Lecture en commun - Stendhal : Le rouge et le noir

L'air de rien j'avance dans ma lecture, mais j'aurais un mal fou à en parler. C'est ma troisième lecture, la première fois je n'avais pas aimé du tout (j'étais au lycée), Julien m'avait paru insupportable, je ne le comprenais pas. La deuxième fois j'avais aimé, la complexité et l'évolution du personnage m'avait convaincues. Et là je j'aime encore plus, cette écriture, cette façon de rendre compte du monde d'une élégance rare me font apprécier chaque phrase. Les personnages sont tous plus vrais les uns que les autres, pas sympathiques, loin de là, agaçants souvent, mais comme dans la vie. Julien est tellement jeune au début du roman, il ne connaît rien à rien, et évidemment il pense tout savoir. Mais on est tous passé par là. C'est pour ça que je ne pense pas que ce soit un roman pour adolescents, Julien renvoie une image trop juste de ce moment de la vie, et heurte donc.

Je continue parce que j'aime trop ....

Arabella, moi aussi j'ai beaucoup plus de plaisir à cette relecture et comme tu le dis c'est normal à un âge adulte.

L'écriture aussi est superbe. Les phrases sont étonnantes dans la composition.

Je dévore le livre, j'ai un peu de temps libre jusqu'à demain soir, j'en profite.

Julien est honnête envers ses sentiments et il découvre vite la vérité des personnages qui l'entourent.

J'ai un peu de mal à cerner Julien. Il est précepteur, il enseigne le latin, mais uniquement le latin ?
On nous dit (page 94 édition folio - livre I chapitre VII) "... le peu d'idées qu'il avait étaient relatives aux campagnes de Bonaparte en Italie, ou à la chirurgie. [...]
La première fois que madame de Rênal essaya avec lui une conversation étrangère à l'éducation des enfants, il se mit à parler d'opératins chirurgicales ; elle pâlit et le pria de cesser".
Ca m'a fait rire, mais dès la page suivante on lit : "Comme les amis de la maison ne la gâtaient pas en lui présentant des idées nouvelles et brillantes, elle jouissait avec délices des éclairs d'esprit de Julien".
C'est bizarre, trouvé-je. N'est-ce pas un peu contradictoire ?

A part ça, il est plutôt rigolo, le garçon. Prêt à tout pour réussir, il se veut intelligent mais ne se rend pas compte - lui qui a si peu lu et connaît si peu le monde - à quel point il est naïf. Et il ne se prend pas pour de la merde, c'est souvent comique.

La lecture est facile, le style est clair (mais je n'ai pas bien compris, Livre I, chapitre III, la phrase "- Tu approuves donc mon projet ? di M. de Rênal , remerciant sa femme, par un sourire, de l'excellente idée qu'elle venait d'avoir" - page 57 édition folio - alors que c'est lui, M. de Rênal, qui a pensé le premier à prendre Julien chez lui... Est-ce de l'ironie, de la politesse, ai-je loupé quelque chose, suis-je le seul à ne pas avoir compris ?), mais je n'ai pas encore fait "wouah" comme à la lecture de nombreuses phrases de Flaubert. Si le fait de comparer avec Flaubert a un sens, bien sûr.

eXPie a écrit:

J'ai un peu de mal à cerner Julien. Il est précepteur, il enseigne le latin, mais uniquement le latin ?
On nous dit (page 94 édition folio - livre I chapitre VII) "... le peu d'idées qu'il avait étaient relatives aux campagnes de Bonaparte en Italie, ou à la chirurgie. [...]
La première fois que madame de Rênal essaya avec lui une conversation étrangère à l'éducation des enfants, il se mit à parler d'opératins chirurgicales ; elle pâlit et le pria de cesser".
Ca m'a fait rire, mais dès la page suivante on lit : "Comme les amis de la maison ne la gâtaient pas en lui présentant des idées nouvelles et brillantes, elle jouissait avec délices des éclairs d'esprit de Julien".
C'est bizarre, trouvé-je. N'est-ce pas un peu contradictoire ?

A part ça, il est plutôt rigolo, le garçon. Prêt à tout pour réussir, il se veut intelligent mais ne se rend pas compte - lui qui a si peu lu et connaît si peu le monde - à quel point il est naïf. Et il ne se prend pas pour de la merde, c'est souvent comique.

