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 Tsai Ming-liang

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Marko
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Tsai Ming-liang - Page 9 Empty
MessageSujet: Re: Tsai Ming-liang   Tsai Ming-liang - Page 9 EmptyDim 1 Juin 2014 - 23:32

Je copie ici le très beau commentaire d'Isabelle Regnier du journal "Le Monde" qui risque de ne plus être disponible bientôt. On a vraiment eu la même perception du film.

Le Monde (Isabelle Regnier) a écrit:
Il est le cinéaste des limbes, de la solitude urbaine, du désespoir moderne. Né en 1957, héritier revendiqué de la Nouvelle Vague française, petit frère des grands maîtres taïwanais Hou Hsiao-hsien et Edward Yang, qui ont placé, au milieu des années 1980, la petite île rebelle au cœur de la planète cinéphile, Tsai Ming-liang a pensé que ce nouveau long-métrage serait peut-être son dernier.

Gravement malade quand il en conçut le projet, au point qu'il pensait ses jours en danger, il avait rompu avec le cinéma, découragé par l'énergie démesurée que demande, aujourd'hui, la continuation d'une œuvre comme la sienne, mue par la seule croyance dans les puissances de son art. Cette condition n'a pas contribué à donner aux Chiens errants une tonalité riante, mais elle éclaire l'ambition de ce film sublime, qui organise la circulation entre le monde des vivants et celui des morts, entre espace physique et espace mental, entre rêve et réalité. Dès le premier plan, qui montre une femme, dans une pièce toute noire aux murs suintants, assise sur un lit où dorment deux beaux enfants, le spectateur est plongé dans un état de quasi-hypnose dont il ne sortira pas.

La parole, comme dans tous les films de ce grand artiste halluciné, est rare et les plans longs. Le spectateur s'abandonne au frémissement des feuilles, au mouvement d'une caresse sur un visage, au son de la pluie diluvienne qui emporte le film dans son flux, refabrique inconsciemment le hors-champ qui vibre aux bords du cadre. Lorsqu'il voit les lumières de la salle se rallumer après deux heures et dix-huit minutes de film qui ont passé en un claquement de doigts, c'est comme s'il avait été tiré d'un rêve.

Les Chiens errants met en scène un moment dans la vie de Hsiao-kang, personnage récurrent dans le cinéma de l'auteur, né de ses projections sur l'acteur Lee Kang-sheng. Depuis qu'il a vu le jour en 1989, dans le téléfilm Tous les coins du monde, cet Antoine Doisnel taïwanais revient dans chacun de ses films sous de nouveaux avatars, toujours plus ou moins déficients sur le plansocial : jeune à mobylette des Rebelles du dieu néon (1992), employé de pompes funèbres dans Vive l'amour (1994), sans-abri dans I don't Want to Sleep Alone (2007), cinéaste tournant au Louvre en proie aux inondations dans Visage (2008).

En un quart de siècle, le monde a changé, l'acteur a vieilli. Le jeune paumé s'est mué en homme-rebut qui passe ses journées posté à un carrefour battu par le vent en tenant à bout de bras une pancarte publicitaire pour une agence immobilière. Un poids mort, invisible, relégué dans les zones périurbaines sans identité, entre semi-campagne marécageuse et échangeurs routiers, condamné àsurvivre dans l'hyper-précariat d'une infraéconomie. Et à subvenir aux besoins de ses deux enfants.

Nouveauté dans le cinéma de Tsai Ming-liang, la présence pathétique, fraîche et délicate de ces deux gamins aux côtés de l'acteur souligne cruellement l'entrée du personnage dans l'âge de la responsabilité à une époque où le monde est devenu plus violent encore qu'il n'était.

A ses enfants, Hsiao-kang n'a rien à offrir qu'un vieux matelas glissé dans un entresol, qu'ils doivent se partager à trois, l'eau froide des toilettes publiques pour se laver, les quelques pièces que rapportent ses heures passées à faire le pied de grue sous la pluie.

Livrés à eux-mêmes, ils tuent le temps dans les rayons d'un hypermarché où leur trajectoire croise celle d'une employée qui récupère en douce la nourriture mise au rebut. Elle s'en sert pour nourrir, la nuit, une meute de chiens sauvages qui a élu domicile dans les ruines d'un immeuble envahi par la végétation, où elle passe de longs moments de stase devant une fresque, représentant elle-même des ruines, dont émane une mystérieuse lumière.

De l'hypermarché, la petite fille reviendra un jour avec un chou dont elle a décidé de faire le doudou le moins cher du monde, et qui devient le point focal du film. Quand ils auront disparu, ce gros légume maquillé, affublé d'une robe en vieux chiffons, sera la seule trace de leur passage dans la soupente, cruel viatique sur lequel Hsiao-kang, désormais seul au monde, déchaînera son désespoir (scène d'anthologie).

Les enfants ont-ils fui ? Sont-ils morts ? La scène suivante les retrouve, en pleine tempête, terrorisés par un père devenu fou, qui les force à monter à bord d'une barque, puis sauvés in extremis par une femme surgie des bois qui les entraîne dans l'antre noirâtre où le film a commencé. Cette femme est la même que celle qui veillait sur les enfants au début du film, et en même temps une autre. La même qui nourrit la nuit les chiens errants, et en même temps une autre. Une figure maternelle à qui le cinéaste a donné trois visages (ceux des actrices Lu Yi-ching, Yang Kuei-mei, et Chen Shiang-chyi).

Propres, en pyjama, le garçon et sa sœur font leurs devoirs, aidés par cette étrange maman, pendant que le papa se détend dans un bain chaud. Un sentiment de paix et de douceur s'installe, mais mâtiné de la sourde terreur que diffuse cette maison aux murs noirs, dont les traces blanches qui les lézardent semblent avoirété causées par une pluie acide.

Est-ce un rêve cauchemardesque ? Est-on déjà dans le pays des morts ? La dimension onirique du film n'atténue en rien sa tonalité désespérée, qui explose dans un inouï champ contrechamp final. Les enfants ont disparu. Ne restent plus que Hsiao-kang et la femme, postés l'un derrière l'autre, face à la fresque, chacun regardant dans une direction différente.
Deux chiens errants, deux blocs de solitude en ruine qui laissent le spectateur terrassé. Comme s'il venait de voir le dernier plan du dernier film de l'histoire du cinéma où s'évanouissaient les silhouettes du dernier homme et de la dernière femme de l'humanité.
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Tsai Ming-liang
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