Lecture en commun - Jules Barbey d'Aurevilly L'ensorcelée

Pareil , comme je viens d'ouvrir les yeux , que le café est chaud , c'est parti

t'inquiètes il y a aura au moins un gros panda tout lent.

lu la présentation et une partie de l'introduction hier soir... la suite de l'intro je l'ai abandonnée ce matin pour cause de "je raconte le livre".

lu ce matin le tout début (présentation de la lande et petit moment de l'auberge). renvois lourdingues aux notes parfois lourdingues aux notes en fin de bouquin. j'irai rechercher la n°10 tout à l'heure) . Mais le texte et l'atmosphère commencent à venir à bout de cet agacement

Je me suis passé des notes. La description de cette lande, qui est pratiquement personnifiée comme dans les romans romantiques, a beaucoup d'allure. Elle est, plus qu'un endroit géographique, un état d'âme qui permet à Barbey d'Aurevilly de faire l'apologie de l'imaginaire et de la folie contre l'industrialisation et le scientisme qui tendent à vouloir nous priver de cette part d'archaïsme et de magie nécessaires à la vie humaine. Cette lande nous conduit à une taverne inquiétante, "Le Taureau rouge", qui semble un lieu sentinelle comme dans la tradition des romans gothiques ou fantastiques. Les personnages sont pitoresques et les dialogues hauts en couleur. On sait que ce récit nous parlera d'un monde en train de disparaître. Celui des contes et légendes et celui de la chouannerie. Nous suivons les pas d'un fermier dans la nuit et le brouillard et l'histoire principale peut commencer à travers son récit. L'atmosphère et l'écriture sont un régal.

Marko a raison, Animal, zappe les notes. Je ne sais pas quelle édition tu as, mais dans beaucoup il n'y a aucune note. Le livre est parfaitement compréhensible sans. Après si tu veux avoir des infos détaillées sur le contexte historique, sur Barbey, sur les modèles qui ont inspirés ses personnages, à la limite dans une relecture. Mais la première fois, il faut se laisser porter par l'histoire.

Moi je lis les notes ( vraiment une écolière irrécupérable) , je ne dis pas que je ne pourrais pas m'en passer mais je veux tout savoir de cette oeuvre

voilà, votre lecture est commencée et j'essaierai de suivre vos commentaires (pour le plaisir)

à tantôt et bonne lecture à vous

On rentre dans le vif du sujet , celui où va nous être contée l'histoire terrible de l'abbé de la Croix-Jugan .Je reviens juste un peu sur les 2 premiers chapitres dont a parlé Marko , déja les mots prennent tout un sens et contribuent à créer cette atmosphère si particulière que seul Barbey D'aurevilly parvient à produire.
Pour aimer cet auteur , il faut aimer les mots , les descriptions des caractères et des lieux sont un appel à l'imagination et à la force de représentation .

le premier lieu évoqué après la lande , c'est une auberge "le taureau rouge" ( je n'ai pas pu m'empêcher de penser au film "l'auberge rouge" ), cabaret plutôt mal famé tenu par une vieille femme.Celle -ci indique au narrateur une direction, extrait :

Alors elle allongea son bras sec, et , m'indiquant la ligne qu'il fallait suivre, elle me donna une de ces explications compliquées , inintelligibles , où la malice narquoise du paysan, qui prévoit les embarras d'autrui et qui s'en gausse par avance , se mêle à l'absence de clarté qui distingue les esprits grossiers et naturellement enveloppés des gens de basse classe

C'est si vrai qu'on ne peut s'empêcher de sourire , même si les opinions politiques et plutôt réactionnaires de l'auteur n'emportent pas toujours la sympathie.

Tout est comme cela avec cet auteur , complètement aux antipodes des idées révolutionnaires de son époque , mais si habile aux tournures , aux mots et aux formules truculentes , que ses idées politiques passent finalement au second plan , c'est la ferveur qui l'emporte , la magie du récit , bref c'est le Diable en personne ce monsieur.

Page 41.
10. Ce passage écrit en marge et travaillé montre le souci de bien marquer à travers le paysage la tristesse.

terriblement utile cette note 10. Je continue cependant à les lire, certaines sont a peu près aussi utiles mais d'autre pourquoi pas.

j'ai lu cette après-midi le chapitre II qui achève d'introduire l'histoire. Mise dans l'ambiance réussie, et on se dit que ça promet. Suspens au rendez-vous. Plein d'images qui viennent dans la tête, on se croirait presque de l'autre côté de la Manche, ou plus loin. C'est marrant comme ce fantastique et ce mystère, et cette manière peut-être d'exposer, je ne les associe pas à la France. Héhé. faudra que je me promène dans cette contrée un jour (encore un projet toujours remis aux années suivantes).

