Lecture en commun - Jules Barbey d'Aurevilly L'ensorcelée

Houla, elle va vite darkanny...

J'ai aussi pensé à L'auberge rouge, tiens, alors que je ne sais même pas ce que c'est, juste vu la bande annonce d'un film, et bien aimé l'image de l'auberge perdue au milieu de nulle part.

Et justement, c'est très imagé sans être trop décrit, l'est fort ce Barbey.

J'aime bien, mais sans grande excitation, cette introduction, avec les deux gars sur le cheval au milieu du brouillard et des dunes. L'ambiance se pose, mais il bavasse un peu trop à répétition sur l'évolution de l'homme, le monde moderne tout pourri...etc... mais bon, c'est pas lourdingue non plus. C'est juste que j'aime pas trop le côté didactique (me fait penser au truc de Diderot : Jacques le Fataliste). Alors j'attends, je patiente.

Aime bien, les expressions à la Normande, je les entends, vu que j'en connais qui parlent un peu comme ça (quoique son herbager s'exprime vraiment drôlement bien pour le coup!).


J'ai décidé de zapper les notes. Parce que ça coupe trop, et ça apporte quoi de plus à ce que l'auteur veut nous donner ? Je les lirais peut-être après.

oui Queenie je vais un peu vite car les jours qui viennent , j'aurai beaucoup moins de temps

comme toi les expressions à la normande , elles valent leur pesant

Je vais laisser tomber cette lecture, je n'aurai pas le temps, mais je le lirai plus tard et en attendant, je lirai vos commentaires

Nous faisons enfin connaissance de l’abbé de La Croix-Jugan. Enfin, d’un Chouan anonyme d’abord, en l’an six de la Révolution, dont nous apprendrons tout en fin ce chapitre qui il est. Mais soyons honnêtes, nous nous doutons bien quel est le personnage que nous suivons. Nous le voyons de l’extérieur, l’écrivain se fait presque cinéaste, il observe des mouvements, des gestes, à aucun moment nous ne savons ce que pense ou ressent notre fier abbé. Et nous le voyons tenter de se suicider. Un pêché mortel qui doit l’envoyer forcement en Enfer, sans aucun espoir de rémission. Mais le diable ne veut pas de lui (ou pas encore), et il est ramassé par une vieille femme. Ensuite, les soldats bleus pensent l’achever, avec la braise sur le visage blessé. Mais cette fois encore il ne succombe pas. Deux fois réchappé du feu infernal, le personnage a vraiment touché de trop près le brasier du diable, pour revenir complètement intact du voyage.





Là nous quittons les préambules pour aborder l’action du roman à proprement parlé. La date n’est précisée, pour un roman historique on nous laisse dans le flou. Enfin il s’agit d’une époque de normalisation, les églises ont rouvert leurs portes. Cela tombe bien, le chapitre commence dans une église, pendant l’office.

Citation :

Or, ce jour-là précisément, à ces vêpres qui, plus tard, lui devinrent fatales, une femme, jeune encore, assistait dans un des premiers bancs de l’église qui touchaient au chœur.

Et nous suivons donc cette femme, Jeanne-Madeleine de Feuardent, devenue par son mariage Jeanne Le Hardouey. Un mystérieux prêtre, que Jeanne ne connaît pas officie à la messe, éveillant la curiosité de Jeanne. Il exerce du premier regard, un mystérieux pouvoir sur notre héroïne :

Citation :

Jeanne eut peur, elle l’a avoué depuis, en voyant la terrible tête encadrée dans ce capuchon noir ; ou plutôt non, elle n’eut pas peur : elle eut un frisson, elle eut une espèce de vertige, un étonnement cruel qui lui fit mal comme la morsure de l’acier. Elle eut enfin une sensation sans nom, produite par ce visage qui était aussi une chose sans nom.

A la sortie de la messe Jeanne apprend que le prêtre au visage effrayant est l’abbé de La Croix-Jugan. Ce dernier aurait refusé d’être évêque dans la nouvelle configuration politique, et va être un simple officiant à Blanchelande.

Jeanne rentre chez elle.

La rencontre entre les deux principaux personnages a eu lieu.





Dans ce chapitre nous faisons réellement connaissance avec Jeanne. Après sa saisissante entrée en scène lors de la messe où apparaît La Croix-Jugan, l’auteur nous explique qui elle est.

Citation :

Pour bien comprendre cette préoccupation nouvelle, si soudaine et si diabolique, dont elle devait être plus tard la victime, il faut dire ce qu’était alors Jeanne-Madeleine Feuardent, femme par mariage du maître Thomas Le Hardouey.

