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| Max Frisch [Suisse] | |
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Auteur | Message |
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églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Dim 2 Juin 2013 - 7:49 | |
| - kenavo a écrit:
- tom léo a écrit:
- Après des avis positifs sur Montauk, de mon coté un petit b-moll. Ma lecture date d'il y a longtemps, mais l'auteur me paraisait assez... nombriliste dans ce livre.
tu n'étais pas censé être en route pour l'Espagne?? Mais oui, tu as raison de le mentionner, ce livre peut aussi donner cette impression en ce qui me concerne, j'étais tout d'abord touchée par sa volonté de se dévoiler, j'éprouve ses romans souvent très sobre, presque froid, en tout cas distancé... tandis qu'ici il ose ouvrir un peu la "boîte de Pandore" de son passé et c'est naturel qu'il va se trouver au centre de ses propres souvenirs... chez moi, cela a fonctionné pour m'intéresser plus au personnage qui se trouve derrière l'auteur
En tous cas difficile de trouver ses oeuvres en Médiathèque ! J'aimerais bien le découvrir : j'attends de trouver des livres d'occasion en traduction française mais ce n'est pas évident ! Et puis je suis assez sceptique concernant le choix du premier livre pour "entrer en amitié" avec cet écrivain ! | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Dim 2 Juin 2013 - 7:56 | |
| - églantine a écrit:
- Et puis je suis assez sceptique concernant le choix du premier livre pour "entrer en amitié" avec cet écrivain !
Homo Faber, à mon avis un de ceux qui donne le mieux l'impression de ce qu'il sait faire... et qui peut donner l'idée si on veut continuer ou pas avec lui | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Dim 2 Juin 2013 - 22:04 | |
| Pour ma part, j'ai adoré ses Esquisses pour un troisième journal. Pas très chronologique, mais très intime. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 13 Juin 2013 - 10:37 | |
| Homo Faber
Walter Faber est ingénieur, représentant de l'ordre des homo faber, ceux qui fabriquent des outils. Et il s'en tient là. Sa pensée, ultra rationnelle et technico scientifique ne peut pas être polluée par des idées telles que le destin, la fatalité, la poésie du monde.
Solitaire, cynique, buvant et fumant avec excès, Walter Faber est un séducteur de jeunes femmes, un ours mal léché, un sauvage mal élevé. Mais parfois la mécanique a des sursauts étranges et des accès d'humanité traverse notre héros. Il peut alors se prendre d'amitié pour un jeune allemand se perdant dans la jungle d'Amérique Centrale ou éprouver une sorte d'amour amitié pour une jeune fille à peine sortie de l'adolescence.
Mais ce qui surprend surtout dans le récit de Max Frisch c'est la position narrative choisie par l'auteur. Car il s'agit et le sous-titre est explicite d'un : rapport. Un homme fait le bilan de sa vie à partir du jour où son corps lui faisant défaut il tente de ne pas prendre un avion qu'il finira par prendre et qui le guidera vers les années passées de son existence. Dans l'esprit de Faber le destin n'existe pas et la vie se résume à des axiomes mathématiques, vérifiables, inéluctables et définis. Il faudra ce rapport pour comprendre qu'il n'en est rien et que la vie d'un être ne peut être réduite à une formule de probabilités.
La position du narrateur est donc celle d'un homme faisant un bilan. A chaque étape, le lecteur est tenu au courant de ce qu'il va découvrir et que le personnage ne sait pas encore. Ce qui donne une drôle de sensation au lecteur, celle d'être au bord d'un gouffre avec à ses côtés Walter qui ne sait pas encore qu'il va tomber alors que tout le monde autour de lui le sait déjà.
Et ce n'est évidemment pas un hasard si Walter (comme une sorte d'Œdipe moderne) rencontre son destin sur une plage de Corinthe ou le spectre de l'inceste l'assaille sans même qu'il le perçoive. Un destin qui prend évidemment la forme d'un serpent (Eve et Eurydice ne sont pas loin)… mais les références sont subtilement amenées et même si souvent le personnage gratte un peu, il finit par devenir une sorte d'oncle grincheux mais attachant.
Quant à l'écriture, sèche, hachée, syncopée, quasiment haletante et stricte, elle est à l'exacte mesure de cet homme sans respiration, terre-à-terre et profondément conscient des éléments.
