
Mais peut-être, sachant que des Parfumés étaient dans le coin, a-t-il voulu lancer une légende urbaine...

Je connaissais Freud au hasard de mes promenades artistiques, mais je l'avais oublié. Merci pour ce fil! Surtout que 'apprécie vraiment ce travail. Comme beaucoup d'artistes, il utilise quelque chose que j'adore : le charme de la laideur.

pas tout à fait d'accord sur l'expression "charme de la laideur", que la beauté soit recherchée par le peintre ou celui qui regarde ou qu'elle soit créée... c'est bien la notion ou sensation de beauté qui est présente, pour moi en tout cas... enfin c'est juste parce que c'est assez particulier que je tenais à le préciser.

une lecture comme Les mutilés de Hermann Ungar ça pourrait peut-être te plaire : fil

animal a écrit:

pas tout à fait d'accord sur l'expression "charme de la laideur", que la beauté soit recherchée par le peintre ou celui qui regarde ou qu'elle soit créée... c'est bien la notion ou sensation de beauté qui est présente, pour moi en tout cas... enfin c'est juste parce que c'est assez particulier que je tenais à le préciser.

De toute façon c'est le corps tel qu'il est qu'il recherche. Il ne cultive pas une fascination de la "laideur" mais il montre des corps de toutes sortes (il y en a d'ailleurs de "beaux" bien qu'un peu livides).

coline a écrit:

J'ai découvert les oeuvres de ce peintre à travers les articles ou reportages qui annonçaient l'exposition...Je dois dire que j'ai eu une réaction de rejet au premier abord...Et puis il y a vos posts, et je revienssur ce fil, je regarde encore et encoreles oeuvres...Et je me dis que je vais sans doute aller voir cette exposition en mai...
Je ne suis pas encore séduite...Je suis interpelée...

Je suis allée voir cette exposition et ne suis sans doute pas prête de l'oublier. Merci à vous qui avez attiré mon attention sur l'oeuvre de ce peintre.

coline a écrit:

Je suis allée voir cette exposition et ne suis sans doute pas prête de l'oublier. Merci à vous qui avez attiré mon attention sur l'oeuvre de ce peintre.

Non mais tu ne vas pas t'en tirer comme ça! J'aimerais bien savoir ce qui a modifié ton regard malgré les a priori (les craintes plutôt) qui pouvaient te tenir à distance initialement...

Marko a écrit:

coline a écrit:

Je suis allée voir cette exposition et ne suis sans doute pas prête de l'oublier. Merci à vous qui avez attiré mon attention sur l'oeuvre de ce peintre.

Non mais tu ne vas pas t'en tirer comme ça! J'aimerais bien savoir ce qui a modifié ton regard malgré les a priori (les craintes plutôt) qui pouvaient te tenir à distance initialement...

Je vais essayer de "pondre" deux ou trois lignes...
Tu en as déjà si bien, si justement et si largement parlé!...Ce que je ne saurai jamais faire...

Marko a écrit:

Non mais tu ne vas pas t'en tirer comme ça! J'aimerais bien savoir ce qui a modifié ton regard malgré les a priori (les craintes plutôt) qui pouvaient te tenir à distance initialement...

Bon alors voilà...
En fait mon regard n’a pas changé, j’ai simplement dépassé le dégoût premier ressenti face à ce tableau croisé sans Télérama :



Cette peinture m’a semblé décadente, très crue, voire très laide.
Alors je ne connaissais pas du tout la peinture de Lucian Freud. Honte sur moi puisqu’il s’agit de l’un des peintres vivants les plus chers du monde!
Mais ce n’est pas ce qui me l’a fait « apprécier » (je ne peux tout de même pas dire « aimer »!).

Intéressée par vos commentaires et çà et là par ceux lus ou entendus dans les médias, je me suis dit que je ne devais pas passer à côté de cette exposition dès lors que j’allais quelques jours à Paris.

