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| Michel Onfray [Philosophie] | |
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K Main aguerrie
Messages : 352 Inscription le : 30/11/2007 Age : 51 Localisation : Belgique
| Sujet: Michel Onfray [Philosophie] Dim 16 Déc 2007 - 23:57 | |
| Michel Onfray, né le 1 janvier 1959 à Argentan (Orne) En général, je me méfie toujours des penseurs contemporains qui se réclament d'un hédonisme où plane l'ombre de Dyonisos. J'ai toujours l'impression d'avoir affaire à de vieux intellos libidineux à moumoute qui se servent de la figure du demi-dieu pour donner un cachet (de Viagra ?) culturel à leur satyrisme mondain (Philippe Sollers, on t'a reconnu). Quand les jouisseurs se révèlent aussi ridicules que les puritains... Et à voir certains titres des ouvrages de Michel Onfray (L'Art de jouir, Féeries anatomiques, L'invention du plaisir : fragments cyrénaïques), je dois bien avouer : j'avais peur. Seconde réserve : porter fièrement l'oriflamme de la subvertion, du rebelle, du franc-tireur... plutôt vain dans une époque où la moindre provocation est aussitôt noyée dans la masse. Je me contenterai ici de parler, en dehors du débat que peut susciter le philosophe (je sais qu'il est loin de faire l'unanimité), de trois ouvrages qui m'ont particulièrement intéressé : J'ai abordé pour la première fois Onfray avec son Traité d'athéologie et j'ai été plutôt rassuré. Comme Onfray l'a lui-même écrit dans un ouvrage consacré à Nietzsche (voir plus bas) : "A l'heure où nous devrions choisir entre le judéo-christianisme d'un Occident arrogant mais fatigué et l'islam d'un Orient belliqueux en pleine forme, j'opte pour un athéisme de combat.Ce propos, tenu bien des années avant l'écriture du dit traité (on peut au moins reconnaître au bonhomme une cohérence de pensée dans la durée), résume assez bien le contenu de ce pamphlet qui passe en revue les trois monothéismes dont Onfray retient surtout les débordements extrémistes, l'intolérance consécutive à la croyance qu'a chaque religion d'être le seul peuple élu, les hypocrisies, la barbarie... Pour le reste, à chacun de juger selon ses convictions. Etant athée moi-même (et considérant, à l'instar de l'auteur, que chaque religion est un système totalitaire) je n'ai eu aucun mal à adhérer à ce livre et à trouver cette mise au point salutaire (quoique forcément partial). Cynismes, le second essai que j'ai lu, est aussi mon préféré et, que l'on aime ou non Onfray, c'est celui que je recommande particulièrement. L'ouvrage dresse le portrait d'un courant philosophique grec relativement peu connu : celui des cyniques et en particulier de son plus fameux représentant, Diogène. Souvent drôle, instructif, jamais pompeux, le livre est une ode à la liberté de pensée, au mode de vie bohème, au refus de toute compromission et à une philosophie qu'on pourrait qualifier "de terrain", bien éloignée de l'austérité théorique d'un Platon (je l'ai toujours trouvé ennuyeux, celui-là !) Avec Diogène, j'ai découvert mon "philosophe de chevet" (avec Nieztsche, mais pour des raisons différentes). Evidemment, l'homme à la lanterne n'aura jamais sa place dans les programmes scolaires (on préfèrera emmerder les élèves avec des philosophes plus "sérieux" comme Kant ou Schopenhauer) et c'est bien dommage. De Nietzsche, justement, il est question dans le troisième livre dont je voulais parler : La sagesse tragique - Du bon usage de Nietzsche. Aborder le philosophe au marteau n'est pas une chose aisée, on le sait. Il y a plusieurs raisons à cela : - les malentendus, interprétations erronées, contre-sens et récupérations douteuses de sa pensée. - la forme fragmentaire de la plupart de ses essais (Nietzsche rédigeait de petits paragraphes plutôt que de livrer un texte continu) qui donne souvent l'impression au néophyte d'une pensée éparpillée aux quatre vents. - sa réputation de philosophe austère, très germanique (ach !) qui décourage d'emblée. L'essai de Michel Onfray a le mérite d'offrir une synthèse claire et accessible des idées du philosophe, de rassembler en une boule tous ces fils épars. Je dois dire que cet essai m'a beaucoup aidé à y voir un peu plus clair et je le conseillerais à ceux qui ne savent comment aborder Nietzsche pour la première fois. L'autre intérêt : démonter tous les malentendus, mauvaises interprétations et récupérations dont je parlais plus haut. Mieux encore : tordre le cou à cette image teutonne qu'on se fait souvent du philosophe. On y apprend, entre autres, que Nietzsche prisait davantage la culture française que celle de son pays, que derrière son apparente froideur se manifestait une certaine exaltation de la vie. (Je reparlerai sans doute de Nietzsche dans un autre fil qui lui est plus spécifiquement consacré). Voilà pour les trois livres. Quand aux autres, qu'il m'est arrivé de parcourir (La politique du rebelle, Le désir d'être un volcan), j'y ai surtout trouvé pas mal de redites, qui me donne le sentiment qu'Onfray s'autocaricature. Je pense en avoir fini avec cet auteur et en avoir tiré le meilleur. | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Lun 17 Déc 2007 - 0:15 | |
| Contrairement à Senhal ( mais je n'ai pas bien compris pourquoi elle lui en voulait...), j'aime beaucoup Michel Onfray. Dont j'ai lu également le Traité d'athéologie et surtout le Journal hédoniste, ainsi qu'un très beau livre, consacré à son père , Esthétique du Pôle nord. Je trouve que c'est un personnage droit dans sa tête, son père était ouvrier agricole et sa mère femme de ménage, il est devenu docteur en philosophie et a enseignée dans des classes techniques pendant longtemps ( je recommande d'ailleurs aussi, pour les terminales, son Anti-manuel de philosophie ). Michel Onfray, c'est aussi le concept d'Université populaire, et moi j'y crois beaucoup! ICI
Un entretien célèbre ...
ICI | |
| | | Julia Envolée postale
Messages : 128 Inscription le : 02/03/2008 Localisation : Quelque part dans l'univers
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Jeu 6 Mar 2008 - 19:18 | |
| D'Onfray, j'ai lu deux livres : "Théorie du voyage" et "Traité d'athéologie", qui m'ont beaucoup plu.
Je trouve son écriture abordable et les choses qu'il expose m'intéressent.
Je pense que c'est une personne sincère, qui ne renie pas le milieu d'où il est issu et qui, comme le dit si bien Marie, est "droit dans sa tête". Son concept d'université populaire mentionné par Marie également, est une chose très positive. | |
| | | monilet Sage de la littérature
Messages : 2658 Inscription le : 11/02/2007 Age : 75 Localisation : Essonne- France
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Sam 24 Mai 2008 - 10:31 | |
| Sans le connaître et du peu que j'avais entendu et vu de lui je n'aimais pas Onfray. Son ton didactique ou transparaît une certitude frisant parfois l'arrogance m'exaspérait au plus haut point. Et puis l'été 2006, par désoeuvrement, j'ai écouté le soir ses conférences de l'université de Caen retransmises à la radio et j'ai été passionné. Il a l'art de faire passer simplement les pensées les plues ardues en intéressant son public. | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Sam 24 Mai 2008 - 21:04 | |
| J'avais commencé par écouter ses conférences qui sont vraiment passionnantes, il parle de choses très complexes d'une façon simple claire et passionnante. J'ai ensuite vu le personnage à la télé et moi aussi je l'ai trouvé imbuvable. Cela me confirme encore une fois, que les livres (ou les cours) sont une chose et la personne une autre, et ne me donne pas du tout envie de rencontrer les écrivains ou penseurs pour de vrai, même les émissions télé style plateau et l'écrivain venu parler là, ce n'est pas la bonne forumule, et pour faire parler intelligement un écrivain, il faut du temps et un journaliste qui sache poser de bonnes questions, qui connaisse l'oeuvre, qui soit vraiment à l'écoute, enfin très très rare. | |
