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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 9 Aoû 2014 - 21:33
chouette commentaire qui ravive efficacement le souvenir de la lecture, j'y retrouve bien cette sensation de mise (ou maintient) à distance par une grille de lecture moderne (méchanico-positiviste) de la vie et de l'importance de ce qui n'y rentre pas ou s'en échappe, les failles résurgentes du système scrupuleusement choisi aux allures de mythe.
très bon souvenir !
églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 9 Aoû 2014 - 21:49
animal a écrit:
chouette commentaire qui ravive efficacement le souvenir de la lecture, j'y retrouve bien cette sensation de mise (ou maintient) à distance par une grille de lecture moderne (méchanico-positiviste) de la vie et de l'importance de ce qui n'y rentre pas ou s'en échappe, les failles résurgentes du système scrupuleusement choisi aux allures de mythe.
très bon souvenir !
Oui chouette commentaire qui me donne envie de le relire : j'avais été déçue ...probablement passée à côté , ce n'était peut-être pas le moment ! Pour moi ça réveille une frustration ; il faudra que je comble ça ! Merci Sullien de me remotiver !
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 28 Mai 2015 - 22:43
Guillaume Tell pour les écoles (1970)
Publié chez nous au Héros-Limite en 2014.
Vus l'auteur et le titre on se doute que ça va gratter... Guillaume Tell image de l'indépendance et de la liberté à la Suisse, héros, symbole, valeur nationale. La pomme sur la tête de son fils et le meurtre de l'injuste bailli des Habsbourg.
Max Frisch propose donc à son lecteur une révision de la légende selon deux axes complémentaires.
Tout d'abord il entreprend de nous raconter à nouveau cette histoire mais du point de vue du bailli. Un homme dont on ne sait d'ailleurs pas avec certitude s'il serait Grisler ou Konrad von Tillendorf, son appellation commune dans le texte étant de chevalier ventripotent. Un bonhomme là pour affaires et mal à l'aise dans ces montagnes hostiles, malade du foie et la proie de terribles migraines il n'a qu'une hâte, celle de rentrer au plus tôt chez lui. Victime fatiguée.
Ensuite en regardant de plus près ce qu'on peut savoir des faits passés ou présents, une façon de confronter les images à la réalité à travers les nombreuses notes. Des notes qui en fait représentent une moitié du livre, alternées à pars égales avec le texte lui même, on procède ainsi par étapes.
Tout cela nous amène à considérer les valeurs que l'on fait porter à l'homme devenu icône et la façon de réécrire une histoire ou de construire une mythologie identitaire. Exit le héros simple défenseur des simples, bienvenue rustaud représentatif d'une peuplade renfermée sur elle-même et outil d'une élite locale soucieuse de conserver ses privilèges.
Sans surprise ça peut se lire avec sourire et attention. Si la part la plus suisse peut échapper (je crois) à l'étranger, l'exercice de style par rapport au subtile mélange de mythe et d'identité n'en reste pas moins tout aussi piquant que stimulant. La mise à mal de certitudes et d'un sentiment de contentement est loin d'être sans intérêt !
Très suisse comme cuisine ?
Citation :
Evidemment il ne soupçonnait pas qu'il était en Suisse primitive, dans le berceau de notre liberté. En tant qu'étranger - qu'il était en tout cas, qu'il soit le chevalier Konrad ou Grisler - il avait de quoi s'étonner. Le fromager qui chaque jour lui apportait du lait tirait une de ces têtes que c'était à se demander s'il n'avait pas pissé dans la bouteille. Comme c'est aujourd'hui encore le propre des étrangers, le chevalier ventripotent remarquait une foule de particularités atypiques ou que seuls les autochtones étaient capables d'apprécier. Par moments, il lui arrivait de prendre peur devant ces montagnards : il ne pénétrait pas leurs âmes.
