Annie Ernaux

C’est un temps d’une nature inconnue qui s’empare de sa conscience et aussi de son corps, un temps dans lequel le présent et le passé se superposent sans se confondre, où il lui semble réintégrer fugitivement toutes les formes de l’être qu’elle a été. C’est une sensation déjà éprouvée- épisodique- les drogues la provoquent peut-être , mais elle n’en a jamais usé , plaçant au dessus de tout la jouissance de la lucidité- qu’elle saisit maintenant dans une sorte d’agrandissement et de ralentissement. Elle lui a donné un nom,la sensation palimpseste, bien que, si elle se fie à la définition du dictionnaire, «  manuscrit gratté pour y écrire de nouveau » ce mot ne convienne pas tout à fait.

Volonté de «Capter le reflet projeté sur l'écran de la mémoire individuelle par l'histoire collective» et « mettre en forme par l’écriture son absence future ».

Quelle ambition… menée à bien de belle façon, c’est vrai, sur le plan historique et sociologique dans ce livre- mémoire, Les années. Qui renvoie forcément chacun à ses propres souvenirs , l’histoire individuelle s’inscrivant forcément au sein d’une histoire collective. Mais à chacun sa mémoire, et le « on » d’Annie Ernaux n’a pas évoqué grand-chose en moi, pour de multiples raisons, mais surtout parce que chaque histoire est individuelle , et que cette « autobiographie impersonnelle » à la noyer dans tant de détails ( tant d’évènements, de changements culturels et autres depuis 1941..) fait à certains moments, c’est vrai, un peu énumération et catalogue.

Me restent de beaux moments, beaucoup de mélancolie , ces photos, preuve du temps qui passe même si les mêmes gestes sont répétés tous les jours , et leur inscription dans un parcours, et puis ce qui est encore immuable, même si les acteurs changent, les repas de famille.
Et puis, bien sûr, ce qui a vraiment valeur d'universel :


Entre ce qui arrive dans le monde et ce qui arrive à elle, aucun point d’intersection, deux séries parallèles l’une, abstraite, toute en informations aussitôt oubliées que perçues, l’autre en plans fixes.
Et à chacun ses plans fixes et sa façon de les rattacher à un évènement ou à un autre.

Et l'issue commune:

Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d’une lointaine génération.

C'est très bien écrit, c'est la mémoire d'une vie de femme française , mémoires orale,matérielle ,sociale et politique, culturelle, et surtout féminine ( de la contraception à l'éternelle fonction nourricière de la femme).

Maintenant, le but..."sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais".. Oui, sur le plan sociologique, bien sûr, d'autant plus que c'est une femme qui a connu , de la fin de la guerre à notre époque, un changement de modes de vie assez fabuleux d'une part, et qui, d'autre part, a franchi certaines barrières sociales , elle l'a déjà fort bien raconté.
Sur le plan individuel, je ne crois pas. L'individuel est trop dilué dans le collectif, dans ce récit, et moi qui m'attache plus, même pour retenir l'Histoire ,aux parcours individuels, cela m'a un peu gênée.

Penses-tu, Marie, que ce livre apporte quelque chose d'interessant et de nouveau par rapport aux précédents ?

Citation :

Penses-tu, Marie, que ce livre apporte quelque chose d'interessant et de nouveau par rapport aux précédents ?

A elle sans doute..on dirait vraiment oui, une tentative de sauvetage du temps qui passe, chose à laquelle personnellement je ne crois pas du tout, mais je n'ai pas à en juger!
Intéressant pour le lecteur? et bien c'est ce que j'ai tenté de dire..

J'ai préféré, de loin , les récits plus personnels.

Marie a écrit:

J'ai préféré, de loin , les récits plus personnels.

Pour moi, c'est le contraire, je me suis sentie plus à l'aise avec celui-ci, Les années, où elle met une distance...

Annie Ernaux dit avoir porté en elle cette œuvre depuis plus de vingt ans."Même lorsque je composais d'autres livres, il était là, tout autour. A sa manière, il les a tous irrigués."

Je n´ai lu que" Les années". On m´avait dit que j´y retrouverai plein de mots et d´expressions qui ont marqué mon enfance, et que je n´entends plus, quand je reviens en France.
Genre "Bagnole, raffut, salé ( couteux), les guibolles, la marmaille, se grouiller, c´est du chiqué ( disait ma grand-mère), les mioches, etc..."