| | | K Main aguerrie
Messages : 352 Inscription le : 30/11/2007 Age : 51 Localisation : Belgique
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Mar 27 Mai 2008 - 19:11 | |
| J'ai aussi eu une impression négative quand j'ai vu Michel Onfray dans un émission de télé. Il était vraiment sinistre, sans aucun humour. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, je ne l'ai jamais vu sourire. C'est tout de même un comble pour quelqu'un qui se dit hédoniste ! Je préfère vraiment lire ses livres que de le voir sur le petit écran. Est-il aussi sinistre dans ses conférences ? | |
| | | monilet Sage de la littérature
Messages : 2658 Inscription le : 11/02/2007 Age : 75 Localisation : Essonne- France
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Mar 27 Mai 2008 - 20:08 | |
| Le sérieux, le sérieux, presque toujours le sérieux. J'ai quand même dû entendre une ou deux petites blagues. | |
| | | Nibelheim Main aguerrie
Messages : 389 Inscription le : 02/09/2007 Age : 35 Localisation : Cambrai
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Mer 28 Mai 2008 - 20:28 | |
| - Citation :
- J'ai aussi eu une impression négative quand j'ai vu Michel Onfray dans un émission de télé. Il était vraiment sinistre, sans aucun humour. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, je ne l'ai jamais vu sourire. C'est tout de même un comble pour quelqu'un qui se dit hédoniste !
En même temps, il dit lui-même que l'hédonisme est tragique : il y a une véritable opposition entre une posture hédoniste aujourd'hui et le comportement/la pensée que veut nous inculquer la société. Prendre conscience de cela, aller vers un rapport à soi plus sain, être en marche vers sa liberté c'est entrer dans une sorte de combat. C'est pour cela (si j'ai bien compris, je ne suis pas du tout spécialiste de Onfray) qu'il parle d'un "hédonisme tragique". A part ça, je ne le trouve pas si sinistre que ça | |
| | | K Main aguerrie
Messages : 352 Inscription le : 30/11/2007 Age : 51 Localisation : Belgique
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Jeu 29 Mai 2008 - 15:33 | |
| Ah, c'est vrai, l'hédonisme tragique... nuance. Cela nous renvoie à Nieztche (auquel Onfray se réfère principalement). Tant que j'y pense, je me demande si Nietzsche souriait parfois ou racontait des blagues. Il faut dire qu'avec sa grosse moustache, ses sourires ne se remarquaient peut-être pas. | |
| | | Cachemire Sage de la littérature
Messages : 1998 Inscription le : 11/02/2008 Localisation : Francfort
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Jeu 29 Mai 2008 - 16:05 | |
| - Marie a écrit:
- Contrairement à Senhal ( mais je n'ai pas bien compris pourquoi elle lui en voulait...), j'aime beaucoup Michel Onfray.
Je trouve que c'est un personnage droit dans sa tête, son père était ouvrier agricole et sa mère femme de ménage, il est devenu docteur en philosophie et a enseignée dans des classes techniques pendant longtemps ( je recommande d'ailleurs aussi, pour les terminales, son Anti-manuel de philosophie ).] Moi aussi, j'estime Michel Onfray et son travail. Je recommande comme toi Marie à tous ceux qui sont au lycée ou en fac l'Anti-manuel de philosophie, très amusant, revigorant même, une manière d'aborder la philosophie d'une manière moins "théorique"... | |
| | | la-lune-et-le-miroir Envolée postale
Messages : 287 Inscription le : 24/07/2008 Age : 57 Localisation : Dordogne
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Jeu 4 Sep 2008 - 14:47 | |
| J'écoute ses "conférences cours" qui passent régulièrement sur France culture. Je le trouve très pertinent. | |
| | | Ezechielle Sage de la littérature
Messages : 2025 Inscription le : 03/03/2009 Age : 35 Localisation : Bruxelles
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Mar 7 Juil 2009 - 9:17 | |
| J'ai lu le traité d'athéologie de Michel Onfray il y a maintenant un bon moment...
