Apichatpong Weerasethakul

Le réalisateur Victor Erice à propos d'Oncle Boonmee:

Citation :

Victor Erice (Le Monde, 31 août 2010) : "Dans l'article premier du règlement du jury international du Festival de Cannes pour les films en compétition, il est stipulé que le Festival a pour objet 'de révéler et de mettre en valeur des œuvres de qualité en vue de servir l'évolution de l'art cinématographique'. Cette condition suppose une qualité particulière, que les festivals de cinémas, au moment du palmarès, ne distinguent pas toujours. Peut-être par négligence, ou bien en raison de l'absence dans la sélection d'une œuvre répondant à cette exigence. Heureusement, cela n'a pas été le cas de l'édition 2010 du Festival de Cannes, ni de Oncle Boonmee, d'Apichatpong Weerasethakul, un film qui incarne de façon irréfutable cette condition première. C'est ce trait lumineux d'Oncle Boonmee qui a impressionné le plus durablement le jury cannois (...).

Il n'est en rien facile de décrire Oncle Boonmee (...). Il s'agit d'une oeuvre qui se déploie à tant de niveaux différents, où le fantastique et le surnaturel coexistent avec le quotidien, qui ne renonce ni à la chronique ni à l'autobiographie, tout en offrant le témoignage élégiaque sur une culture, qui, à l'image d'un certain type de cinéma, court aujourd'hui le risque de disparaître. Dans ses images, le grand thème de la réincarnation, fondement de la culture locale de laquelle il est issu, est indissociable d'un hommage au cinéma, à sa capacité exceptionnelle à se constituer en machine à voyager dans le temps."

Phantoms of Nabua

Vidéo (10'36) appartenant à son projet d'installation d'art contemporain: Primitive dont fait partie Oncle Boonmee.

Citation :

C’est le soir, un néon éclaire un terrain de jeu désert. À l’écart, sur un écran de fortune de plein air, se distingue l’image d’un village battu à rythme régulier par un éclair. La nuit enfin tombée apparaissent quelques silhouettes de jeunes garçons. À tour de rôle, ils poussent du pied un ballon enflammé qui dessine des traits incandescents dans l’herbe. Toutes les lumières, le néon, l’éclair, le feu se font écho au milieu d’une fumée qui s’élève du sol. Le jeu se précipite jusqu’à ce que le ballon touche l’écran et le consume, provoquant un nouveau spectacle que la petite bande va contempler, dénudant le faisceau du projecteur, rayon sans image. En extrêmement ramassé, ce film entend évoquer un événement historique précis : la guerre et la destruction d’un village, Nabua. Version courte et thaïlandaise, si l’on veut, d’une apocalypse de jadis. Que les soldats soient ici représentés par de jeunes insouciants, et que la mémoire d’un village se conjugue avec celle de la projection cinématographique, dit assez le refus de simplification qui anime, comme dans chacun de ses films, Apichatpong Weerasethakul. Car ce sont moins les événements décrits ou les personnages stylisés qui sont fantomatiques, ainsi que le titre l’indique, que l’horreur elle-même. On comprendra aisément que trouver aujourd’hui une forme filmique à ce massacre, éclairer la nuit, c’est surmonter ce qui, en tant qu’image possible, avait été alors détruit. Il n’est sans doute pas inutile de préciser que ce film faisait partie initialement d’un ensemble de projections appelé Primitive project.

Et la vidéo qui précède Oncle Boonmee: A letter to Uncle Boonmee (17'): Lien (via le blog "Une fameuse gorgée de poison")



Les images sont très belles et il faut prendre le temps de bien rentrer dedans. Pas forcément évident devant un écran d'ordinateur...

Citation :

Avant Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (Palme d'or 2010, s'il faut encore le rappeler), le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul avait réalisé le court-métrage A Letter to Uncle Boonmee. Il propose une lettre filmée qu'il tourne à Nabua, un village situé au Nord-Est de la Thaïlande. C'est une lettre adressée à une personne déjà morte. Filmant la jungle, des maisons récemment abandonnées et des soldats sans but, la caméra flotte là où passé et présent se rejoignent, dans le cycle perpétuel du jour et de la nuit. Ce film de 17 minutes d'une beauté stupéfiante joue sur la mémoire et le temps qui passe et s'imprègne de l'espace par des mouvements de caméra suspendus. Pour puiser à la source de la Palme d'or 2010...

Bon maintenant il faut que je me trouve le DVD d'Iron Pussy son film délirant que j'avais pu voir dans une rétrospective sur Paris il y a quelques temps. Pas facile à trouver apparemment... C'est à peine regardable mais c'est une rareté et un ovni complètement loufoque.

Citation :

Ancien go-go danceur, Iron Pussy, un agent secret androgyne, bagarreur et séducteur, infiltre le château de la respectable Mme Pompidoi. Sa mission : enquêter sur la production illégale d'une drogue psychédélique.

Extrait:

Ça a l'air super lent pour un film délirant-comique-action...

Tu sais comment pourquoi Weerasethakul a fait un tel film ?

Queenie a écrit:

Ça a l'air super lent pour un film délirant-comique-action...

Tu sais comment pourquoi Weerasethakul a fait un tel film ?