Et c´est vrai, de ce côté je me suis bien amusée.
Mais une question à ceux qui ont lu plus d´un ouvrage d´Annie Ernaux:
Son manque total d´humour, observé dans ce livre, est-ce seulement "la manière" d´Annie Ernaux" pour un livre qui porte sur le passé, ou bien cette carence se retrouve-t-elle aussi dans ses autres ouvrages?
Privée d´humour, je me sens un peu deçue, car je ne lis que par pur plaisir.

C'est vrai qu'il y a peu d'humour dans les autres livres d'A.Ernaux. Mais à vrai dire je ne vois pas en quoi cela est gênant, il faut dire que les thèmes abordés ne se prêtent pas vraiment à l'humour, ceci explique peut-être cela . Je la trouve plus proche de l'émotion ainsi, et le fait de ne pas "rire de tout" me plaît bien, j'aime bien la gravité de temps en temps !
Par contre, je n'ai pas compris ta dernière phrase

swallow a écrit:

Mais une question à ceux qui ont lu plus d´un ouvrage d´Annie Ernaux:
Son manque total d´humour, observé dans ce livre, est-ce seulement "la manière" d´Annie Ernaux" pour un livre qui porte sur le passé, ou bien cette carence se retrouve-t-elle aussi dans ses autres ouvrages?

Euh... ...lorsque je pense à Annie Ernaux, le mot "humour" ne me vient pas du tout à l'esprit en effet...
L'intérêt de la lecture (le plaisir?) se trouve ailleurs...

L'AUTRE
Écrit et réalisé par Patrick Mario, Bernard et Pierre Trividic - France 2008 1h37mn - avec Dominique Blanc, Cyril Gueï, Peter Bonke, Christèle Tual, Anne Benoit, Charlotte Clamens, Christian Chaussex, Paula Keiller...
D’après le roman « L’Occupation », d’Annie Ernaux.
Festival de Venise 2008 : Prix d’interprétation féminine pour Dominique Blanc.

va sortir en février 2009

Ohohoh !
ça va me donner l'occasion d'acheter le livre, je ne l'ai pas encore lu, celui-ci .

kenavo a écrit:

L'AUTRE
Écrit et réalisé par Patrick Mario, Bernard et Pierre Trividic - France 2008 1h37mn - avec Dominique Blanc, Cyril Gueï, Peter Bonke, Christèle Tual, Anne Benoit, Charlotte Clamens, Christian Chaussex, Paula Keiller...
D’après le roman « L’Occupation », d’Annie Ernaux.
Festival de Venise 2008 : Prix d’interprétation féminine pour Dominique Blanc.

va sortir en février 2009

Le film est sorti aujourd'hui. Les 2 réalisateurs se sont fait connaître avec un excellent documentaire sur Lovecraft et un film ovni Dancing en partie autobiographique. Ils ont adapté L'occupation d'Annie Ernaux en lui donnant une dimension fantastique sur le thème du double... Je suis très impatient de le voir et de lire L'occupation.

Citation :

C'est une femme qui raconte, en même temps qu'elle se raconte. Tragédie banale s'il en est, son amant, W., l'a quittée. Enfin presque quittée. Ils continuent de se voir, tandis que W. réserve désormais sa passion et son sexe à une inconnue, professeur d'histoire à l'université de Paris III. Pourquoi écrire, qu'écrire alors ? Sans doute, et la narratrice le reconnaît elle-même, les mots ont-ils une vocation cathartique, qui permet de réduire en l'exprimant le trop-plein de la jalousie qui ronge les derniers souvenirs, promesse d'un futur non tenu. S'ensuit une aussi phatique que pathétique fuite en avant pour retrouver la trace de l'Autre et apaiser la douleur de ne pas savoir. Ne pas savoir son nom, ne pas savoir ce qu'elle est ni à quoi, au juste, elle ressemble

Je ne t´avais pas encore repondu, fantaisie Héroïque, quand tu disais:

Citation :

Par contre, je n'ai pas compris ta dernière phrase

Je voulais tout simplement dire que je n´envisage pas la vie sans humour, et quand la littérature en est denuée, mon plaisir s´en trouve amoindri.

Tiens ! Je ne suis pas d'accord avec toi swallow. Dans les années et même dans Je ne suis pas sortie de ma nuit j'ai trouvé de l'humour, un humour sourd, désepéré parfois, mais de l'humour quand même.