La lecture est facile, le style est clair (mais je n'ai pas bien compris, Livre I, chapitre III, la phrase "- Tu approuves donc mon projet ? di M. de Rênal , remerciant sa femme, par un sourire, de l'excellente idée qu'elle venait d'avoir" - page 57 édition folio - alors que c'est lui, M. de Rênal, qui a pensé le premier à prendre Julien chez lui... Est-ce de l'ironie, de la politesse, ai-je loupé quelque chose, suis-je le seul à ne pas avoir compris ?), mais je n'ai pas encore fait "wouah" comme à la lecture de nombreuses phrases de Flaubert. Si le fait de comparer avec Flaubert a un sens, bien sûr.

Citation :

- Je veux absolument prendre chez moi Sorel, le fils du scieur de planches, dit M. de Rênal ; il surveillera les enfants qui commencent à devenir trop diables pour nous. C'est un jeune prêtre, ou autant vaut, bon latiniste, et qui fera faire des progrès aux enfants ; car il a un caractère ferme, dit le curé. Je lui donnerai 300 francs et la nourriture.

Cet arrangement convient de plus d'une façon, continua M. de Rênal, en regardant sa femme d'un air diplomatique ;
le Valenod est tout fier des deux beaux normands qu'il vient d'acheter pour sa calèche.
Mais il n'a pas de précepteur pour ses enfants.
- Il pourrait bien nous enlever celui-ci.
- Tu approuves donc mon projet ? dit M. de Rênal, remerciant sa femme, par un sourire, de l'excellente idée qu'elle venait d'avoir. Allons, voilà qui est décidé.
- Ah, bon Dieu ! mon cher ami, comme tu prends vite un parti !

Bulle; Pour ne pas se faire damer le pion par Valenod, il a pris Julien en premier.

eXPie a écrit:

La lecture est facile, le style est clair (mais je n'ai pas bien compris, Livre I, chapitre III, la phrase "- Tu approuves donc mon projet ? di M. de Rênal , remerciant sa femme, par un sourire, de l'excellente idée qu'elle venait d'avoir" - page 57 édition folio - alors que c'est lui, M. de Rênal, qui a pensé le premier à prendre Julien chez lui... Est-ce de l'ironie, de la politesse, ai-je loupé quelque chose, suis-je le seul à ne pas avoir compris ?), mais je n'ai pas encore fait "wouah" comme à la lecture de nombreuses phrases de Flaubert. Si le fait de comparer avec Flaubert a un sens, bien sûr.

Cette m'a arrêtée, elle est je pense assez significative de la façon de mettre en mots de Stendhal, en effet très loin de Flaubert. Mais là je n'ai pas le temps, parce que je pense que l'on peut en dire beaucoup et il faut tout de même que j'aille travailler. Ce soir je vais essayer de dire comment je vois ça.

bulle a écrit:

Citation :

- Je veux absolument prendre chez moi Sorel, le fils du scieur de planches, dit M. de Rênal ; il surveillera les enfants qui commencent à devenir trop diables pour nous. C'est un jeune prêtre, ou autant vaut, bon latiniste, et qui fera faire des progrès aux enfants ; car il a un caractère ferme, dit le curé. Je lui donnerai 300 francs et la nourriture.

Cet arrangement convient de plus d'une façon, continua M. de Rênal, en regardant sa femme d'un air diplomatique ;
le Valenod est tout fier des deux beaux normands qu'il vient d'acheter pour sa calèche.
Mais il n'a pas de précepteur pour ses enfants.
- Il pourrait bien nous enlever celui-ci.
- Tu approuves donc mon projet ? dit M. de Rênal, remerciant sa femme, par un sourire, de l'excellente idée qu'elle venait d'avoir. Allons, voilà qui est décidé.
- Ah, bon Dieu ! mon cher ami, comme tu prends vite un parti !

Bulle; Pour ne pas se faire damer le pion par Valenod, il a pris Julien en premier.

