Lecture en commun - Madame de Lafayette : La Princesse de Clèves

Après le long épisode de la lettre qui m'a paru ennuyeux, j'ai été très contente de découvrir aujourd'hui dans la troisième partie un charme particulier à la scène de l'aveu.
Madame de Clèves se sentant à nouveau dévorée par sa passion, demande une nouvelle fois d'aller s'installer à la campagne.
" Il faut m'arracher à la présence de Nemours; il faut m'en aller à la campagne, quelque bizarre que puisse paraître mon voyage; et si Monsieur de Clèves s'opiniâtre à l'empêcher ou à en vouloir savoir les raisons, peut-être lui ferai-je mal, et à moi-même aussi, de les lui apprendre."

Monsieurs de Clèves ne sait rien refuser à sa femme si sage...Direction Coulommiers dans leur belle demeure!
Clèves voudrait savoir pourquoi elle ne "veut point revenir à Paris"...Ce qui peut la "retenir à la campagne"...Pourquoi "Ce goût de la solitude qui l'étonne et l' afflige" parce qu'il les sépare.

Monsieur de Nemours, venu loger tout près chez sa soeur s'est égaré dans la forêt, lors d'une chasse au cerf, un peu volontairement pour s'approcher du domaine des Clèves .
Par magie, à l'instant où Madame de Clèves se confie sincèrement à son mari, Monsieur de Nemours écoute à leur insu.
Dialogue presque théâtral . La situation l'est également.
Je me régale de ces phrases magnifiques échangées.

Tout est théâtral dans ce livre. C'est même limite Vaudeville.
Ça va qu'il y a le côté désuet de l'époque, sinon ce serait franchement digne de B.C tout ça.

swallow a écrit:

Oui, Madame de La Fayette est un drôle de méfiante. L´amour est toujours en peril avec elle.

Effectivement, Madame de La Fayette a une drôle conception de l’amour, et ces manifestations n’ont sont que plus délectables :

Citation :

L’aigreur que monsieur de Nemours voyait dans l’esprit de madame de Clèves lui donnait le plus sensible plaisir qu’il eût jamais eu […]

Citation :

[…] un homme qui […] ne pensait à être aimé d’elle que par un sentiment d’orgueil et de vanité.

Citation :

La bizarrerie de votre cœur vous fit revenir vers moi à mesure que vous voyiez que je m’éloignais de vous. J’ai joui de tout le plaisir que peut donner la vengeance ; il m’apparu que vous m’aimiez mieux que vous n’aviez jamais fait, et je vous ai fait voir que je ne vous aimais pas.

Citation :

[…] il avait déjà été aimé tant de fois qu’il était difficile qu’il ne connût pas quand on l’aimait.

Citation :

[…] quand à la passion de madame de Tournon diminuerait après avoir duré deux ans, il ne faudrait pas s’en étonner […]

Citation :

[…] veux-je enfin m’exposer aux cruels repentirs et aux mortelles douleurs que donne l’amour ?

Citation :

Il sentit pourtant un plaisir sensible de l’avoir réduite à cette extrémité. Il trouva de la gloire à s’être fait aimer d’une femme si différente de toutes celles de son sexe.

Citation :

[…] il se trouve heureux d’avoir du moins donné la peur de l’aimer et il ne changerait pas son état contre celui du plus heureux amant du monde.

Ah quel noble sentiment que l’amour …. pure, inaltérable, impérissable et altruiste
Je ne sais pas ce que vous en pensez mais Madame de La Fayette semblait avoir une certaine propension aux relations précieuses mais tout de même assez sadomasochistes dans leur genre : vas-y fais-moi mal et je t’en aimerais que plus ou encore mieux, vas-y que je me cloître et morfonde pour mieux y subir ma passion mortifère.
C'est la passion qui mène à la flagellation tout ça, quel châtiment que Madame de Clèves s'impose ! (tiens, c'est bizarre mais Madame de La Fayette me ramène brusquement vers Dostoïevski ). Encore aurait-il fallu qu'il y eut crime ! Pauvre Madame de Clèves... subir le châtiment sans avoir eu le bonheur d'en goûter le crime
Nous sommes loin de la nouvelle "Le Bonheur dans le Crime" de Jules Barbey d'Aurévilly, quelques centaines d'années sont passées par là
Elle le paye cher, Madame de Clèves, son droit à la vertu et à la différence. Quelle orgueilleuse tout de même ! Ah "Vanité des vanités, tout est vanité" dans ce bas monde...

Bon après Dosto et Madame de La Fayette, je crois que je vais me remettre à lire la Bible, histoire d'avoir de bons points de repères pour mes prochains romans

sentinelle a écrit:

Bon après Dosto et Madame de La Fayette, je crois que je vais me remettre à lire la Bible, histoire d'avoir de bons points de repères pour mes prochains romans

Queenie a écrit:

Tout est théâtral dans ce livre. C'est même limite Vaudeville.
Ça va qu'il y a le côté désuet de l'époque, sinon ce serait franchement digne de B.C tout ça.

moi ça m'a beaucoup fait penser aux Précieuses Ridicules

Madame de Clèves est soutenue par sa foi : la foi en sa vertu...