Noble de naissance, suite à des déconvenues de la famille et surtout à la Révolution, qui nivela les classes sociales, Jeanne a du se résoudre à épouser maître Le Hardouey, un paysan enrichi entre autres par l’achat des biens nationaux, anciens biens de l’église ou des nobles. Plus vieux qu’elle, au physique peu avantageux et au caractère pas facile, Jeanne l’épouse pour échapper à la condition de devenir ouvrière ou domestique. Tout en se sentant déclassée par ce mariage, et n’aimant pas son mari, ne l’estimant pas. Regrettant le noble nom paternel.

En quelques paragraphes ramassés, Barbey D’Aurevilly nous laisse deviner tous les regrets, souffrances, frustrations de cette vie de femme, en apparence de si bonne mine. Et laisse entrevoir les raisons pour lesquelles elle pourra s’embraser. D’autant plus qu’elle a de qui tenir, sa mère Lousine à la Hache qu’elle a peu connue, était une sacrée personnalité.

Là, nous rentrons à l’intérieur du personnage, de ses ressentis, même s’ils ne sont pas complètement explicités. Alors que nous voyons l'abbé de La Croix-Jugan de l'extérieur.

Arabella a écrit:

Cela tombe bien, le chapitre commence dans une église, pendant l’office.

Citation :

Or, ce jour-là précisément, à ces vêpres qui, plus tard, lui devinrent fatales, une femme, jeune encore, assistait dans un des premiers bancs de l’église qui touchaient au chœur.

Voilà, c'est ce genre de trucs qui me font penser à Leo Perutz : on donne une info qui n'en est pas une, parce qu'elle ne fait qu'intriguer le lecteur, sans lui donner vraiment d'information, ou même en le trompant. Ce n'est pas le seul endroit du bouquin, je crois.

Il adore les virgules, Barbey, les phrases pas simples, pleines de circonvolutions...

Chapitre 8 , encore un passage fameux sur ces "commères " que Barbey d'Aurevilly du coup, sort de l'ombre en leur donnant un rôle non négligeable.

C'étaient toutes les deux ce qu'on appelle de ces langues bien pendues qui lapent avidement toutes les nouvelles et tous les propos d'une contrée et les rejettent tellement mêlés à leurs inventions de bavardes que le Diable , avec toute sa chimie, ne saurait comment s'y prendre pour les filtrer.

savoureux

eXPie a écrit:

Citation :

Or, ce jour-là précisément, à ces vêpres qui, plus tard, lui devinrent fatales, une femme, jeune encore, assistait dans un des premiers bancs de l’église qui touchaient au chœur.

Voilà, c'est ce genre de trucs qui me font penser à Leo Perutz : on donne une info qui n'en est pas une, parce qu'elle ne fait qu'intriguer le lecteur, sans lui donner vraiment d'information, ou même en le trompant. Ce n'est pas le seul endroit du bouquin, je crois.

Il adore les virgules, Barbey, les phrases pas simples, pleines de circonvolutions...

C'est ce qui fait son charme (enfin pour ceux qui aiment), ce style en circonvolutions, en volutes. Pas seulement les virgules qu'il utilisent à fond, les deux points, le point virgule... La ponctuation pour donner un rythme à la phrase.

Laisser entendre les choses, donner une info sans préciser vraiment, plutôt laisser entendre, oui, bien sûr, mais en même temps, c'est le type de roman qui veut ça. Tromper vraiment le lecteur, je ne pense pas, il y aura vraiment un événement tragique à la messe....
En même temps, cette façon de dire les choses sans les dire tout à fait, c'est aussi un choix, cela correspond à l'extrait que j'avais mis au début, qui se trouve dans le premier chapitre

Citation :

...la société...ne comprend plus les divines ignorances de l'esprit, cette poésie de l'âme, qu'elle veut échanger contre de malheureuses connaissances toujours incomplètes, qu'elle n'admet la poésie des yeux, cachée et visible sous l'apparente inutilité des choses.

Il y a toujours une part d'incertitude, et je crois que Barbey choisit de laisser une partie de l'interprétation au lecteur, parce que la poésie de l'inexpliqué, est plus forte qu'une histoire complètement ficelée, et quelques part fausse. Parce que personne, pas même l'auteur ne sait tout.

darkanny a écrit:

Chapitre 8 , encore un passage fameux sur ces "commères " que Barbey d'Aurevilly du coup, sort de l'ombre en leur donnant un rôle non négligeable.