Les apparences pouvant avoir l'air un peu faciles, on peut se rappeler un peu le contexte par exemple à la fois de guerre froide avec ce machin dont j'ai oublié le nom (Maline ???) distribué à toute la population pour bien résister à la subversion et diverses menaces communistes, la volonté d'une image claire après la seconde guerre mondiale (eux aussi tous gentils, pour simplifier) et une image parfois plus problématique de pays accueillant :
Citation :
13
"Saleté d'étranger" [fremden Fötzel] est, en dépit du tourisme, une expression encore aujourd'hui très utilisée en Suisse centrale. Elle dénote d'un a priori négatif vis-à-vis de l'étranger. A ma connaissance, il n'existe à ce jour aucun ouvrage de référence au sujet des relations entre l'hôtellerie et la xénophobie. La xénophobie rurale, un phénomène naturel, surtout dans les étroites vallées, n'a pas du tout disparu malgré un tourisme florissant (en 1964 : 32 325 000 nuitées sur le territoire de la Confédération). Une certaine dévotion vis-à-vis de l'étranger, pour autant qu'il soit solvable, n'entre pas en contradiction avec le particularisme suisse.
(qui n'est peu-être pas que suisse... )
Dans tous ça il ne faudrait pas complètement perdre les mentions faites d'autres légendes suisses et d'ailleurs (l'archer, le seigneur, le fils et la pomme) qui donnent aussi un peu de perspective à la drôle de chose qu'on pourrait envisager comme construction d'une culture populaire.
Ça a l'air vache comme bouquin mais ce n'est pas bête et ça fait une bien jolie petite curiosité qui gratte, qu'on soit suisse ou non !
Et mention spéciale pour le clou du spectacle (la scène de la pomme) revisité avec un très plausible mélange de maladresse, d'incompréhensions et d'emballement généralisé. Revisité mais vaut toujours comme clou du spectacle ?
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Ven 29 Mai 2015 - 19:12
Merci animal ! Pour les germanophones, j'ai trouvé HomoFaber expliqué par les Playmobils ... Apparemment il y en aurait d'autres comme le Werther de Goethe. J'aimerai bien une version franchouillarde ...
kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Ven 29 Mai 2015 - 21:26
animal a écrit:
Guillaume Tell pour les écoles (1970)
comme on peut le prédire par une partie du titre, dans mon temps, ce livre était au programme de lecture à l'école ton commentaire me remet quelques images de ce livre en tête, mais cela fait quand même un bail que je l'ai lu
les playmobils, je me les garde pour demain matin
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 30 Mai 2015 - 8:17
GrandGousierGuerin a écrit:
J'aimerai bien une version franchouillarde ...
tu veux dire que toi aussi regrette parfois ton allemand insuffisant ?
c'était vers quel âge/quelle classe kenavo ?
kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 30 Mai 2015 - 8:41
je viens de regarder le clip playmobil... merci GGG, je suis vraiment navrée pour ceux qui ne peuvent pas comprendre l'allemand, c'est tout à fait délicieux!
animal a écrit:
c'était vers quel âge/quelle classe kenavo ?
dans mon temps, Max Frisch était un auteur très présent dans nos cours de lecture, je ne sais pas s'il l'est encore aujourd'hui, mais à ce moment il y avait Andorra, Stiller et sa version de Guillaume Tell au programme... cela dépendait aussi un peu selon le prof, mais si je me rappelle bien, Guillaume Tell était vers 14-16 ans (cela n'aide pas si je te donne la designation de nos classes et je ne connais pas les vôtres)
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 30 Mai 2015 - 8:45
c'est luxe, je ne crois pas qu'on m'aurait donné un livre comme ça à lire ?
kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 30 Mai 2015 - 8:57
animal a écrit:
c'est luxe, je ne crois pas qu'on m'aurait donné un livre comme ça à lire ?