C'est vrai que les théories sur la population font un peu datées mais ça participe de l'ambiance et de la distance du narrateur sur ces deux chapitres. Et comme il trouve du bien, ça passe je trouve.

Bouh je n'ai pas encore commencé, trop occupée ce week end mais j'espère que demain, ça ira mieux. Ca a l'air bien en tout cas.

animal a écrit:

Page 41.
10. Ce passage écrit en marge et travaillé montre le souci de bien marquer à travers le paysage la tristesse.

terriblement utile cette note 10. Je continue cependant à les lire, certaines sont a peu près aussi utiles mais d'autre pourquoi pas.

Hé hé, je saute plein de notes, et après je les lis d'un coup, parfois en survolant. Histoire qu'il n'y en ait pas une qui me gâche le plaisir (comme la 4° de couv' que je n'ai pas lue).

J'ai été un peu perturbé de découvrir à la fin du chapitre 2 que, en fait, ce n'était qu'une introduction.
J'aime ce qu'en dit une note :" Une certaine lenteur de l'imagination impose à Barbey ce long préambule" (page 296).
Lenteur de l'imagination. Ah.
Après, on lit que "le romancier crée ainsi l'atmosphère, le climat, qui lui sont indispensables". Là, d'accord.
Le climat, tiens, me rappelle un peu Leo Perutz. Le côté historique avec une once de fantastique dramatique que l'on sent percer...

Le roman commence ainsi :

Citation :

La lande de Lassay est une des plus considérables de cette portion de la Normandie qu’on appelle la presque île du Contentin.

Voilà le décor planté, nous sommes dans le Contentin, et dans une lande déserte. Et l’auteur nous dit à quel point il est sensible à ce décor :

Citation :

…on ne saurait dire l’effet qu’elles produisent sur l’imagination de ceux qui les traversent, de quel charme bizarre et profond elles saisissent les yeux et le cœur. Qui ne sait le charme des landes ?

Mais elles sont menacées :

Citation :

Haillons sacrés qui disparaîtront au premier jour sous le souffle de l’industrialisation moderne ; car notre époque, grossièrement matérialiste et utilitaire, a pour prétention de faire disparaître toute espèce de friche et de broussailles aussi bien du globe que de l’âme humaine. Asservie aux idées de rapport, la société, cette vieille ménagère, qui n’a plus de jeune que ses besoins et qui radote de ses lumières, ne comprend pas plus les diverses ignorances de l’esprit, cette poésie de l’âme, qu’elle veut échanger contre de malheureuses connaissances, toujours incomplètes, qu’elle n’admet la poésie des yeux, cachée et visible sous l’apparente inutilité des choses. Pour peu que cet effroyable mouvement de la pensée moderne continue, nous n’aurons plus, dans quelques années, un pauvre bout de lande où l’imagination puisse poser son pied pour rêver, comme le héron sur une de ses pattes. Alors, sous ce règne de l’épais génie des aises physiques qu’on prend pour de la civilisation et du progrès, il n’y aura ni ruines, ni mendiants, ni terres vagues, ni superstitions comme celles qui vont faire le sujet de cette histoire, si la sagesse de notre temps, veut bien nous permettre de la raconter.

Déjà au milieu du XIXem siècle on pestait contre les effets néfastes du progrès techniques, le sujet n’est pas neuf. Mais heureusement, au temps où le roman fut écrit, la lande existait encore et nous allons pouvoir rentrer dans le vif du sujet.

Notre narrateur voyage dans la lande, et doit même la traverser. Il demande le meilleur chemin à l’auberge du Taureau Rouge. Mais la patronne fait la sourde oreille, et donne des explications peu compréhensibles. Et lui propose un guide avec qui faire le voyage. Le narrateur se méfie, l’auberge est mal famée, la patronne visiblement pas très bien intentionné. Heureusement le compagnon de voyage, maître Tainnebouy, se révèle un homme digne de confiance, et le narrateur n’hésite pas à s’engager dans sa compagnie dans une traversée nocturne de la dangereuse lande.
Les voilà partis dans le brouillard qui se lève…..