La lecture de ce livre est intéressante, mais ne m'a pas franchement convaincu. La critique que formule Onfray à l'égard de la religion porte d'avantage sur la forme que sur le fond (caractéristique commune à une grande partie de la "littérature athée") si bien que lorsqu'il pointe les dérives scatophiles de certaines religions, on ne peut que se dire (après réflexion) que c'est la matière fécale qui nous dégoûte et non la pratique religieuse qui s'y attache. Une grande partie du "traité" se déroule ainsi, avec des attaques orientées sur la mauvaise cible. Pour ma part, je pense que lorsqu'on veut critiquer une religion, il faut aller dans les textes (de la religion en question), dans les discours (des religieux) et critiquer ce qui est dit, suggéré et non seulement fait car les actions peuvent être totalement indépendante de la religion et n'ont parfois aucune base religieuse, spirituelle. Bien évidemment, au cours de l'histoire, certaines religions ont évoluées, si bien qu'il est difficile de savoir lorsqu'on parle véritablement de la religion ou d'une perversion de cette dernière. Quoiqu'il en soit, que la question soit difficile à aborder ou non, l'erreur majeure de Michel Onfray est d'aborder ce thème avec une telle légèreté, sans préface ni introduction digne de ce nom insistant sur la différence qu'il y a à faire entre la religion et ce qu'en font les humains, et s'il pense (comme moi) que la distinction entre les deux est toute théorique (la religion étant à mon sens la manifestation humaine, et donc faillible, de la spiritualité), qu'il le précise, qu'il insiste sur cette problématique plutôt que de se lancer dans une critique (parfois) violente, presque épidermique, de la religion. De plus, je ne supporte pas les affirmations d'Onfray quant aux prétendus liens entre IIIème Reich et christianisme. Certes, on retrouve des éléments chrétiens dans l'idéologie nazie, certes quelques nazis étaient de fervents catholiques/protestants, mais Hitler à mainte fois rejeté cette religion, tout comme la plupart des idéologues officiels du parti nazi. De plus, le silence de la papauté quant aux crimes nazis et l'absence de Mein Kampf à l'index, s'ils dénotent un mépris pour la population juive et des préoccupations très (trop) terre à terre du Vatican (qui cherche à ne pas être occupé par les nazis qui aimeraient disposer du pape pour leur propagande), ne montre pas une franche compromission de la chrétienté en faveur du nazisme... Il y a encore une fois un déplacement de la critique religieuse sur un tout autre sujet...
Bref, j'ai plus l'impression de lire "-Mon avis sur la religion- par Michel Onfray" qu'un traité philosophique, argumenté à propos du problème religieux et des éventuelles réponses de l'athéisme. | |
| | | Babelle Zen littéraire
Messages : 5065 Inscription le : 14/02/2007 Localisation : FSB
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Sam 28 Nov 2009 - 19:47 | |
| Cela m'étonne qu'on ne lise pas davantage Michel Onfray. J'en connais qui descendent à Caen pour l'écouter. Nous sommes peut-être ici en général simplement davantage attirés par la fiction que par la lecture d'essais. Pour ma part je préfère écouter ses conférences, ou lire des extraits de ses textes selon le thème traité, parce que je suis trop paresseuse pour me taper entièrement un de ses titres. Ses passages médiatiques sonnent toujours juste à mon sens, il ne s'énerve pas, il met l'accent où il faut, sans esbroufe et avec retenue dans ses manières. J'aurais du mal à porter un jugement sur ses livres et son travail mais, ce qui est certain, c'est que quand je l'écoute j'ai l'impression d'apprendre un peu à repenser loin des clichés. Repenser depuis le début, avec la conscience de pourquoi on est amené à penser comme ça, à mettre en avant non pas notre propre conception du monde mais la représentation qu'on a bien voulu nous en donner, un courant qui a pris le dessus sur un autre... Un vrai bol d'air aujourd'hui! Aussi je nous archive ci-dessous en spoiler le bel article dont il est l'auteur, paru le 24/11/09 dans Le Monde et qui vient en résonance démantibuler la panthéonisation que le président voudrait s'offrir avec Camus pour se rehausser... : "Point de vue : Monsieur le Président, devenez camusien !" - Spoiler:
Monsieur le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps. Vous venez de manifester votre désir d'accueillir les cendres d'Albert Camus au Panthéon, ce temple de la République au fronton duquel, chacun le sait, se trouvent inscrites ces paroles : "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante". Comment vous donner tort puisque, de fait, Camus fut un grand homme dans sa vie et dans son oeuvre et qu'une reconnaissance venue de la patrie honorerait la mémoire de ce boursier de l'éducation nationale susceptible de devenir modèle dans un monde désormais sans modèles.