Ah d'accord, Bulle, l'excellente idée en question, ce n'était pas de prendre Sorel, mais juste que Valenod pourrait piquer le petit Julien... C'est vrai que c'est une petite idée...

eXPie a écrit:

bulle a écrit:

Citation :

- Je veux absolument prendre chez moi Sorel, le fils du scieur de planches, dit M. de Rênal ; il surveillera les enfants qui commencent à devenir trop diables pour nous. C'est un jeune prêtre, ou autant vaut, bon latiniste, et qui fera faire des progrès aux enfants ; car il a un caractère ferme, dit le curé. Je lui donnerai 300 francs et la nourriture.

Cet arrangement convient de plus d'une façon, continua M. de Rênal, en regardant sa femme d'un air diplomatique ;
le Valenod est tout fier des deux beaux normands qu'il vient d'acheter pour sa calèche.
Mais il n'a pas de précepteur pour ses enfants.
- Il pourrait bien nous enlever celui-ci.
- Tu approuves donc mon projet ? dit M. de Rênal, remerciant sa femme, par un sourire, de l'excellente idée qu'elle venait d'avoir. Allons, voilà qui est décidé.
- Ah, bon Dieu ! mon cher ami, comme tu prends vite un parti !

Bulle; Pour ne pas se faire damer le pion par Valenod, il a pris Julien en premier.

Ah d'accord, Bulle, l'excellente idée en question, ce n'était pas de prendre Sorel, mais juste que Valenod pourrait piquer le petit Julien... C'est vrai que c'est une petite idée...

Oui il voulait Julien, mais il ne voulait pas que Valenod l'aie en premier. Il a donc accéléré le processus.

Exact Expie le "tu approuves donc mon projet ? de M. de Rénal répond à "Il pourrait bien nous enleve celui-ci" de Mme de Rénal

quant à ta 1ère interrogation, non ce n'est pas contradictoire, Julien n'a que l'instruction que lui ont délivré l'Abbé Chélan et le Major-chirurgien mais il n'est point sot.

La tournure des phrases est assez étonnante et au fur et à mesure l'habituation est appréciation.

Les réactions extrêmes de Julien séduisent.

bonne continuation dans votre lecture.

J'en reviens à la page 57. Il pourrait bien nous l'enlever celui-ci de Mme de Rênal suggére que Valenod, le concurrent de M. de Rênal souhaite aussi s'assurer les services de Julien en tant que précepteur, ainsi que l'idée d'une concurrence, qu'il s'agit forcement de gagner. Donc pour M. de Rênal, c'est une approbation de son envie d'engager Julien, ce qui lui permettrait par ailleurs de gagner sur Valenod.
Mais en fait on ne sait pas vraiment ce que pense Mme de Rênal, qui peut parfaitement lancer une phrase question d'entretenir la conversation, ou qu'elle dit ce qu'elle dit connaissant son mari et sachant à quel point l'idée de la concurrence va le faire réagir, dans son sens habituel. Elle le renforce en quelque sorte dans son fonctionnement habituel. La vie conjugal peut être constituée de ces petites choses.
Parce que le personnage de Mme de Rênal tel qu'il apparaît par la suite, ne paraît pas du tout se placer dans une concurrence avec ses voisins pour le prestige social. Donc pourquoi elle dit cette phrase à ce moment, qui va encore plus donner envie à son maire d'engager un précepteur, alors que par la suite elle va craindre ce précepteur pour les enfants, les punitions éventuelles, sa sévérité, le fait de perdre une partie de son contrôle sur ses fils. Donc à priori, elle ne souhaite pas vraiment ce précepteur.
Mais c'est là aussi l'art de Stendhal, une sorte d'impressionnisme, les personnages disent, des choses, font des choses, il y a des contradictions, des choses pas complètement cohérentes, des non-dits, des suggéstions. Mais dans la vraie vie il y a ce genre de choses, les gens ne sont pas toujours cohérents, font parfois le contraire de ce qu'ils disent, et tous les aspects d'une personne ne peuvent être saisies par quiconque. Et Stendhal a une merveilleuse capacité à traduire ces flottements, ces mystères de chacun au quotidien. Donc impossible de donner un sens clair et unique à tout, il ne faut pas considérer que c'est par maladresse de l'auteur qu'il y a des inconhérences ou des choses incompréhensibles, c'est la façon qu'a Stendhal de capter les personnalités et les mouvements de vie de ses personnages.

j'ai avancé dans ma lecture, lecture qui m'est très agréable ; les caractères des personnages sont très bien exprimés malgré que leurs comportements soient souvent très complexes pour nous lecteur.

