Lecture en commun - Yukio Mishima : Après le banquet

Lu ce matin au p'tit déj. les 2 premiers chapitres.

CH. 1: Ce portrait de Kazu est assez séduisant, une femme à l'aise avec sa solitude, en osmose avec ce parc, cette nature qui l'entoure. On sent une femme déterminée, déterminée aussi à être en paix avec elle-même en s'affranchissant du sentiment amoureux. Finalement une femme heureuse, à l'aise dans son travail de restauratrice, parfaite hôtesse, à l'occasion même confidente et conseillère. Bref entrée en matière paisible, trop peut-être, comme nezumi, je me suis demandé ce qui allait venir troubler tout cela..

CH.2: La réception de diplomates à la retraite qui ont choisi son restaurant pour leur réunion annuelle, elle n'a pas l'habitude, on la sent moins à l'aise, on pressent le malaise monter jusqu'à l'incident du diplomate qui se trouve mal dans les toilettes. ('la toilette' comme on dit dans le livre.)

Me tarde bien de lire la suite, mais là, pas le temps..ciao !

J'en suis au 2/3 et il m'a fallu un peu de temps pour me faire à cette atmosphère un peu compassée où il n'est pas très opportun de laisser s'épancher sa vraie nature. Kazu me plait car elle diffère totalement de son entourage. Sa propension à dispenser ses largesses à tout bout de champ au grand dam de son époux est touchante, même si pas tout à fait dénuée d'intérêt.

Leur union tient plutôt de celle de la glace et du feu. Lui est sans cesse en train de la réprimander, juge parfois vulgaires ses actes, est souvent irrité de ses excés d'émotions et l'exhorte à faire preuve de sang froid . Ce mélange antinomique est assez réjouissant!

La découverte de la tombe de la famille de N est un révélateur: Kazu est fascinée. Elle qui doit sa réussite à la force de son poignet s'imagine une sépulture digne d'elle. Elle se rend compte que son union ne lui apporte pas le romantisme escompté mais au moins voudrait-elle réussir sa fin de vie. Et puis les choses vont changer, un regain d’énergie va surgir en elle et d’autres rêves vont l’habiter suite à une nouvelle qui va la surprendre…Mais je vous laisse les découvrir

aeriale a écrit:

Leur union tient plutôt de celle de la glace et du feu. Lui est sans cesse en train de la réprimander, juge parfois vulgaires ses actes, est souvent irrité de ses excés d'émotions et l'exhorte à faire preuve de sang froid . Ce mélange antinomique est assez réjouissant!

J'ai lu les chapitres 4, 5 et 6 aujourd'hui.
En effet c'est l'union de la carpe et du lapin, lui froid, macho , méprisant , et elle passionnée, impétueuse, excessive...Et plus il se montre distant plus elle est attirée...Comme tu le dis, on peut pressentir qu'elle en souffrira. On est partagé entre la pitié envers elle et l'incompréhension (mais que lui trouve-t'elle ?). On a l'impression que ce qu'elle apprécie en fait, c'est de retrouver le sentiment amoureux et les émotions qui l'accompagnent (son trouble devant l'épisode des jeunes étudiants et de la casquette écrasée).
Ce n'est certainement pas voulu, mais il y a aussi des détails que j'ai trouvé comiques.
Quand elle est hors d'elle à l'idée que son Noguchi chéri "faisait le trajet cramponné aux courroies de suspension du tramway" au lieu d'avoir un véhicule de fonction. Le "homard brodé" sur la ceinture de son luxueux kimono (ça me fait trop rire d'imaginer ça...). Et puis quand elle se jette aux pieds de Noguchi pour pleurer dans son pantalon en soie, mais fait attention à ne pas le tacher de larmes en protégeant avec un mouchoir.

Nezumi a écrit:

On est partagé entre la pitié envers elle et l'incompréhension (mais que lui trouve-t'elle ?). On a l'impression que ce qu'elle apprécie en fait, c'est de retrouver le sentiment amoureux et les émotions qui l'accompagnent (son trouble devant l'épisode des jeunes étudiants et de la casquette écrasée).

ah oui, tout à fait! de mon côté surtout incompréhension.. mais qu'est-ce qu'elle voit dans ce type? puh...
mais bon, n'importe, j'adore la lecture bien que je vais 'rester en dehors' et ne pas m'attacher à ces deux personnages..
mais l'écriture est bien et comme tu dis, Nezumi, ces petits détails sont tout à fait sublimes, voulu ou pas, j'apprécie

kenavo a écrit:

de mon côté surtout incompréhension.. mais qu'est-ce qu'elle voit dans ce type? puh...