De fait, pendant sa trop courte vie, il a traversé l'histoire sans jamais commettre d'erreurs : il n'a jamais, bien sûr, commis celle d'une proximité intellectuelle avec Vichy. Mieux : désireux de s'engager pour combattre l'occupant, mais refusé deux fois pour raisons de santé, il s'est tout de même illustré dans la Résistance, ce qui ne fut pas le cas de tous ses compagnons philosophes. De même, il ne fut pas non plus de ceux qui critiquaient la liberté à l'Ouest pour l'estimer totale à l'Est : il ne se commit jamais avec les régimes soviétiques ou avec le maoïsme.
Camus fut l'opposant de toutes les terreurs, de toutes les peines de mort, de tous les assassinats politiques, de tous les totalitarismes, et ne fit pas exception pour justifier les guillotines, les meurtres, ou les camps qui auraient servi ses idées. Pour cela, il fut bien un grand homme quand tant d'autres se révélèrent si petits.
Mais, Monsieur le Président, comment justifierez-vous alors votre passion pour cet homme qui, le jour du discours de Suède, a tenu à le dédier à Louis Germain, l'instituteur qui lui permit de sortir de la pauvreté et de la misère de son milieu d'origine en devenant, par la culture, les livres, l'école, le savoir, celui que l'Académie suédoise honorait ce jour du prix Nobel ? Car, je vous le rappelle, vous avez dit le 20 décembre 2007, au palais du Latran : "Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé." Dès lors, c'est à La Princesse de Clèves que Camus doit d'être devenu Camus, et non à la Bible.
De même, comment justifierez-vous, Monsieur le Président, vous qui incarnez la nation, que vous puissiez ostensiblement afficher tous les signes de l'américanophilie la plus ostensible ? Une fois votre tee-shirt de jogger affirmait que vous aimiez la police de New York, une autre fois, torse nu dans la baie d'une station balnéaire présentée comme très prisée par les milliardaires américains, vous preniez vos premières vacances de président aux Etats-Unis sous les objectifs des journalistes, ou d'autres fois encore, notamment celles au cours desquelles vous avez fait savoir à George Bush combien vous aimiez son Amérique.
Savez-vous qu'Albert Camus, souvent présenté par des hémiplégiques seulement comme un antimarxiste, était aussi, et c'est ce qui donnait son sens à tout son engagement, un antiaméricain forcené, non pas qu'il n'ait pas aimé le peuple américain, mais il a souvent dit sa détestation du capitalisme dans sa forme libérale, du triomphe de l'argent roi, de la religion consumériste, du marché faisant la loi partout, de l'impérialisme libéral imposé à la planète qui caractérise presque toujours les gouvernements américains. Est-ce le Camus que vous aimez ? Ou celui qui, dans Actuelles, demande "une vraie démocratie populaire et ouvrière", la "destruction impitoyable des trusts", le "bonheur des plus humbles d'entre nous" (Œuvres complètes d'Albert Camus, Gallimard, "La Pléiade", tome II, p. 517) ?
Et puis, Monsieur le Président, comment expliquerez-vous que vous puissiez déclarer souriant devant les caméras de télévision en juillet 2008 que, "désormais, quand il y a une grève en France, plus personne ne s'en aperçoit", et, en même temps, vouloir honorer un penseur qui n'a cessé de célébrer le pouvoir syndical, la force du génie colérique ouvrier, la puissance de la revendication populaire ? Car, dans L'Homme révolté, dans lequel on a privilégié la critique du totalitarisme et du marxisme-léninisme en oubliant la partie positive - une perversion sartrienne bien ancrée dans l'inconscient collectif français... -, il y avait aussi un éloge des pensées anarchistes françaises, italiennes, espagnoles, une célébration de la Commune, et, surtout, un vibrant plaidoyer pour le "syndicalisme révolutionnaire" présenté comme une "pensée solaire" (t. III, p. 317).