Il faut d'ailleurs souligner la beauté, la poésie (inattendue) de certains passages (en particulier des descriptions de ciels ou de la mer) qui mettent parfaitement en lumière toute l'ambivalence de ce texte déroutant : à la fois égocentrique et technocrate, lyrique et émouvant…
Une très belle découverte.
Dernière édition par shanidar le Jeu 13 Juin 2013 - 11:03, édité 1 fois | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 13 Juin 2013 - 10:43 | |
| Chouette ( ) commentaire Shanidar ! Tu donnes de nouvelles ouvertures de lecture sur Homo Faber qui renforcent mon envie de le lire | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 13 Juin 2013 - 11:00 | |
| et pour te donner encore plus envie GGG, voici le tout début de ce roman :
Extrait première page :
Nous décollâmes de La Guardia, New York, avec trois heures de retard en raison des tempêtes de neige. Notre appareil était, comme d'habitude sur ce parcours, un Super-Constellation. Je m'installai tout de suite pour dormir, il faisait nuit. Nous attendîmes encore quarante bonnes minutes sur la piste; neige devant les phares, de la neige poudreuse, des tourbillons sur la piste; ce qui me rendit nerveux et m'empêcha de m'endormir aussitôt, ce ne fut pas le journal que notre stewardess distribua, First pictures of world's greatest air crash in Nevada, nouvelle que j'avais déjà lue à midi, mais bel et bien cette vibration dans l'appareil immobile dont les moteurs tournaient -sans compter le jeune Allemand à côté de moi que je remarquai tout de suite; je ne sais pourquoi, il se faisait remarquer en ôtant son pardessus, en s'asseyant, en tirant sur les plis de son pantalon, en ne faisant rien du tout qu'attendre le départ comme nous tous, simplement assis dans son fauteuil, un blond à la peau rose qui d'emblée se présenta, avant même qu'on eût bouclé les ceintures. Je n'avais pas retenu son nom, les moteurs vrombissaient l'un après l'autre pour l'essai à pleins gaz.
J'étais mort de fatigue.
Ivy, pendant les trois heures de retard qu'avait prises l'appareil, m'avait fatigué de ses discours; pourtant elle savait que par principe je ne me marie pas.
J'étais content de me trouver seul. Enfin le départ
. | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 13 Juin 2013 - 11:09 | |
| Evidemment, je veux connaître la suite ... Tentatrice ! | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 13 Juin 2013 - 11:14 | |
| - GrandGousierGuerin a écrit:
- Evidemment, je veux connaître la suite ...
Tentatrice ! Ce qu'il y a de bien dans cet extrait c'est qu'on y trouve à peu près tout ce qui fait le roman à lire : le voyage (et tous les aléas que cela implique : retard, voisin bavard, incertitude, agacement, nervosité), la misanthropie du personnage, son cynisme, son égoïsme distant et en même temps il ne peut s'empêcher d'être parasité par les autres parce qu'au fond il n'est pas si antipathique que ça... une pointe d'humour (noir), la richesse de la ponctuation, l'alternance de phrases longues et de phrases très courtes, le 'je' omniprésent... et une condescendance certaine envers les autres et les femmes en particulier (typique des années 50-60...). etc. | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 27 Juin 2013 - 13:34 | |
| Homo Faber (1957) Semi-réflexion sur le hasard et la fatalité, Homo Faber est le récit presque fantastique d’une rencontre qui n’avait qu’une chance sur des milliards de se produire, qui aurait mieux fait de ne pas se produire, mais qui s’est produite quand même, impliquant des personnages qui n’avaient absolument pas conscience du caractère maudit de ce coup de dés. Max Frisch, avec son détachement habituel qui peut être signe de dérision comme il peut être l’annonce d’une lassitude dépressive, nous raconte le tout comme s’il s’agissait de rien : un accident d’avion, une longue attente dans la solitude sauvage de l’Amérique du sud, un voyage en paquebot, un amour incestueux, une mort envenimée, les