Apichatpong Weerasethakul

Cemetery of Splendour

J'ai aimé l'ambiance épurée, étrangement apaisante, qui se dégage dès que le caméra observe cet hôpital de fortune, rempli de souvenirs enfouis qui remontent peu à peu à la surface. Weerasethakul évoque des doutes, des angoisses pour mieux les dissiper à travers l'évasion, le rêve, telle une brume incandescente qui semble peu à peu remplacer l'impression figée d'une réalité.

La couleur changeante des néons représente autant d'états d'âme et j'ai été particulièrement sensible à cet instant hypnotique dans un escalator. Cemetery of Splendour n'est pas le film le plus abouti ou le plus ambitieux du cinéaste mais cette méditation exprime une recherche émouvante d'unité et de sens. Les dialogues comblent eux-aussi une absence, révélateurs d'une partie de soi devant être retrouvée et recomposée. Weerasethakul creuse ainsi de nombreux chemins de traverse au fil d'un rythme à l'apparence léthargique, qui laisse toujours la place à l'émerveillement et à une forme de torpeur épanouie.

J'ai vu Cementery of Splendour, et c'est en effet un beau film, très apaisant et planant. Un bon moment. Même si une petite insatisfaction a surgit vers la fin. Comme si le réalisateur cherchait à trop faire plaisir au spectateur, sans une pointe de tension, et de nécessité de remettre en cause ses repères, quelque chose de cet ordre m'a manqué.
Mais vous savez que je cherche toujours la petite bête.

La tension est souterraine. Il n'a d'ailleurs pas sorti son film en Thaïlande et l'a rebaptisé Cemetery of Splendour plutôt que Cemetery of Kings pour ne pas courir le risque d'être accusé de blasphémer sur la royauté. Il a fait ce film comme un adieu à son pays et va le quitter pour vivre et tourner en Amérique latine. Il y a beaucoup de tristesse et de révolte derrière cette surface planante et apaisante. Et ce n'est pas pour rien qu'il fait ouvrir grand les yeux à son héroïne à la fin. Un regard autant éveillé que plein d'effroi Ce film raconte énormément de choses à différents niveaux. Il m'a juste manqué les expérimentations de ses précédents films. Mais c'est très beau. Le dossier des inrocks avec une longue interview de lui vaut la lecture.

Le film est incontestablement très beau. Et qu'il à creuser du côté souterrain, évidemment. Mais les intentions du réalisateur sont une chose, et ce qu'il a fait au final une autre.
Je cite le réalisateur : "...la peur et la tristesse sont les véritables forces motrices de ce film".
Et bien en le voyant j'ai surtout ressenti une sorte de douce mélancolie, parce que les images sont si jolies, en particulier ces lumières chaudes, parce que les gens sourient, et que tout est si policé. C'est sans doute un sentiment plus agréable que la tristesse à vivre. La peur et la tristesse, on y arrive en réfléchissant. Mais un sentiment comme la tristesse, le ressentir c'est autre chose que le penser. Et compte tenu de la forme du film, on ressent quelque chose d'atténué par rapport qu fond souterrain.
Mais c'est un choix du réalisateur, un parti pris, pourquoi pas.

Je crois que toute la singularité et la beauté de son cinema vient de ce calme et de cette douceur incomparables qu'il parvient à distiller comme un baume qui viendrait panser autant ses propres blessures que celles de celui qui le regarde. Oncle Boonmee m'a beaucoup ému par exemple parce qu'il parle de la maladie et de la mort avec une évidence et une simplicité qui les inscrivent dans une continuité entre vivants et morts, nature et monde moderne. Tout converge vers une béatitude très bouddhiste qui console et répare. Mais ce qui se trouve sous la surface est violent et douloureux. Dans Cemetery il se passe des choses magiques et hypnotiques comme si Apichatpong W. voulait exorciser les maux de son pays, les soigner ou les guérir en quelque sorte (ses parents étaient médecins). J'aime la façon dont il unit vivants et morts, futur et passé comme le suggère cette image récurrente de la benne en train de creuser autant pour faire surgir les vestiges des splendeurs (et faits guerriers) du passé que pour édifier une architecture nouvelle (un hôpital ?). La tristesse et la violence y sont endormies pour laisser la place au rêve et à un érotisme ludique et décomplexé. C'est merveilleux.