Est-ce cet Albert Camus qui appelle à "une nouvelle révolte" libertaire (t. III, p. 322) que vous souhaitez faire entrer au Panthéon ? Celui qui souhaite remettre en cause la "forme de la propriété" dans Actuelles II (t. III, p. 393) ? Car ce Camus libertaire de 1952 n'est pas une exception, c'est le même Camus qui, en 1959, huit mois avant sa mort, répondant à une revue anarchiste brésilienne, Reconstruir, affirmait : "Le pouvoir rend fou celui qui le détient" (t. IV, p. 660). Voulez-vous donc honorer l'anarchiste, le libertaire, l'ami des syndicalistes révolutionnaires, le penseur politique affirmant que le pouvoir transforme en Caligula quiconque le détient ?
De même, Monsieur le Président, vous qui, depuis deux ans, avez reçu, parfois en grande pompe, des chefs d'Etat qui s'illustrent dans le meurtre, la dictature de masse, l'emprisonnement des opposants, le soutien au terrorisme international, la destruction physique de peuples minoritaires, vous qui aviez, lors de vos discours de candidat, annoncé la fin de la politique sans foi ni loi, en citant Camus d'ailleurs, comment pourrez-vous concilier votre pragmatisme insoucieux de morale avec le souci camusien de ne jamais séparer politique et morale ? En l'occurrence une morale soucieuse de principes, de vertus, de grandeur, de générosité, de fraternité, de solidarité.
Camus parlait en effet dans L'Homme révolté de la nécessité de promouvoir un "individualisme altruiste" soucieux de liberté autant que de justice. J'écris bien : "autant que". Car, pour Camus, la liberté sans la justice, c'est la sauvagerie du plus fort, le triomphe du libéralisme, la loi des bandes, des tribus et des mafias ; la justice sans la liberté, c'est le règne des camps, des barbelés et des miradors. Disons-le autrement : la liberté sans la justice, c'est l'Amérique imposant à toute la planète le capitalisme libéral sans états d'âme ; la justice sans la liberté, c'était l'URSS faisant du camp la vérité du socialisme. Camus voulait une économie libre dans une société juste. Notre société, Monsieur le Président, celle dont vous êtes l'incarnation souveraine, n'est libre que pour les forts, elle est injuste pour les plus faibles qui incarnent aussi les plus dépourvus de liberté.
Les plus humbles, pour lesquels Camus voulait que la politique fût faite, ont nom aujourd'hui ouvriers et chômeurs, sans-papiers et précaires, immigrés et réfugiés, sans-logis et stagiaires sans contrats, femmes dominées et minorités invisibles. Pour eux, il n'est guère question de liberté ou de justice... Ces filles et fils, frères et sœurs, descendants aujourd'hui des syndicalistes espagnols, des ouvriers venus d'Afrique du Nord, des miséreux de Kabylie, des travailleurs émigrés maghrébins jadis honorés, défendus et soutenus par Camus, ne sont guère à la fête sous votre règne. Vous êtes-vous demandé ce qu'aurait pensé Albert Camus de cette politique si peu altruiste et tellement individualiste ?
Comment allez-vous faire, Monsieur le Président, pour ne pas dire dans votre discours de réception au Panthéon, vous qui êtes allé à Gandrange dire aux ouvriers que leur usine serait sauvée, avant qu'elle ne ferme, que Camus écrivait le 13 décembre 1955 dans un article intitulé "La condition ouvrière" qu'il fallait faire "participer directement le travailleur à la gestion et à la réparation du revenu national" (t. III, p. 1059) ? Il faut la paresse des journalistes reprenant les deux plus célèbres biographes de Camus pour faire du philosophe un social-démocrate...
Car, si Camus a pu participer au jeu démocratique parlementaire de façon ponctuelle (Mendès France en 1955 pour donner en Algérie sa chance à l'intelligence contre les partisans du sang de l'armée continentale ou du sang du terrorisme nationaliste), c'était par défaut : Albert Camus n'a jamais joué la réforme contre la révolution, mais la réforme en attendant la révolution à laquelle, ces choses sont rarement dites, évidemment, il a toujours cru - pourvu qu'elle soit morale.