retrouvailles d’un amour ancien… Comique sans le vouloir, tragique malgré lui, cet homonyme de Max Frisch qui, dans le livre, se nomme Faber, décrit tout ce qui lui arrive du point de vue de la technique –ne croyant en rien qui puisse le déterminer avant l’heure, il croit toutefois fermement à son identité de technicien : « Je ne crois pas à la fatalité ni au destin, en tant que technicien j’ai l’habitude de m’en tenir au calcul des probabilités. Pourquoi fatalité ? […] Je ne vois point la nécessité d’une mystique pour admettre l’improbable en tant que phénomène ; les mathématiques me suffisent. »Et de se justifier, tout au long du roman, du hasard qui a conduit Faber à réaliser ce qui pourrait passer pour une effroyable fatalité. Même s’il ne s’agit que de décrire certaines coïncidences, le ton de Faber est parfois tel que lui-même semble frappé par l’extraordinaire des circonstances. En choisissant un horaire de décollage différent, il n’aurait pas vécu cet accident d’avion, il n’aurait pas connu son voisin de siège, il n’aurait pas eu envie de bifurquer un temps aux Etats-Unis pour retrouver une maîtresse ennuyeuse, il ne l’aurait pas fuie en prenant le paquebot… Sur le paquebot, il aurait très bien pu passer à côté de Sabeth sans lui parler ; après lui avoir parlé, ils auraient très bien pu ne plus se revoir ; si elle n’avait pas été aussi tenace, ils n’auraient pas fait de voyage ensemble, ils auraient pu visiter des contrées différentes, ils auraient pu ne jamais croiser la route du serpent ; enfin, Faber aurait pu ne jamais apprendre la vérité de la relation qu’il noua avec Sabeth. Faber semble vouloir avant tout convaincre son lecteur de l’inexistence du destin ; quant à lui, on l’image commencer à en douter lorsque les allusions aux mythes anciens se font de plus en plus fréquentes. On retrouve de l’Œdipe inversé, la vengeance des Erinyes et le serpent, révélateur de la vérité qui provoque le mal –piégés dans une boucle à la façon de l’éternel retour appliqué à l’échelle humaine. La démonstration aurait pu être tonitruante, implacable : même cette ressemblance de la fatalité avec d’autres mythes tragiques n’est qu’un hasard –Faber n’en démord pas : tout est hasard, la mort aussi, et elle ne vaut pas la peine qu’on s’y attarde. Mais cette démonstration échoue justement de nous avoir convertis à la thèse : puisque tout est hasard, cette histoire malheureuse ne mérite pas plus d’extase qu’une autre. Le ton du technicien nous en détache, parvenant seulement à nous provoquer lorsque la discordance entre l’environnement et l’état intérieur de Faber transforment ce personnage en Houellebecq-avant-l’heure : « Ma hantise : cancer de l’estomac. Sinon, heureux. »Max Frisch avait destiné son Homo Faber à être le roman qui abolit la fatalité prédéterminée d’une existence –son Homo Faber échappera lui aussi à cette destinée et s’il réussit à nous captiver, c’est davantage par le ton cynique de celui qui en raconte l’histoire que pour l’implacabilité de sa démonstration du hasard. - Citation :
- « La probabilité (que sur 6 000 000 000 de coups de dé à six faces, le « 1 » sorte approximativement 1 000 000 000 de fois) et l’improbabilité (qu’exceptionnellement il se trouve six « 1 » sur six coups de dé avec le même dé) ne diffèrent pas en leur essence, mais uniquement sous le rapport quantitatif, et c’est simplement la plus grande quantité qui d’emblée paraît plus vraisemblable. Mais quand, pour une fois, l’improbable surgit, il n’y a là rien de supérieur, point de miracle ou autre chose semblable, comme le prétend le profane. Quand nous parlons de probabilité, l’improbabilité y est toujours comprise, et ce en tant que cas limite du possible, et lorsque surgit l’improbabilité, il n’y a, pour nous autres, pas lieu de s’étonner, d’être bouleversé, de fabuler. »
Un autre exemple pré-Houellebecquien ? (voire Cioranesque) - Citation :
- Je sentais mon estomac. (Je fumais trop !)