J'ai mis juste un extrait mais il y a des scènes plus agitées et parodiques. C'est quand même très bricolé et à l'époque j'avais trouvé ça assez mauvais (une caricature d'un certain cinéma "cheap" de ces pays là). Je voudrais le revoir juste pour savoir s'il racontait quelque chose d'intéressant derrière tout ça.

Apparemment on lui a proposé de réaliser ce film de commande pour l'acteur principal et il a accepté parce qu'il était intéressé par cette idée de la transsexualité comme il s'intéresse à toutes les mutations (transmutation, transfiguration...) et autres réincarnations. Il y a aussi des scènes de jungle vers la fin. Dans le bouquin qu'on m'a offert il dit qu'en Thaïlande il n' y a qu'un même mot pour désigner l'homosexualité et le travestissement dans une perspective un peu diabolique. Il a voulu faire cette comédie pour montrer différentes facettes de ce personnage non pas en tant que travesti mais bien transsexuel. J'ai mis l'extrait où on le voit dans un temple bouddhiste.

C'est aussi un film qui est une sorte de parodie de films thaïlandais des années 60. Il voulait rendre hommage à une actrice célèbre de mélos, équivalent des Bollywood, avec laquelle il aurait voulu tourner:

Citation :

Une actrice thaïlandaise, Petchara Chaowarat, était une icône pendant les années 60 et 70. Mais, en raison du style de production à l’ancienne et de l’usage massif de certains éclairages, la beauté de son regard s’évanouissait (sans parler de l’utilisation excessive de gouttes pour faire briller ses yeux), et elle a fini par disparaitre du circuit. Elle m’a inspiré un de mes films, The Adventure of Iron Pussy (2004).

Même l'affiche s'inspire de celles de ces films kitsch:


Finalement dans tous ses films il rend hommage au cinéma du passé (tout en faisant un pont avec le XXIe siècle). Un monde de fantômes et de magie. Que ce soit le cinéma muet, le cinéma d'auteur européen, ou ici le cinéma populaire.

La bande annonce avec l'horrible musique bruit au Bontempi:

ONCLE BOONMEE

Je viens enfin d’aller voir Oncle Boonmee, dans un moment de grande disponibilité et de calme…

Nous sommes quatre à la séance de 18h…Ce n’est pas pour me déplaire, j’aurais détesté ressentir autour de moi la présence et les impressions d’autres spectateurs.
Bien calée sur mon siège, je me suis recouverte de mon manteau…c’est parti !
Et la magie opère tout de suite…S’agit-il de magie ? D’envoûtement ?
Je me laisse porter et me refuse au questionnement…Je le repousse lorsqu’il affleure…Je sens que je ne comprendrai pas tout, loin de là…Mais cela a plus à voir avec une culture qu’avec un propos intellectuel… Tout est si simple même…à partir du moment où l’on est disposé à passer sans résistance de la vie quotidienne à des séquences oniriques, du passé au présent, du monde des vivants à celui des fantômes…
Alors je m’abandonne …
Je suis comme dans un rêve très doux, et très beau (je necrois pas avoir déjà vu des moments de cinéma plus sublimes que la séquence de la princesse voilée qui se rend en chaise à porteur à la cascade et la séquence qui suit, sur laquelle il ne faut rien dévoiler)…

[b]« Mes films ont la simplicité des longs-métrages d’autrefois et sont conçus pour susciter plusieurs interprétations. Je considère avoir réussi lorsque les spectateurs s’interrogent sur ce qu’ils ont vu et ne sont sûrs de rien. J’aimerais que mes images les habitent longtemps, car un film se ressent avec le corps, mais aussi avec le cœur et l’âme ».(A.W.)[/b]

Après cette première impression, je voudrais cependant avoir le temps de lire quelques décodages (je vais déjà voir ce qui a été écrit sur ce fil !) et de retourner le voir vite avant qu’il ne disparaisse de l’affiche de notre cinéma (avant mercredi prochain donc, cela m’étonnerait qu’il reste programmé plus longtemps)

coline a écrit:

Je suis comme dans un rêve très doux, et très beau (je necrois pas avoir déjà vu des moments de cinéma plus sublimes que la séquence de la princesse voilée qui se rend en chaise à porteur à la cascade et la séquence qui suit, sur laquelle il ne faut rien dévoiler)…

Cette scène est inouïe. Elle est filmée de façon absolument géniale. Mais l'ensemble du film propose des contrastes très inventifs cinématographiquement. Content que tu te sois laissée embarquer

Je pense sérieusement qu'ils diffusaient de la drogue par les bouches d'aération dans vos salles de ciné.

Queenie a écrit:

Je pense sérieusement qu'ils diffusaient de la drogue par les bouches d'aération dans vos salles de ciné.

Et c'était bon et inoffensif!

Le DVD/Blu-ray d'Oncle Boonmee doit sortir le 16 février mais pour les impatients comme moi il est déjà disponible chez Trigon en sous-titres français (apparemment c'est un DVD suisse).

Queenie a écrit:

Je pense sérieusement qu'ils diffusaient de la drogue par les bouches d'aération dans vos salles de ciné.

Droguée au ciné à l'insu de mon plein gré?...Si cela me fair l'effet Oncle Boonmee, j'en redemande...

Bande de Toxicos.

Queenie a écrit:

Bande de Toxicos.