Comment comprendre, sinon, qu'il écrive dans L'Express, le 4 juin 1955, que l'idée de révolution, à laquelle il ne renonce pas en soi, retrouvera son sens quand elle aura cessé de soutenir le cynisme et l'opportunisme des totalitarismes du moment et qu'elle "réformera son matériel idéologique et abâtardi par un demi-siècle de compromissions et (que), pour finir, elle mettra au centre de son élan la passion irréductible de la liberté" (t. III, p. 1020) - ce qui dans L'Homme révolté prend la forme d'une opposition entre socialisme césarien, celui de Sartre, et socialisme libertaire, le sien... Or, doit-on le souligner, la critique camusienne du socialisme césarien, Monsieur le Président, n'est pas la critique de tout le socialisme, loin s'en faut ! Ce socialisme libertaire a été passé sous silence par la droite, on la comprend, mais aussi par la gauche, déjà à cette époque toute à son aspiration à l'hégémonie d'un seul.
Dès lors, Monsieur le Président de la République, vous avez raison, Albert Camus mérite le Panthéon, même si le Panthéon est loin, très loin de Tipaza - la seule tombe qu'il aurait probablement échangée contre celle de Lourmarin... Mais si vous voulez que nous puissions croire à la sincérité de votre conversion à la grandeur de Camus, à l'efficacité de son exemplarité (n'est-ce pas la fonction républicaine du Panthéon ?), il vous faudra commencer par vous.
Donnez-nous en effet l'exemple en nous montrant que, comme le Camus qui mérite le Panthéon, vous préférez les instituteurs aux prêtres pour enseigner les valeurs ; que, comme Camus, vous ne croyez pas aux valeurs du marché faisant la loi ; que, comme Camus, vous ne méprisez ni les syndicalistes, ni le syndicalisme, ni les grèves, mais qu'au contraire vous comptez sur le syndicalisme pour incarner la vérité du politique ; que, comme Camus, vous n'entendez pas mener une politique d'ordre insoucieuse de justice et de liberté ; que, comme Camus, vous destinez l'action politique à l'amélioration des conditions de vie des plus petits, des humbles, des pauvres, des démunis, des oubliés, des sans-grade, des sans-voix ; que, comme Camus, vous inscrivez votre combat dans la logique du socialisme libertaire...
A défaut, excusez-moi, Monsieur le Président de la République, mais je ne croirai, avec cette annonce d'un Camus au Panthéon, qu'à un nouveau plan de communication de vos conseillers en image. Camus ne mérite pas ça. Montrez-nous donc que votre lecture du philosophe n'aura pas été opportuniste, autrement dit, qu'elle aura produit des effets dans votre vie, donc dans la nôtre. Si vous aimez autant Camus que ça, devenez camusien. Je vous certifie, Monsieur le Président, qu'en agissant de la sorte vous vous trouveriez à l'origine d'une authentique révolution qui nous dispenserait d'en souhaiter une autre.
Veuillez croire, Monsieur le Président de la République, à mes sentiments respectueux et néanmoins libertaires.
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| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Sam 28 Nov 2009 - 20:01 | |
| c'en est presque cruel c'est bien lui qui a eu une série d'émission sur Nietzsche sur France Culture à la rentrée ? je n'y connais rien et je suis impressionnable mais c'était fortement intéressant. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Michel Onfray [Philosophie] Sam 28 Nov 2009 - 20:44 | |
| Onfray, il faudra que je me décide à lire un de ses livres pour dépasser la vision négative qu' il m' a donnée. Je l' ai vu récemment dans un débat grotesque où chacun était archi caricatural, ridiculisant ce qu' il voulait représenter... Onfray, le conformisme de l' anti conformisme, voilà l' impression qu' il m' a fait. Trop lisse, trop propre sur lui, trop bien coiffé. Le raisonnement qui tourne bien, comme un moteur de Mercedes?...Sans une rature ni une faute de français. Une apparence...je n' aime pas les apparences, les masques.. Où est la vie et les traces qu' elle laisse, les failles, les défauts de l' armure... Il m' agace ce type-là ! | |
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