Mystère...
Elle aime ses cols de chemises sales et son manteau usé.
Non, sans blague, ce sont ces détails qui la font craquer, peut-être car elle sent qu'elle va pouvoir s'en occuper.

Nezumi a écrit:

Mystère...
Elle aime ses cols de chemises sales et son manteau usé.

Nezumi a écrit:

Non, sans blague, ce sont ces détails qui la font craquer, peut-être car elle sent qu'elle va pouvoir s'en occuper.

oui.. en effet.. aussi concernant argent, elle essaie de savoir combien il gagne, comme si elle pense déjà à lui aider financièrement s'il n'aurait pas assez d'argent..

et les petits détails font aussi hisser mes poils: (on dit comme cela 'meine Haare sträuben sich??) réaction typiquement féminine: l'homme parle (ici d'orchidées) et elle, bien que peu intéressée, fait un double effort parce qu'elle remarque que sa réaction n'était pas 'appropriée.. beurk

Me dresser les poils, ou hérisser.

Oui, il la traite comme une idiote, et elle semble aimer ça.

Nezumi a écrit:

Me dresser les poils, ou hérisser.

merci..

Nezumi a écrit:

Oui, il la traite comme une idiote, et elle semble aimer ça.

oui.. et on ne peut même pas reprocher à Mishima d'être misogyne.. il y a -encore aujourd'hui- (ah oui, aspect aussi intéressant, on apprend au cours du 3e..4e (?) chapitre à peu près l'époque quand cela se passe.. pour moi toujours un indice désiré lors d'une lecture) des femmes qui sont ainsi
assez jeune, je faisais même partie de ceux-là

Nezumi a écrit:

On est partagé entre la pitié envers elle et l'incompréhension (mais que lui trouve-t'elle ?). On a l'impression que ce qu'elle apprécie en fait, c'est de retrouver le sentiment amoureux et les émotions qui l'accompagnent (son trouble devant l'épisode des jeunes étudiants et de la casquette écrasée).
Ce n'est certainement pas voulu, mais il y a aussi des détails que j'ai trouvé comiques.

Je ne suis pas sûre que ce soit involontaire. Mishima serait-il lui-même misogyne?

Ce qui lui plait en tout cas, chez Nogushi, c'est surement son côté grand seigneur, ses allures d'intellectuel même si elle assimile celà à une "indolence dangereuse", elle la femme d'action, impétieuse et décidée. Les contraires s'attirent parfois, elle n'a jamais connu d'hommes aussi distant et c'est une battante. Celui-ci elle le veut, même si elle rêve d'autres émois (avec le jeune cambrioleur qu'elle imagine rôdant devant sa chambre, par exemple) et elle s'accroche...

Comme toi Nezumi, je trouve son personnage assez drôle. Les passages où Mishima raconte ses manigances pour se faire mousser auprès d'éventuels électeurs sont à mourir de rire (l'histoire des petits pains et du don à l'orphelinat, sa danse lors de la fête, ses accoutrements de cuisinière etc...) Elle a un côté bouffon mais assez lucide en même temps, et se vexe si on la soupçonne d'être insincère. Bref Mishima nous en donne un portrait humoristique, et aussi un peu pathétique...

Citation :

Elle se figurait qu'elle etait une grande dame qui s'habillait en cuisinière pour mieux duper les gens en se mêlant à eux, mais personne ne s'y trompait. Le costume de cuisinière allait très bien à Kazu.

Ce qui manque cruellement à Kazu c'est la mesure. Mais face à un homme aussi glacial et prisonnier de ses principes, il est peut-être normal qu'elle dérape...Elle pense se rapprocher de lui par la pensée en servant ses desseins mais se dupe elle même et va finir par faire une grosse bêtise!

aeriale a écrit:

Ce qui manque cruellement à Kazu c'est la mesure. Mais face à un homme aussi glacial et prisonnier de ses principes, il est peut-être normal qu'elle dérape...Elle pense se rapprocher de lui par la pensée en servant ses desseins mais se dupe elle même et va finir par faire une grosse bêtise!