Sentinelle :

Citation :

Encore aurait-il fallu qu'il y eut crime !

Pas crime, mais presque... car au travers de son aveu, l´innocence de la Princesse ne se ferait-elle pas crime?
Puisque Mr de Clèves va bien en mourir.
Ce n´est plus le péché mais l´amour ( ou la passion) qui attire le malheur...Et la Princesse devient coupable de son innocence.
Pas mal comme morale!
Moi aussi je me régale, Coline, car j´adore tout echo de langue racinienne, et ces impeccables subjonctifs!

Innocente, elle ne l’est pas : elle dissimule, elle ment, elle donne dans le paraître alors qu’elle fantasme et adore en cachette. Et lorsqu’elle passe aux aveux, ce n’est que pour mieux soulager sa conscience qu’autre chose il me semble. Preuve en est que Monsieur de Clèves n'y survivra pas, elle aurait franchement gagné à se taire sur ce coup là J'en viens même à considérer cet aveu comme le témoignage d'un certain égoïsme, comme si elle n'en pouvait plus de cette passion et qu'il lui fallait bien une oreille aimante pour s'en décharger quelque peu.

Madame de Clèves ne m’est pas vraiment sympathique en fait, toute cette vertu que j’assimile finalement à de l’orgueil et une fierté mal placée, ce besoin de contrôler ses sentiments, cette peur de laisser parler son cœur par crainte de perdre l’amour de son amant au fil du temps, ce besoin de se différencier des autres femmes alors qu’au fond d’elle-même elle est exactement pareille... Il y a trop d’amour-propre et d’orgueil, trop d’apitoiement et d’avarice que pour me séduire dans ce renoncement et cette abstinence. Curieusement, j’ai finalement plus de sympathie pour le duc de Nemours, malgré tous les avertissements de Madame de La Fayette. Au moins choisit-il le parti de la vie, avec tous les risques que cela comporte.

Non, décidément, ce sacrifice-là ne me séduit guère et ne m'inspire aucune commisération, d'autant plus qu'elle s'apparente finalement plus à de la lâcheté et à la crainte de l'abandon qu'autre chose

Je ne vois pas très bien non plus où se situe la morale à se faire du mal à soi-même et aux autres. Il aurait mieux fallu pour tout le monde qu'elle se contente de franchir le rubicon sans en parler à son époux, qu'elle vive sa passion jusqu'à son épuisement pour enfin revenir à monsieur de Clèves qui serait encore en vie... ce que nous appelons les petits accommodements de la vie ("il faut bien que le corps exulte" comme le disait si bien mon compatriote Jacques Brel). Rho là là je me fais l'avocat du ici en étant si joyeusement et franchement immorale. Faudrait vraiment que je relise la Bible

Blague à part, voilà une vertu bien chèrement gagnée, ne trouvez-vous pas ?

Il n'empêche, Madame de La Fayette a une plume joliment ciselée et je n'ai pas boudé mon plaisir à la lecture mais j'étais aussi contente de connaître quelques rudiments de l'histoire de France pour ne pas être trop larguée dans les descriptions de la Cour de France
Il faut reconnaitre que "La princesse de Clèves" est un roman aux subtilités multiples et aux nuances délicates à même de susciter de nombreuses interprétations et discussions variées, nous sommes tout de même bien loin d'un BC malgré les apparences trompeuses

Je terminerai par ces quelques citations :

" Dans beaucoup de prudence il y a toujours un peu de lâcheté." Charles Lemesle
" La vertu n'irait pas si loin, si la vanité ne lui tenait pas compagnie. " La Rochefoucauld
" Il ne faut pas retourner certaines vertus : leurs envers est plus laid que bien des vices. " Marie d'Agoult
" Le seul moyen de se débarrasser d'une tentation, c'est d'y céder. " Oscar Wilde
" Un vice conduit à un autre. " Sénèque

En enfin "Il est peu de vertus plus tristes que la résignation ; elle transforme en fantasmes, rêveries contingentes, des projets qui s'étaient d'abord constitués comme volonté et comme liberté. " Simone de Beauvoir

Quelques bons sujets de dissertations, n'est-il pas

La troisième partie est importante, là les choses sont posées en quelque sorte jusqu'au dénouement. Il y a la scène de l'aveu, dont vous avez déjà beaucoup parlé. Elle a été abondamment discuté, son bien fondé en particulier, doit on avouer ce genre de choses à son mari. Et en parallèle l'idée qu'elle se fait de M. de Nemours baisse de plus en plus, puisqu'il a assisté à la scène de l'aveu et qu'il en parle autour de lui.

Citation :

De tous ses maux, celui qui se présentait à elle avec le plus de violence était d'avoir sujet de se plaindre de Monsieur de Nemours, et de ne trouver aucun moyen de le justifier

L'estime qu'elle pouvait avoir pour lui est en train de disparaître, il ne reste de plus en plus que l'inclination.