Jadis, au XIe ou au XIIIe siècle, il devait y avoir toute une ville ici, dit Herbert, une ville maya. Je m’en fous ! *peintures de Raphaël Delorme : - Le grand paquebot - Vénus au voile bleu | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 27 Juin 2013 - 13:43 | |
| - animal a écrit:
Et par là-dessus une multiplicité de thèmes directement abordés ou non... histoire, politique, actualité, un regard sceptique sur une partie du monde moderne (les américains d'alors sont habillés pour l'hiver... ) et le rapport à soi, l'âge, le temps, le sentiment de la vie... le besoin de comprendre, se comprendre, se savoir (ou se contrôler)... voire de s'éprouver. Un ensemble assez complet et critique qui se dessine et est vivement intéressant. Sans facilités, rien que l'histoire... des circonstances peu banales pour se révéler.
C'est vrai que les américains en prennent pour leur grade ! Un petit exemple : - Citation :
- « THE AMERICAN WAY OF LIFE : une tentative de cosmétiquer la vie, mais la vie ne se laisse pas cosmétiquer. »
- Citation :
- « THE AMERICAN WAY OF LIFE :
Leur laideur, comparée aux gens d’ici : leur peau rose de saucisse à frire, horrible, ils ne vivent que grâce à la pénicilline, c’est tout, avec cela les airs qu’ils prennent, comme s’ils étaient heureux, parce qu’Américains, parce que dépourvus de complexes, alors qu’ils ne sont que cabotins et bruyants […], comme ils passent leur temps à gober les mouches, la main gauche dans la poche de leur pantalon, l’épaule appuyée contre le mur, le verre dans l’autre main, détendus, les protecteurs de l’humanité, leur façon de donner une tape sur l’épaule, leur optimisme, jusqu’à ce qu’ils soient saouls, puis la crise de sanglots, liquidation de la race blanche, le vacuum entre leurs cuisses. » - shanidar a écrit:
Il faut d'ailleurs souligner la beauté, la poésie (inattendue) de certains passages (en particulier des descriptions de ciels ou de la mer) qui mettent parfaitement en lumière toute l'ambivalence de ce texte déroutant : à la fois égocentrique et technocrate, lyrique et émouvant…
C'est vrai... et je dirais : une poésie géométrique ! | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 27 Juin 2013 - 14:03 | |
| Quel arrivage ! Quel Coli(s) ! Merci ... Et Homo Faber gagne quelques places dans ma PAL | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 29 Juin 2013 - 13:17 | |
| C'est ce que je lui souhaite ! | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Dim 30 Juin 2013 - 18:45 | |
| Montauk
Entre journal et œuvre de fiction, difficile de dire de quoi il s’agit au juste. Le personnage de ce récit à la première personne s’appelle Max, est écrivain, et vient passer un certain temps aux USA pour des conférences, la promotion de ses écrits. Et passe quelques jours à la fin de son séjour avec une jeune femme, qu’il a rencontré dans le cadre professionnel. Et ce (ou ces ) voyage sont une façon de se souvenir, de creuser autour de choses vécues, finies. Max va avoir 63 ans, et sa vie est plus proche de sa fin que de ses débuts. On ne peux pas vraiment parlé d’un bilan, plutôt de souvenirs obsédants, de choses qu’il découvre finie, révolues, alors qu’elle vivent d’une certaine façon en lui. Donc c’est un des thèmes, cette façon d’avoir vivant en soi quelque chose de mort, qui est peut être aussi réel que le monde tangible du jour même, ou peut être que ce dernier n’a pas plus de réalité que ce qui fut un jour.
C’est très narcissique, parce que toutes ces personnes qui ont fait ou qui font partie du voyage, n’existent qu’en fonction du narrateur, on les saisit pas vraiment autrement que dans le regard de Max. Mais c’est quelque part la règle du jeu. Et la difficulté d’avoir une vraie intimité avec l’autre fait aussi partie des thèmes du livre.
