Belfort sur Rebenty est un petit village au pied des pyrénées.
Une trentaine de maisons de part et d'autre de la route, et dont beaucoup sont inoccupées sauf en été. Des maisons d'age et de style divers, et trois chalets.
Avec des potagers bien tenus et abondamment fleuris : dalhias, capucines, roses trémières...
Le Rebenty, une petite rivière de montagne, coule près du village.
De la maison que nous avions louée cet été-là, nous avons apperçu un matin en ouvrant les volets, une dame agée qui arrosait ses geraniums d'un air pensif.
Meme de loin, elle nous a semblée aimable, douce,charmante et grave.
On a fait connaissance rapidement et on s'est vus pratiquement tous les jours...
Elle nous a parlé de sa vie. De son enfance au village voisin de Roucou.
De ses parents, de l'école. Des travaux des champs. Après son mariage,
elle avait quitté Roucou pour Belfort. Le temps passait. Elle avait eu deux
filles. Ses parents étient morts, et elle n'était pas retournée à Roucou.
Une vie simple et banale somme toute...
Mais meme une vie simple et banale peut etre bouleversée du jour au lendemain.
Son mari était mort il y a deux ans, la laissant seule au bord de la route
avec ses souvenirs encombrants.
Tous les jours désormais, elle traversait le village pour aller déposer un bouquet sur la tombe de son homme. Elle lui parlait un moment et rentrait chez elle...
Marie Louise Rivié n'est pas une pleurnicheuse, mais elle ne se résigne pas à la mort. Elle ne se résigne à rien du tout.
C'est une révoltée, douce mais inconsolable.
La mort n'est pas qu'irrémédiable. Elle est inadmissible.
Elle nous regarde et elle a le coeur gros. Quand on la regarde et qu'on l'écoute attentivement, on a l'impression émouvante et saisissante à la fois de voir une petite fille éplorée dans un corp de vieille dame,
une vieille dame sensible, vive et espiègle, mais bléssée, écorchée, angoissée.
On aimerait la protéger, la consoler. Trouver les mots qui pourraient l'aider.
C'est difficile : il faut croire aux mots et au pouvoir réparateur des mots.
Sinon on est
immédiatement gagnés par l'émotion, contaminés par le chagrin.
L'un de ses gendres -il est maire du village depuis 3O ans- est un homme
sensible, intelligent, délicat, discret et mélancolique.
Chose étrange, ces deux là ne semblent pas se voir ni se parler beaucoup.
Mais il y a des choses qu'on ignore ou qu'on ne comprend pas.
Des histoires de famille peut etre...
Ou tout simplement le fait que les etres sensibles parlent peu, se murent
parfois dans le silence parcequ'ils sont persuadés que parler est inutile.
Ou qu'ils ne savent quoi dire et à qui...
L'année suivante, nous avons revu Marie Louise Rivié. Et sa situation avait encore empiré. Elle n'habitait plus chez elle, désormais, mais chez sa fille et son autre gendre, qui ne l'aimait pas beaucoup, et décidait de tout.
Elle se sentait brimée, humiliée et surtout prisonnière.
Que dire, que faire à part l'écouter.
Mais le départ fut triste. Je lui dis -et c'était vrai- que nous allions changer de vie, changer de lieu... Qu'on aurait peut etre du mal à se revoir.
Et j'avais l'impression d'etre traitre et cruel... J'étais mal...
Je me suis souvent dit que j'aurais aimé avoir une mère comme elle ou une grand mère...
Les souvenirs sont souvent melés. Meme les meilleurs sont parfois voilés de tristesse...