hm... je ne saurais pas te dire si c'est du 'luxe' mais je sais que dans toutes les classes à partir de 12 ans la lecture de livres dans les langues instruites est chose normale chez nous, ainsi des quatre heures par semaine pour une langue (allemand, français, anglais), il y avait une à deux heures consacrées à la lecture... les profs reçoivent une liste avec des 'lectures recommandées' et ainsi, selon le prof il y a eu plutôt classique, plutôt moderne... mais on sortait après 7 ans avec un bon support de connaissance de la littérature des pays concernés
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 30 Mai 2015 - 9:05
à 14-16 ans j'ai eu droit à Top Gun en allemand.
kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 30 Mai 2015 - 9:06
oh quelle poisse!
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 30 Mai 2015 - 20:22
animal a écrit:
GrandGousierGuerin a écrit:
J'aimerai bien une version franchouillarde ...
tu veux dire que toi aussi regrette parfois ton allemand insuffisant ?
Ja ...
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Mer 23 Sep 2015 - 13:52
L’Homme apparaît au Quaternaire (1979)
« (Les romans ne conviennent pas du tout, ces jours-ci, on y parle de gens dans leur rapport à eux-mêmes et aux autres, de pères et de mères et de filles ou de fils et de leurs amours, etc., d’âmes, principalement malheureuses, et de la société, etc., comme si, pour tout cela, le terrain était assuré, la terre une fois pour toutes la terre, la hauteur du niveau de la mer réglée une fois pour toutes.) »
Après une telle observation, Monsieur Max Frisch, il n’est pas question que vous nous écriviez un roman du même acabit. Certes, les romans d’analyse sentimentale peuvent résoudre un problème ou permettre de passer un bon moment, mais lorsqu’il n’y a plus que du sentiment et de l’émotion pâle, la courbe s’inverse, on en vient à détester les sentiments, surtout lorsqu’ils sont bons. M. Geiser n’a pas ce type de problème : il est vieux et il vit seul depuis longtemps, avec le souvenir de sa défunte épouse dont il ne conserve plus qu’un portrait mal réalisé dans le salon. Du salon, le portrait finira bientôt à la cave : M. Geiser a besoin de place sur ses murs pour accrocher ses notes. Puisqu’il n’a plus rien à faire de ses journées, et puisque sa mémoire commence à s’étioler, M. Geiser passe son temps à lire des dictionnaires, des documents scientifiques et la Bible. Tout ce qui lui semble important, il le recopie sur de petites feuilles volantes qu’il épingle à son mur.
« Pour le moment, M. Geiser n’a aucun besoin du nombre d’or, mais savoir tranquillise. »
M. Geiser pourrait aussi bien s’amuser à se promener dans la nature. Après tout, il habite dans la belle campagne suisse, là où il ne se passe rien. Mais la nature elle-même n’est plus coopérante comme avant. Elle est figée, dégradée, aussi vile que l’homme, elle aurait bien besoin de lire les vieux bouquins pour se souvenir de ce qu’elle était dans le passé. Mais peut-être est-ce à cause de ces vieux bouquins qu’on imagine que la nature se montrait plus vaillante dans l’ancien temps ?
« Les figues ne mûrissent pas, mais bien les raisins. Beaucoup de châtaigniers ont le cancer. En automne, les bûcherons sont à l’ouvrage, pendant des jours on entend le crépitement de leur scie électrique, sans voir les hommes dans le bois. »
Et puis, il ne se passe rien non plus quand on se promène et qu’on marche tout seul, « la plupart du temps, on ne pense à rien du tout en marchant ». Et pourtant, complètement inconscient, alors qu’il ne cesse de pleuvoir depuis des semaines, M. Geiser décide un jour d’escalader une montagne, comme dans le bon vieux temps, alors qu’il était encore jeune et vaillant. Il découvre ceci : « La maison que M. Geiser a quittée à l’aube, sa maison, qui se trouve à présent dans une autre vallée, n’appartient presque plus au présent lorsque M. Geiser songe qu’il a habité là pendant quatorze ans ».
