Benoît Jacquot

Marko a écrit:

Ce passage est intéressant parce que ce qu'elle fait avec la musique est une métaphore de ce qu'elle opère sur elle-même. Tenter de se dévêtir de tout rôle social, de toute histoire même, pour exister au plus près de ses vraies aspirations, de la nature, de ceux qu'elle choisit. Peut-elle vraiment y parvenir?

Peut-être...Mais pour un temps...

Lorsqu'elle prend cette décision je ne la trouve pas si désespérée (vous avez évoqué le suicide, une forme de suicide). Il y a surtout en elle le désir de mettre un point final à sa vie aussi bien sentimentale que professionnelle, elle a toute l'énergie et la détermination pour un nouveau départ.

- "Je suis devenue une femme fantôme."

- "J'ai besoin d'être seule. Je crois que dans ma vie, je crois que dans la substance de ma vie, je ressens le besoin d'être seule."

- "J'ai quarante-sept ans.[...] Je n'ai plus le droit de me tromper."

En tout cas votre discussion me donne envie de voir ce film - mais encore plus relire ce livre qui m'avait tant enthousiasmé lors de sa sortie...

Aeriale: Est-ce que je dois comprendre que la petite LENA n´apparait pas dans le film?
Ce serait regrettable. Ce personnage est fondamental dans le livre. C´est elle qui les eveille les adultes à l´amour et c´est elle qui les allume. C´est le lien et la courroie entre tous. C´est elle qui fait tout evoluer, tout chavirer.
Je n´arrive pas à imaginer comment progresse l´action sans cette gosse. Est-elle au moins évoquée dans le film?

swallow a écrit:

Aeriale: Est-ce que je dois comprendre que la petite LENA n´apparait pas dans le film?
Ce serait regrettable. Ce personnage est fondamental dans le livre. C´est elle qui les eveille les adultes à l´amour et c´est elle qui les allume. C´est le lien et la courroie entre tous. C´est elle qui fait tout evoluer, tout chavirer.
Je n´arrive pas à imaginer comment progresse l´action sans cette gosse. Est-elle au moins évoquée dans le film?

Il manque effectivement la petite Lena...
Et pour toi cela risque d'être rhédibitoire...

swallow a écrit:

Aeriale: Est-ce que je dois comprendre que la petite LENA n´apparait pas dans le film?
Ce serait regrettable. Ce personnage est fondamental dans le livre. C´est elle qui les eveille les adultes à l´amour et c´est elle qui les allume. C´est le lien et la courroie entre tous. C´est elle qui fait tout evoluer, tout chavirer.
Je n´arrive pas à imaginer comment progresse l´action sans cette gosse. Est-elle au moins évoquée dans le film?

Pas du tout Swallow, et ça m'a aussi un peu génée. Dans le roman effectivement Lena (je ne me souvenais plus de son nom) a une place importante, elle représente l'insouciance, la joie de vivre, tout ce que n'a peut-être pas connu Ann et l'aide à renaître à la vie. Elle est le lien entre tous, comme tu le dis.
Ann va lui communiquer aussi son goût de la musique et c'est la période la plus heureuse pour l'héroïne. Mais je crois me souvenir de sa disparition tragique (je n'en suis pas sûre mais) et d'une période plus sombre qui refait surface.

On m'avait prété le livre il y a un moment, c'est donc un peu flou, mais il me semblait ...

Oui, Aériale, cette enfant les rend tous incandescents ( les adultes).
D´ailleurs Ann se garde bien de répondre, lorsque le Docteur Radnitzky lui balance en pleine figure :
"Je l´avais deviné depuis longtemps. C´est elle (Lena) que vous avez aimée en m´aimant. Ça crevait les yeux. Je l´avais compris tout de suite. Moi, vous ne m´aimiez pas".