C’est une œuvre très personnelle, entre intimité et distance. Max Frisch a une façon de mettre à distance ce qu’il évoque, qui fait que cela ne donne pas la sensation d’être en train de lire un journal, un compte rendu d’événements vécus, l’évocation de personnes réelles. Il y a dans l’écriture comme une mise en perspective, qui décale, donne un autre sens. | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Mar 30 Juil 2013 - 12:09 | |
| Don Juan, ou l’Amour de la Géométrie (1953) Le mythe de Don Juan intrigue. Comment un homme séduisant, attirant à lui toutes les femelles des alentours et répondant visiblement avec plaisir à leurs avances, peut-il ne sembler jamais satisfait de sa situation, et continuer à volager avec une inconstance presque tenace ? A toutes les réponses audacieuses, psychologisantes ou mythologiques possibles, Max Frisch ajoute son hypothèse techniciste : Don Juan aime la géométrie. Pour peu que l’on se souvienne des paroles son homologue dans Homo Faber (« Je ne crois pas à la fatalité ni au destin, en tant que technicien j’ai l’habitude de m’en tenir au calcul des probabilités. […] les mathématiques me suffisent »), on pourrait à nouveau imaginer que le Don Juan de cette pièce de théâtre a largement été inspiré par la personnalité de Max Frisch lui-même. Sous la forme d’un vaudeville plus comique que tragique –puisque Don Juan souffre peu, au contraire des femelles de sa cour-, qui utilise les masques et les déguisements comme autant de ruses mathématiques permettant d’échapper aux unions définitives pour mieux se rapprocher de la solution de l’indépendance, Don Juan mettra en scène ce que les autres considèreront comme son mariage afin de se retirer loin de Séville et de pouvoir se livrer à sa seule et plus puissante passion : celle de la géométrie. Au-delà du rapport pathologique qui lie Don Juan aux femmes, on trouvera une confession joliment déguisée de Max Frisch… N’était-ce pas lui qui se plaignait souvent dans ses romans des contraintes que lui imposaient ses relations ? Qu’il s’agisse d’art ou de technique, l’homme passionné est le même (et c’est peut-être cette évidence qui l’irrite et qui lui fait écrire, dans Homo Faber : « […] il m’agaçait comme tous les artistes qui se croient supérieurs ou inférieurs, simplement parce qu’ils ne savent pas ce qu’est l’électricité »), trop éthéré et détaché des nécessités de la vie réelle pour se préoccuper d’autre chose que de lui-même. Les relations sont une contrainte, lorsqu’il l’idéal de l’esprit est une source de plaisir indéniable qu’il faut malheureusement trop souvent sacrifier au caprice des autres. Mais alors que dans Homo Faber, le personnage se complaisait dans cette situation, Don Juan devra se remettre en question lorsqu’il rencontrera la femme qui, en l’attachant à elle, lui rendra sa liberté et lui permettra de consacrer sa vie à la géométrie, sans n’être plus jamais entravé par les broutilles de ses amourettes. « Pourquoi ne crois-tu pas en une femme, Juan, une fois seulement ? C’est la seule voie qui mène à ta géométrie. »Cela semble peu romantique ? En réalité, cela l’est terriblement… pour la science. L’amour relève ici du platonisme mathématique. L’autre amour, plus conventionnel, celui qui se fait reconnaître par le mariage, apparaît seulement comme un moyen permettant à chaque membre du nouveau couple ainsi établi d’atteindre sa propre fin. Max Frisch signe ici la fin d’une liaison réussie, et si elle paraît si troublante, c’est peut-être seulement parce qu’elle abolit toute passion amoureuse. Entre mélancolie et soulagement, cette nouvelle version du mythe de Don Juan laisse songeur… - Citation :
- DON JUAN : L’as-tu jamais éprouvé, l’étonnement tranquille que procure une connaissance juste ? par exemple : la définition d’un cercle, la précision d’un lieu géométrique ? J’aspire à ce qui est net, sobre et exact, mon ami. Le marécage de nos états d’âme m’épouvante. Jamais encore la vue d’un cercle ou d’un triangle ne m’inspira confusion, ni dégoût. Sais-tu ce que c’est qu’un triangle ? Une chose inévitable comme un destin : des trois éléments que tu possèdes ne peut résulter qu’une figure et une seule et l’espoir, l’apparence de possibilités à l’infini qui si souvent jette le trouble dans notre cœur, se dissipe comme une chimère devant ces trois segments. Une solution et une seule, dit la géométrie. Une solution et non pas la première venue.
Une étude approfondie de cette pièce : ICI *image de Fritz Kahn | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Mar 30 Juil 2013 - 12:27 | |
| Bravo pour le commentaire Coli ! Vraiment bizarre cette pièce de Frisch ... | |
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| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] | |
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| | | | Max Frisch [Suisse] | |
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