Marko a écrit:

kenavo a écrit:

L'AUTRE
Écrit et réalisé par Patrick Mario, Bernard et Pierre Trividic - France 2008 1h37mn - avec Dominique Blanc, Cyril Gueï, Peter Bonke, Christèle Tual, Anne Benoit, Charlotte Clamens, Christian Chaussex, Paula Keiller...
D’après le roman « L’Occupation », d’Annie Ernaux.
Festival de Venise 2008 : Prix d’interprétation féminine pour Dominique Blanc.

va sortir en février 2009

Le film est sorti aujourd'hui. Les 2 réalisateurs se sont fait connaître avec un excellent documentaire sur Lovecraft et un film ovni Dancing en partie autobiographique. Ils ont adapté L'occupation d'Annie Ernaux en lui donnant une dimension fantastique sur le thème du double... Je suis très impatient de le voir et de lire L'occupation.

Citation :

C'est une femme qui raconte, en même temps qu'elle se raconte. Tragédie banale s'il en est, son amant, W., l'a quittée. Enfin presque quittée. Ils continuent de se voir, tandis que W. réserve désormais sa passion et son sexe à une inconnue, professeur d'histoire à l'université de Paris III. Pourquoi écrire, qu'écrire alors ? Sans doute, et la narratrice le reconnaît elle-même, les mots ont-ils une vocation cathartique, qui permet de réduire en l'exprimant le trop-plein de la jalousie qui ronge les derniers souvenirs, promesse d'un futur non tenu. S'ensuit une aussi phatique que pathétique fuite en avant pour retrouver la trace de l'Autre et apaiser la douleur de ne pas savoir. Ne pas savoir son nom, ne pas savoir ce qu'elle est ni à quoi, au juste, elle ressemble

J'ai vu les critiques et la bande-annonce...qui donnent envie de voir ce film (Dominique Blanc toujours parfaite )...et aussi de lire ce roman d'Annie Ernaux que je ne n'ai pas lu...

coline a écrit:

Citation :

C'est une femme qui raconte, en même temps qu'elle se raconte. Tragédie banale s'il en est, son amant, W., l'a quittée. Enfin presque quittée. Ils continuent de se voir, tandis que W. réserve désormais sa passion et son sexe à une inconnue, professeur d'histoire à l'université de Paris III. Pourquoi écrire, qu'écrire alors ? Sans doute, et la narratrice le reconnaît elle-même, les mots ont-ils une vocation cathartique, qui permet de réduire en l'exprimant le trop-plein de la jalousie qui ronge les derniers souvenirs, promesse d'un futur non tenu. S'ensuit une aussi phatique que pathétique fuite en avant pour retrouver la trace de l'Autre et apaiser la douleur de ne pas savoir. Ne pas savoir son nom, ne pas savoir ce qu'elle est ni à quoi, au juste, elle ressemble

Mais, c'est à peu près le même sujet que Passion simple non ? J'avais détesté ce livre, et adoré Les années qui doit être atypique alors, si je comprends bien.

Epi a écrit:

Mais, c'est à peu près le même sujet que Passion simple non ? J'avais détesté ce livre, et adoré Les années qui doit être atypique alors, si je comprends bien.

Comme je n'ai pas lu non plus Passion simple, j'ai fait une recherche...Et voici ce que j'ai trouvé:

Le texte, « Passion simple », est fondé sur les pensées d'une femme pour qui l’amour devient une obsession. Elle est amoureuse d’un homme qu’elle ne connaît pas très bien. Elle fait des choses typiques d’une femme amoureuse : elle se maquille, elle ne sort pas au cas où il lui téléphonerait, elle achète des choses pour les nuits qu’ils passent ensemble. Exprimant la passion qui la préoccupe, elle dit: « les désagréments de la vie quotidienne ne m’irritaient pas...j’attendais tranquillement dans les embouteillages…rien ne m’impatientait ». L’attente est devenue sa raison d’être. Puis, elle commence à réaliser qu’il ne l’aime pas, et elle décide « de ne plus le voir ». Elle devient suicidaire quand elle le quitte, mais petit à petit elle commence à vivre sans penser sans cesse à lui.

Quelque peu différent de L'occupation, non?...
Ah!...les affres de la passion!...