Chez Quignard ( et je suis bien d´accord avec lui!) c´est bien plus ce que l´enfant peut apporter à l´adulte, en en modifiant bien involontairement et subrepticement les comportements, que le contraire. Idem dans "Les Escaliers de Chambord".
Mais pour en revenir au film, rien de plus difficile que diriger un enfant.
Il faut au moins la taille d´un Clint Eastwood (A perfect World) pour y arriver.

Et voilà ce qui m'a beaucoup gênée dans la deuxième partie, il manque la petite fille. Et elle avait effectivement un rôle très important tant par son existence que par sa mort.

Au fond des bois de Benoît Jacquot

Citation :

En 1865, au sud de la France, une jeune villageoise quitte la maison paternelle pour suivre un vagabond dans les bois. De gré ou de force ?

Ne comptez-pas sur moi pour vous donner un avis autorisé sur la chose. 1. Je n'étais pas en forme, je me suis assoupi une bonne dizaine de minutes. 2. Les ricanements de certains spectateurs n'aident pas à prendre le film au sérieux.

Isild Le Besco qui roule des yeux, joue nue la moitié du temps m'a (encore) énervé. Quant à son petit camarade, Nahuel Perez Biscayart, il s'exprime dans une sorte de sabir occitano/latin qui rend quasi incompréhensible ses répliques.

De quoi s'agit-il au juste ? De l'enlèvement d'une jeune fille de bonne famille par un homme des bois et de leur passion charnelle, qui tient autant du viol que de la relation consentante. Ce n'est pas très clair, cette affaire. Il utilise ses dons de magnétiseur pour séduire la fille et, en même temps, cette dernière pourrait bien être atteinte d'une forme d'hystérie. Le plus gênant, dans tout ça, est l'absence de point de vue de Jacquot dont la mise en scène est descriptive, dans une belle lumière et une atmosphère presque médiévale. Ah oui, les costumes sont très bien.

Il y a 2 ou 3 scènes ridicules et gênantes avec Isild à 4 pattes, entre autres. On pense parfois à L'enfant sauvage de Truffaut ou au Kaspar Hauser de Herzog, mais juste un peu. La plupart du temps, on ne pense pas.

Une oeuvre fruste (et non pas frustre, comme on l'entend dans le film) qui frustre.

traversay a écrit:

Ne comptez-pas sur moi pour vous donner un avis autorisé sur la chose. 1. Je n'étais pas en forme, je me suis assoupi une bonne dizaine de minutes. 2. Les ricanements de certains spectateurs n'aident pas à prendre le film au sérieux.

Ouh, j'imagine l'ambiance dans la salle ! Ca devait être gai !

traversay a écrit:

Au fond des bois de Benoît Jacquot[...]

Une oeuvre fruste (et non pas frustre, comme on l'entend dans le film) qui frustre.

J'avais prévenu !

Queenie a écrit:

traversay a écrit:

Au fond des bois de Benoît Jacquot[...]

Une oeuvre fruste (et non pas frustre, comme on l'entend dans le film) qui frustre.

J'avais prévenu !

J'en connais qui y sont allés pour rigoler !

Je l'aurais vu dans d'autres conditions, mon avis n'aurait sans doute pas été le même (quoique). Normalement, Marko devrait aimer ça (j'ai l'impression d'être sur Facebook).

traversay a écrit:

Je l'aurais vu dans d'autres conditions, mon avis n'aurait sans doute pas été le même (quoique). Normalement, Marko devrait aimer ça (j'ai l'impression d'être sur Facebook).

Je me demande comment je dois interpréter ça?? Au masque et la plume ils étaient divisés et ceux qui ont aimé m'ont quand même donné envie de le voir. J'irai me faire une idée car ce thème de l'hystérie m'intéresse bien.

Marko a écrit:

traversay a écrit:

Je l'aurais vu dans d'autres conditions, mon avis n'aurait sans doute pas été le même (quoique). Normalement, Marko devrait aimer ça (j'ai l'impression d'être sur Facebook).

Je me demande comment je dois interpréter ça?? Au masque et la plume ils étaient divisés et ceux qui ont aimé m'ont quand même donné envie de le voir. J'irai me faire une idée car ce thème de l'hystérie m'intéresse bien.