Le culot de Julien, son sens de l'honneur présagent bien de son avenir.

Il est réfléchi, parfois trop et sa naïveté le rend gauche mais agréablement.

tu es bienvenue Shay !

refais un essai

d'ailleurs je suis sure que Nezumi regrette de ne pas s'être jointe à nous

Shay a écrit:

Je me permets de lire vos critiques et j'ai une impression de passer à côté de quelque chose. Ce qui me fait plutôt plaisir parce que ça me rappelle pourquoi j'aime me balader sur ce forum.


Faudra-t-il que j'attaque à nouveau ce livre qui m'a laissé un si amer souvenir ?

Peut-être l'as-tu lu dans le cadre de l'école, de tes études ?
Personnellement, lorsque je suis obligé de lire un livre, j'ai une forte tendance à ne pas l'aimer... Heureusement, je n'ai pas été obligé de lire Le Rouge et le Noir à l'école, je préfère largement le lire là, maintenant.
Et, heureusement, je ne participe pas à la chaîne de lecture.

Je ne sais pas si, pour le moment je trouve le personnage de Julien vraiment complexes ; il est bien dessiné, ça c'est sûr. Alors, du coup, on peut le considérer comme complexe, sans doute ; mais je le comprends bien, il ne me semble pas compliqué.
Le personnage de Madame de Rênal - pour le moment - est très classique, la femme à qui son mari est quasi indifférent, mais qui pense que tous les hommes sont des rustres pareillement... qui ne s'imagine pas qu'il y a autre chose.
Les livres sont là pour donner de mauvaises idées à ce petit monde. Surtout les romans, c'est l'horreur ! Ah, que le monde comporterait moins d'histoires sans ces romans qui pervertissent les esprits, enflamment les sentiments...

Je vois effectivement bien le flottement dont tu parles, Arabella, il est léger, comme si Stendhal, parfois, n'était plus totalement sûr de ce qu'il avait écrit quelques pages auparavant.

Dans les notes Folio, un peu trop nombreuses, il est à plusieurs moment fait mention que Stendhal s'enjoignait souvent à lui-même des "devoirs", et c'est donc ce que fait Julien. Il doit faire ceci ou cela, avant tel moment, sinon c'est un lâche. C'est un peu les trucs de cours d'école, les "t'es pas cap'", mais appliqué à soi-même, c'est amusant d'une certaine façon.
"L'ordre que l'on donne à soi-même et une des remarquables constantes des romans de Stendhal et, d'abord, de son propre caractère" (note page 105).
Prendre la main de Madame de Rênal, par exemple.

S'obliger à faire les choses, les devoirs, se forger le caractère en quelque sorte, un effort de volonté sur soi même pour s'obliger à devenir autre chose, on peut trouver cela drôle, peut être même ridicule, surtout en ce qui concerne les choses auxquelles s'astreint Julien et la façon dont il le fait. Une dimension que je n'avais pas perçue, lors des autres lectures, c'est la façon dont Stendhal se moque à certains moments de son personnage, c'en est presque drôle, et à des moments que l'on attendrait pas, la première nuit de Julien et de Mme de Rênal par exemple. Stendhal ne cherche pas à embellir Julien, à le rendre idéal, mais fait une peinture très juste et pas flatteuse de ce très jeune homme, d'autant plus jeune que son expérience est finalement très limitée, il a connu très peu de gens, et peu de situations. Il connaît mal les autres et lui même et essaie d'agir selon des schémas à priori, par ignorance. Il en devient presque touchant, à force de maladresse et de mal être. Cette maladresse en devient presque un élément qui ajoute à la séduction qu'il exerce sur une femme comme Mme de Rênal.

Arabella a écrit:

Cette maladresse en devient presque un élément qui ajoute à la séduction qu'il exerce sur une femme comme Mme de Rênal.

Déjà au début, on a : "Madame de Rênal lui eu bientôt pardonné son ignorance extrême qui était une grâce de plus [...]" (Livre I, chapitre VII - page 88 édition folio).