En même temps tout cela se passe dans cette cour remplie de vanité, soucieuse uniquement d'apparences, de rang social, de pouvoir. Un endroit dans lequel il est impossible de faire ce que l'on veut, la princesse de Clèves qui ne veut surtout pas rencontrer M. de Nemours est bien obligée de parader à la cour, puisqu'elle a été choisie pour porter la traîne de la Dauphine, et elle ne peut refuser un tel "honneur". Dans un tel environnement, il est impossible de distinguer l'essentiel de l'accessoire et de savoir ce que l'on éprouve vraiment. Il s'agit de paraître, de faire carrière, de gagner des honneurs et privilèges sans s'interroger sur l'intérêt réel de tout ceci.

Nous sommes dans le temps de faste de cour (le roman a été écrit lors du règne de Louis XIV, le sommet du genre) mais c'est aussi le siècle de Port Royal, des jansénites, des gens qui refusaient d'aller à la cour, et le siècle de Pascal. Et ce qui vient en tête c'est la notion de divertissement, dans le sens de la fuite de soi-même. C'est la définition même de cette cour, s'oublier, s'étourdir. Mais on ne peut toujours jouer ainsi impunément, le Roi qui pour un caprice, une obstination mal venue, une bêtise, a tenu à faire un duel imbécile, en a payé le prix le plus fort, en perdant la chose la plus chère à quiconque, sa vie. Le monde d'apparence et d'illusions, de fausses valeurs, s'effondre en un seul instant. Pas pour longtemps, le même jeu reprend de suite, voire l'incident où l'ancienne reine devenue veuve est obligée de laisser passer la nouvelle, devenue souveraine, de mauvaise grâce et la haine au coeur. Et nous savons par ailleurs que la nouvelle reine ne le restera pas longtemps. Le même jeu recommence sans fin.

Je ne relis pas le livre mais je me régale avec les commentaires de Queenie

De vrais ado... La Clèves, encore, ok. Elle est jeune, elle a rien connu de la vie. Et elle s'émoustille de voir le Nemours lui coller aux pattes... Mais le Nemours c'est un mystère... sauf si on croit à la théorie de LaFayette : un homme est passionné quand celle qu'il veut lui échappe.


En tout cas, à notre ère du sms, leur histoire aurait virée bien différemment :

Citation :

Sitôt que Mme de Clèves fut un peu remise du trouble que lui avait donné la pensée de la visite de ce prince, toutes les raisons qui la lui avaient fait refuser disparurent ; elle trouva même qu'elle avait fait une faute et, si elle eut osé ou qu'il eût encore été assez à temps, elle l'aurait fait rappeler.

Nem. Dsl. Jte kif. Reviens.
Clè.

Aah que ce n'était pas pratique les coursiers et autres falbulettes quand même !

Aujourd'hui, grâce aux sms aux iphones et tutti quanti, Clèves et Nemours iraient au McDo' tous les dimanches midi avec leurs 3 enfants obèses !

(La mort du roi est tellement Pa.Thé.Tiquement drôle!)

"Peu à peu la princesse va se déprendre du "monde", comme la Marie-Madeleine de la légende, et demeurer seule en face du crâne et su sablier" Philippe Sellier.

Georges de la Tour.
Madeleine à la veilleuse
(1630/35)
Huile sur toile
Dimension 128 x 94 cm
Musée du Louvre, Paris.

Bon, la fin a déjà été racontée, la mort du mari, le refus de la princesse d'épouser Nemours. Parce qu'il est responsable de la mort du prince, mais aussi parce que Mme de Clèves est de moins en état de l'estimer, a le sentiment que l'amour qu'il a pour elle est un état passager, et qu'elle souffrira terriblement lorsqu'il ira aimer ailleurs. Mme de Lafayette parle plusieurs fois du "repos" que la princesse recherche. Evidemment c'est uniquement une extrapolation, mais cela me fait terriblement penser à Epicure, chez qui le plaisir (souverain bien) est associé au repos. L'état le plus désirable (l'ataraxie) nécessite la suppression de toute douleur, physique ou psychique. Le vrai plaisir un est plaisir stable, et non pas mobile, en mouvement et excessif. Les passions font évidemment partie de ces plaisirs mobiles, plaisirs qui se changent forcement à un moment ou un autre en douleur. La vie de la cour, dont M. de Nemours est le symbole parfait, sont tout en mouvement, en fuite, en accomplissement de désirs superflus. Et d'une certaine façon, c'est à tout cela que renonce la princesse de Clèves en renonçant à satisfaire sa passion pour M. de Nemours.

Sauf qu'elle éprouve pas tellement plus de plaisir à se retirer du monde.

C'est une froussarde c'est tout.
Elle a peur de souffrir. Elle préfère ne rien vivre que de prendre des risques.

Son total romantisme est un peu beaucoup de la lâcheté quand même. Elle préfère vivre avec tous ses petits scénarios dans sa tête, souvent très mauvais, et se retirer du monde.
Certes le monde de la cour n'est pas dépeint avec beaucoup de joie, mais le sien non plus... Finalement... y'a pas de solution : la vie c'est pourri au royaume de LaFayette.