J'espère qu'il y a un peu d'inattendu, car là la ligne semble toute tracée = la pauvre Kazu va en baver...Comme tu le dis, il y a quelque chose de pathétique, c'est tout à fait le mot...

il me semble que la séduction de Nogushi est pour Kazu synonyme d'apaisement, de sérénité dans la mort. Elle qui est tout feu tout flamme voit une issue positive dans la sécheresse et la parcimonie de son époux, celui qui sera seul capable de lui apporter la permanence d'une pierre tombale, d'une mort sereine. Elle se sait vieillissante et elle trouve chez Nogushi ce qui pourrait la rassurer à l'aube de ses dernières années. Elle s'agite dans tous les sens pour mieux tromper l'inertie mais elle pense souvent à sa fin et l'imagine apaisée grâce à l'influence de Nogushi.

Nezumi a écrit:

J'espère qu'il y a un peu d'inattendu, car là la ligne semble toute tracée = la pauvre Kazu va en baver...Comme tu le dis, il y a quelque chose de pathétique, c'est tout à fait le mot

Oui il y en a, et tu vas voir la fin est superberment amenée!

shanidar a écrit:

il me semble que la séduction de Nogushi est pour Kazu synonyme d'apaisement, de sérénité dans la mort. Elle qui est tout feu tout flamme voit une issue positive dans la sécheresse et la parcimonie de son époux, celui qui sera seul capable de lui apporter la permanence d'une pierre tombale, d'une mort sereine. Elle se sait vieillissante et elle trouve chez Nogushi ce qui pourrait la rassurer à l'aube de ses dernières années. Elle s'agite dans tous les sens pour mieux tromper l'inertie mais elle pense souvent à sa fin et l'imagine apaisée grâce à l'influence de Nogushi.

C'est vrai qu'elle est attirée par toutes ces valeurs qu'elle n'a pas connues jusqu'à présent. Une sérénité, une grandeur d'âme et une recherche d'idéaux qui ne l'ont pas effleurée avant. Comme tu le dis Shanidar elle se sent vieillir, perdre l'éclat de sa féminité qui jusqu'alors l'ont plutôt servie. Mais il semble qu'elle n'en prenne vraiment conscience que lorsqu'elle visite les tombes des aïeux de Nogushi (j'en parlais plus haut)

A plusieurs reprises des flashs lui rappellent cette condition et c'est assez amusant de la part de cette femme si alerte. (Elle a très peur d'être délaissée une fois sous terre, craint le divorce pour cette raison et rêve devant les crématoriums!) Cette pensée l'obsède mais finalement lui fera se rendre compte réellement de la vraie importance des choses, une fois passé le tourbillon de la politique.

Le passage de la promenade dans le nouveau jardin de Nogushi après les élections est probant. On sent la cassure à ce moment là. Elle le trouve "inexprimablement solitaire et pitoyable" avec sa canne, marchant sur ce terrain boueux et couvert de toiles d'araignées (bien différent du faste de l'Ermitage) Son admiration n'est plus, il est résigné et serein, elle a mûri en une femme forte, débarrassée de ses chimères, en fait elle est arrivée au bout d'elle-même et parvient à le voir tel qu'il est, après le banquet on va dire...

Citation :

Tout en marchant derrière lui, Kazu pensait qu'elle devait avoir pour lui la sympathie que l'on a pour un peintre quand on regarde par dessus son épaule la toile qu'il est en train de peindre.

La fin est superbe. J'ai mis pas mal de temps à rentrer dans ce roman et la froideur du début a failli m'y faire passer à côté. Mais grâce à cette LC j'ai persévéré et toute sa subtilité m'est apparue peu à peu, et de façon croissante jusqu'au dénouement que je vous laisse découvrir. J'ai vraiment beaucoup aimé le suivi de ces personnages, antinomiques et excessifs à l'extrême, au point d'en devenir agaçants. Mais petit à petit chaque détail, chaque imperfection me sont devenus plus évidents, et l'opacité de l'intrigue initiale a finalement laissé place au plaisir (délicieux) de l'analyse.

Le dernier chapitre est d'une richesse assez bluffante. Il y a beaucoup à en dire mais j'attends vos impressions pour en discuter ensemble. D'ors et déjà je peux dire que Mishima m'a, contre toute attente, tout à fait convaincue

Oups, je n'ai rien lu pour ne pas éventer le suspense de la fin qui surprend, mais j'ai vu un " " qui ne cadre pas trop avec mes impressions de lecture actuelles (je vais finir le chapitre 7). Style toujours aussi fluide, qui me surprend agréablement mais je m'ennuie de plus en plus avec cette histoire d'excursion...