Voilà, ni plus ni moins. Fallait-il se donner tout ce mal de vivre pour si peu ? Pour rien ? S’il y a quelque chose à apprendre dans toute cette histoire, c’est que le phénomène scientifique et la connaissance n’ont rien de glorieux. Passé l’âge de force où on peut encore parader de ses quelques petites réussites devant un public compatissant, l’accumulation du savoir permet juste de repousser à plus tard l’extinction définitive des feux.
Ne pleurons pas, Max Frisch n’a pas voulu écrire un roman sentimental. Et c’est génial.
Gasteropoda by Edward Wadsworth
Citation :
« Comment se forment le flux et le reflux, comment les volcans, comment les massifs montagneux, etc., M. Geiser l’a su un jour. Quand sont apparus les premiers mammifères ? En revanche on sait combien de litres contient la cuve à mazout et quand part le prochain car postal, pour autant que la route ne soit pas coupée, et quand le dernier. »
Citation :
« Sa mémoire se vérifie : un vaste col, des pâturages, des murs de pierres sèches en carré et une forêt avec des clairières, surtout des feuillus (mais ce sont des hêtres, pas des bouleaux) et quelques maisons disséminées (pas des étables mais des résidences d’été qui sont abandonnées) et sur la prairie découverte le chemin se perd, c’est presque toujours comme ça. (…) La certitude que personne ne peut savoir où M. Geiser se trouve en ce moment, M. Geiser y a pris plaisir ».
Citation :
« Que signifie holocène ! La nature n’a pas besoin de noms. Cela, M. Geiser le sait. Les pierres n’ont pas besoin de sa mémoire. »
Combien de chances y avait-il, sans Shanidar, pour que je découvre cet étrange roman d'un auteur qui m'était parfaitement inconnu ? N'ayant jamais brillé par des compétences mathématiques ou techniques particulières, je ne saurais le dire. Il y a ici des commentaires tout à fait judicieux sur ce livre (Shanidar, Colimasson, Sullien...) et je n'aurais pas grand chose à ajouter de nouveau. L'histoire de Walter c'est comment un homo faber se transforme en homo sapiens. Walter est une sorte d'être bionique qui se méfie de tout ce qui est vivant : mares stagnantes ou pullulent têtards et microbes, instinct effréné de la reproduction, surpopulation... Walter s'intéresse aux turbines et aux rasoirs électriques. Mais voilà, la vie et son corollaire, la mort, va venir le rattraper à la cinquantaine. Celle-ci est omniprésente : accident d'avion, plus de courant électrique pour se raser, oiseaux charognards, pendaison... La vie également, sous la forme d'une jeune fille qu'il séduit, qui l'a séduit, mais sans coup de foudre, ni sans réticences. Walter préfère le Campari (il n'est pas le seul !) aux chef-d’œuvres de l'art italien. Peu à peu, insidieusement tout bascule ; on se retrouve à divaguer la nuit dans la campagne corinthienne en jouant sur des métaphores et en assistant éblouis au lever du soleil sur le golfe ; plus tard, on connait des moments de contemplation de pur bonheur en observant les cireurs de chaussures et les jeunes filles de La Havane (Chamaco, il y a vraiment dans ce livre, des pages très très belles sur Cuba). De Metropolis on se retrouve dans Eschyle et Euripide, et sans le vouloir vraiment, Walter, a pleinement réussi sa métamorphose ! Il a vécu pleinement, intensément. Homo Faber est pour moi un grand livre, une formidable découverte. Merci encore Shanidar
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Mar 30 Aoû 2016 - 10:01
Ah quel plaisir de lire ton commentaire ArenSor (un Frisch pour un Ferreira, ça me va bien !!) ! Et cela me donne une terrible envie de lire d'autres livres de Max Frisch ! Merci à toi !