Devant ces nombreux portraits grands formats exposés à Beaubourg, j’ai bien dû reconnaître la maîtrise de l’artiste dans la technique qui est la sienne et qui consiste d’abord à choisir des modèles aux physiques peu avantageux voire ingrats (marqués par l’obésité, la vieillesse…), puis à les faire poser nus ,de façon très abandonnée et impudique, dans des cadres peu reluisants, sous des éclairages qui les enlaidissent encore , et pour finir de travailler la matière- peinture dans des couleurs (des bruns, des gris, et du blanc qui donne parfois au modèle la lividité d’un cadavre…) et une épaisseur qui révèle la laideur de la chair absolument sans complaisance … je voudrais presque dire « la viande » …

« Je veux que la peinture soit chair » dit l’artiste.
Eh bien il a réussi à la perfection !..
C’est en ce sens que j’apprécie, en reconnaissant le talent qui lui permet d’atteindre son but, ainsi que l’originalité de ce talent.
Mais je n’arrive pas à surmonter cette impression morbide, et presque de vulgarité, qui m’a saisie dès la première image rencontrée.

coline a écrit:

Mais je n’arrive pas à surmonter cette impression morbide, et presque de vulgarité, qui m’a saisie dès la première image rencontrée.[/color][/size][/font]

Peut-être que la vulgarité n'est pas à chercher du côté de la "laideur" physique. Faire d'un vieillard ou d'une femme obèse une peinture universelle est un beau projet là où l'esthétique dominante cherche à donner une image idéalisée de l'humanité. La morbidité par contre est bien présente en ce sens qu'elle est inhérente à notre condition animale de corps vivant destiné à se flétrir, se déformer, se décomposer. Montrer un corps disgracieux avec morbidité revient à montrer à la fois la vérité physique et métaphysique de notre être en devenir. Je trouve ça très émouvant et important.

Marko a écrit:

coline a écrit:

Mais je n’arrive pas à surmonter cette impression morbide, et presque de vulgarité, qui m’a saisie dès la première image rencontrée.[/color][/size][/font]

Peut-être que la vulgarité n'est pas à chercher du côté de la "laideur" physique.

Ce que j'ai nommé "vulgarité" n'est pas dans la laideur physique bien sûr!...Rien à voir!...Mais dans les poses que le peintre fait prendre au modèle qu'il se plait à peindre. Il s'agit de grande impudeur...pas nécessaire en plus!...Et il doit me rester quelque chose de cette éducation où il y a "ce qui ne se montre pas"...

Marko a écrit:

Faire d'un vieillard ou d'une femme obèse une peinture universelle est un beau projet là où l'esthétique dominante cherche à donner une image idéalisée de l'humanité.

C'est le côté "à contre-courant", très intéressant, remarquable même , de sa peinture.

Marko a écrit:

La morbidité par contre est bien présente en ce sens qu'elle est inhérente à notre condition animale de corps vivant destiné à se flétrir, se déformer, se décomposer. Montrer un corps disgracieux avec morbidité revient à montrer à la fois la vérité physique et métaphysique de notre être en devenir. Je trouve ça très émouvant et important.

Moi, très effrayant... et triste aussi...
C'est sans doute pour cela que cette peinture qui m'interpelle me dérange aussi...

coline a écrit:

Mais dans les poses que le peintre fait prendre au modèle qu'il se plait à peindre. Il s'agit de grande impudeur...pas nécessaire en plus!...Et il doit me rester quelque chose de cette éducation où il y a "ce qui ne se montre pas"...

Ce qui est étonnant dans ces peintures c'est que ces corps sont à la fois érotisés, attirants ou troublants mais aussi repoussants, et comme agonisants ou victimes d'un crime. Je pense à ces photographies de scènes de crimes vues en plongée à l'expo "Crime et Châtiment". On voit ici la vie, le sexe, la mort, dans un mélange d'attirance et de répulsion, tout ça en même temps. C'est théâtral bien sûr comme chez Bacon qui met en scène l'intimité et la souffrance humaines dans des triptyques proches de la tradition religieuse.