C'étaient toutes les deux ce qu'on appelle de ces langues bien pendues qui lapent avidement toutes les nouvelles et tous les propos d'une contrée et les rejettent tellement mêlés à leurs inventions de bavardes que le Diable , avec toute sa chimie, ne saurait comment s'y prendre pour les filtrer.

savoureux

Il adore épingler les petits et grands travers des gens, il peut se montrer impitoyable dans ses observations. Finalement chacun de ses personnages suscite la critique à tel ou tel moment. Tous ont leurs faiblesses.
Même la noblesse qu'il semble tellement admirer, de la façon dont il la dépeint avant la Révolution, on se dit qu'elle est forcement condamnée, et on applaudit à sa chute. Totalement décadente, toute la société de l'Ancien Régime qui apparaît par moments, est assez révoltante, au contraire même des principes qu'elle était sensé défendre. Mais en même temps, l'auteur ne peut s'empêcher d'être fasciné par ce monde, mais j'ai la sensation que c'est de la nostalgie pour des choses disparues à jamais.

Oui et c'est aussi qu'il est issu d'un milieu roturier mais anobli , il puise aussi dans ses souvenirs d'enfance , il dépeint ce qu'il connaît , les nobles , les paysans , les gens du clergé , sa seule antipathie , je dirais que c'est la bourgeoisie , synonyme à l'époque de révolution , d'idées neuves que son esprit traditionnaliste ne peut supporter.

Dans sa folle jeunesse, il fut adepte de la démocratie, de gauche dirait-on aujourd'hui. Pour virer extrême droite.

Etant né né en 1808, il n'a pas connu l'Ancien Régime, et donc peut fantasmer dessus en toute impunité, c'est le monde d'avant. Le bourgeois, je ne sais pas si c'est tellement l'esprit novateur au 19em siècle, en fait ils ont pris possession du pouvoir, et donc d'une certaine façon défendent leurs privilèges contre les pauvres. C'est les bourgeois qui seront le support de Louis-Philippe et de Napoléon III.

Il a connu l'Empire (il a même servi pour l'empire) mais aussi la restauration , on voit bien que c'est un royaliste malgré les errements par ci par là , ce qui n'exclut pas une distance vis à vis de toutes les tendances politiques du moment , mais il le dit clairement , des forts doivent gouverner des plus faibles , pas question de céder aux tentations bourgeoises du moment où tout un chacun était à même d'exercer une parcelle de pouvoir , et en plus c'est un catholique forcené.

Il ne me semble pas que dans l'idéologie bourgeoise de l'époque tout le monde était sensé exercer une parcelle du pouvoir. Uniquement ceux qui avait un revenu suffisant, ce qui excluait de fait la majorité de la population. Le pouvoir n'était plus réservé aux nobles, mais aux gens ayant un certain revenu (le vote censitaire, c'est à dire à partir d'un certain revenu plancher). Il y a une coupure avec 1830 et Louis-Philippe, "le roi bourgeois", et évidement, après le très bref épisode révolutionnaire, Napoléon III, le plus bourgeois des souverains, la Restauration pur et dure prend fin, Barbey avait 22 ans à l'époque. Je crois que s'il déteste autant les bourgeois, c'est parce qu'ils sont détenteurs du pouvoir et décideurs à son époque, et qu'il profondément "contre". Un perpétuel insatisfait, pourfendant la société de son époque, en premier lieu, et la nature de l'homme en général.

Un esprit profondément pessimiste, ayant une vision assez négative de la nature humaine. C'est parce qu'il ne fait pas confiance à l'Homme en général qu'il est contre la démocratie.

Epi a écrit:

Je vais laisser tomber cette lecture, je n'aurai pas le temps, mais je le lirai plus tard et en attendant, je lirai vos commentaires

Je lis vos commentaires aussi et je les trouve très intéressants. Belle discussion.

Nezumi a écrit:

Epi a écrit:

Je vais laisser tomber cette lecture, je n'aurai pas le temps, mais je le lirai plus tard et en attendant, je lirai vos commentaires

Je lis vos commentaires aussi et je les trouve très intéressants. Belle discussion.

J'espère que cela te donneras envie de lire Barbey

Arabella a écrit:

Un perpétuel insatisfait, pourfendant la société de son époque, en premier lieu, et la nature de l'homme en général.

Un esprit profondément pessimiste, ayant une vision assez négative de la nature humaine. C'est parce qu'il ne fait pas confiance à l'Homme en général qu'il est contre la démocratie.

voilà , exactement.

Zut je suis à la bourre ! Je vais tenter de lire quelques pages encore ce soir et attend encore un peu avant de lire vos commentaires