Maître Tainnebouy connaît bien la lande et prend le bon chemin. Les deux hommes bavardent et font connaissance. Mais la jument du maître trébuche, elle boîte. Ce serait la vengeance d’un de ses bergers nomades, qui traversent le pays et qui ont la réputation de jeter des sorts. Nos deux voyageurs en sont réduits à marcher à pieds dans le noir. A minuit, une mystérieuse cloche sonne neuf coups. Maître Tainnebouy en est sûr, c’est la cloche qui sonne la messe de l’abbé de La Croix-Jugan. Et donc cette histoire va nous être contée maintenant, et constitue le véritable sujet du livre.

Citation :

Ce fut alors que je demandais à mon compagnon de voyage de me raconter l’histoire de l’abée de La Croix-Jugan et la brave homme ne se fît point prier pour me dire ce qu’il en savait.

Dans ces deux premières chapîtres, il s'agit de planter le décor, et susciter la curiosité du lecteur pour la suite de l'histoire, la placer aussi dans le réel, au délà de ce qu'il y a dans les livres d'histoire, les personnages dont on va parler ont existé, des gens les ont connu, côtoyé. Mais ne vous attendez pas à quelque chose de trop linéaire, l'auteur adore enchevêtrer les histoires, et mélanger les époques.

Arabella a écrit:

Dans ces deux premières chapitres, il s'agit de planter le décor, et susciter la curiosité du lecteur pour la suite de l'histoire, la placer aussi dans le réel, au délà de ce qu'il y a dans les livres d'histoire, les personnages dont on va parler ont existé, des gens les ont connu, côtoyé. Mais ne vous attendez pas à quelque chose de trop linéaire, l'auteur adore enchevêtrer les histoires, et mélanger les époques.

Du réel, peut-être... mais ces histoires de malédiction, de cloche, de voyage dans une contrée mystérieuse, cette histoire racontée, tout ça amène bien au-delà du réel...

Cela n'est pas réaliste, mais l'auteur essaie de justifier la véridicité de ce qu'il va raconter, en disant quelque part, j'y étais, j'ai entendu la cloche, en plus j'ai vérifié les faits dans les sources d'une certaine façon.

Arabella a écrit:

Cela n'est pas réaliste, mais l'auteur essaie de justifier la véridicité de ce qu'il va raconter, en disant quelque part, j'y étais, j'ai entendu la cloche, en plus j'ai vérifié les faits dans les sources d'une certaine façon.

C'est vrai !
Dans les notes, il est dit que dans une première version, le narrateur disait avoir écrit l'histoire comme ça, dans la nuit, juste après avoir l'avoir entendu de son compagnon.
Alors que la version définitive insiste bien sur son enquête, le temps qu'il y a pris. Comme s'il fallait convaincre le lecteur.

Chapitre 4

le chouan blessé et défiguré dans le chapitre précédent est en fait le fameux abbé de La croix-Jugan , et on assiste alors à la première fois où Jeanne Le Hardouey le voit lors des vêpres de Blanchelande.

la description de l'église est à elle seule un trésor de littérature (p90) , ce que j'avais déja remarqué dans "Les Diaboliques".

Les patronymes sont également hauts en couleurs , Jeanne Le Hardouey dont le nom de jeune fille est Madelaine de Feuardent , la commère et vieille fille se nomme Nônon Cocouan , rien n'est donné au hasard , tout suscite l'éveil dans cette lecture.

Un petit passage sur "les commères " , car il y a beacoup de connotations sociologiques dans ses descriptions:

Je sais bien qui c'est , ma chère dame, dit Nônon Cocouan, avec cet air ineffable et particulier aux commères, et ceci n'est point une injure, car les commères , après tout,sont des poétesses au petit pied qui aiment les récits, les secrets dévoilés , les exagérations mensongères , aliments éternels de toute poésie.Ce sont les matrones de l'invention humaine qui pétrissent, à leur manière les réalités de l'histoire

Pour l'instant point de surnaturel , seules affleurent quelques superstitions et vieilles croyances paysannes
En parlant du vieux presbytère :

On disait que c'était un lieu hanté par les mauvais esprits et qu'on y rencontrait parfois de gros chats , qui marchaient obstinément à côté de vous et qui tout à coup se mettaient à vous dire bonsoir avec des airs fort singuliers

j'imagine trop bien la scène......

Quand Jeanne La hardouey voit le prêtre (encore inconnu) pour la première fois , officiant lors des Vêpres:



Le prêtre inconnu, au capuchon noir, alors à genoux, près de l'officiant , toujours rigide comme la statue du Mépris de la vie, taillée pour mettre sur un tombeau

La statue du Mépris de la vie pour qualifier quelqu'un ......tout de suite je mets un visage et une expression sur ce quelqu'un , c'est l'art de Barbey D'Aurevilly.