Tu dois bien l'interpréter ! Dans le sens où c'est un film qui requiert un (gros) effort, qui ouvre la porte à plusieurs interprétations, et qui a de belles qualités visuelles. Si on adhère d'emblée, on peut aimer beaucoup (il y a plus de pour que de contre dans la presse et c'est l'inverse chez les spectateurs. Phénomène courant).

traversay a écrit:

Tu dois bien l'interpréter ! Dans le sens où c'est un film qui requiert un (gros) effort, qui ouvre la porte à plusieurs interprétations, et qui a de belles qualités visuelles. Si on adhère d'emblée, on peut aimer beaucoup (il y a plus de pour que de contre dans la presse et c'est l'inverse chez les spectateurs. Phénomène courant).

Ok. J'irai le voir ce soir

Au fond des bois


"Dieu est une bête sauvage"

J'ai trouvé ce film magique et réussi de bout en bout.

Benoît Jacquot est un cinéaste passionnant qui s'est toujours intéressé au désir féminin et au magnétisme amoureux à travers des fictions esthétiquement à la fois classiques et expérimentales. Au fond des bois s'inspire d'une histoire réelle du XIXe siècle pour revisiter le genre du film fantastique à travers un récit qui se situe entre le naturalisme du fait divers et le conte de fée maléfique proche du vampirisme (la marque au fer rouge dans le cou remplaçant la morsure du vampire). Isild Le Besco m'a irrésistiblement rappelé Isabelle Adjani dans Nosferatu , de la même façon qu'on pourrait se souvenir pour les scènes d'hystérie de la même Adjani dans Adèle H. ou Possession. Mais je redoutais le grand-guignol alors que les quelques séquences d'envoûtement (potentiellement plus ou moins simulé et consenti d'ailleurs, complice même) sont au contraire étrangement fascinantes à regarder. Tout le personnage joué par Isild Le Besco est d'une rare intensité et je la trouve presque tout le temps exceptionnelle. L'enjeu du film étant de montrer la montée progressive de ce désir et l'errance quasi somnambulique qu'il entraine. C'est Nosferatu à l'ère de l'hystérie et de l'hypnose (Charcot et Freud vont bientôt arriver).



C'est aussi une très belle histoire de désir et d'amour contrarié. On suggère assez clairement qu'elle ne pouvait faire autrement que de le dénoncer pour sauver son honneur de jeune fille de bonne famille... Mais elle est en même temps manipulatrice et sans état d'âme car il reste quand même à l'arrivée sa déroutante "belle indifférence" hystérique qui surprend tous ceux qui l'approchent, à commencer par le policier chargé de l'interroger. Elle est un très beau personnage idéalement interprété car c'est incroyablement casse gueule et difficile à faire sans sombrer dans le ridicule.

La photographie est magnifique que ce soit dans les scènes d'intérieurs, les ambiances nocturnes, la nature, les taudis ou la forge. J'ai été stupéfait par la musique de Bruno Coulais qui a composé une partition splendide dont j'ai cru pendant tout le film que c'était un concerto pour violon du compositeur contemporain Jonathan Harvey. Elle est étrange, hypnotique, très moderne en créant une atmosphère qui sublime l'image.

Nahuel Perez Biscayart avec son regard d'enfant émouvant et ses transes démoniaques est à la fois Jean-Baptiste Grenouille du "Parfum" et Terence Stamp dans Théorème. Une divinité du désir qui est à la fois Dieu et le Diable. Il est repoussant et séduisant, inquiétant et émouvant, primaire et raffiné, énigmatique et presque irréel à la fin dans sa candeur désarmante. Son étrange diction lui donne une aura de créature non-humaine ou de sorcier. Leur couple fonctionne très bien et Benoît Jacquot les dirige parfaitement.

Cette intrusion du merveilleux, du conte fantastique, et du mythe au sein d'une fiction naturaliste est une de mes plus belles surprises de cinéma de ces derniers mois.