Roman Polanski

colimasson a écrit:

eXPie a écrit:

Mais est-ce fait exprès ? Je veux dire que dans les films d'espionnage, parfois on est carrément paumé (Les Trois jours du Condor ; La Lettre du Kremlin, aussi, si je me souviens bien..)

Ouais mais bon. C'est un peu trop facile comme explication. Moi aussi je vais me mettre aux films d'espionnage si je n'arrive pas à faire un truc qui soit cohérent !

Je suis tout à fait d'accord avec toi. C'est souvent la solution de facilité, une intrigue tellement compliquée que personne n'y comprend rien... Du coup j'ai une certaine réticence vis-à-vis des films d'espionnage (mais ça n'est pas le seul apanage des fils d'espionnage, c'est aussi souvent le cas des films noirs, comme Le Grand Sommeil : je crois que durant le tournage de ce film, Bogart avait demandé au réalisateur, Howard Hawks, pourquoi il se passait telle chose : Hawks ne le savait pas, du coup il téléphone au scénariste - Faulkner ou Brackett - , qui ne le savait pas non plus, vu que c'était déjà comme ça dans le bouquin de Chandler, et je crois que Chandler n'a pas été en mesure de leur fournir l'explication... ; tout ça pour dire que dans ce genre de films, personne n'y comprend rien, mais que finalement ça importe peu : c'est autre chose, l'épaisseur de l'atmosphère, le mystère, qui doivent importer plus que la compréhension ; là encore, je ne dis pas que c'est bien, hein).

Je ne suis vraiment pas faite pour ce genre de films alors ! ça sert à rien que je persiste... (ce sera peut-être un défi pour mes vieux jours si j'ai réussi à relever tous les autres d'ici là).

La Vénus à la fourrure

Citation :

Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle.

Encore une adaptation théâtrale pour Polanski. Mais qui n'a vraiment rien à voir avec Carnage. À travers une audition, Polanski s'amuse à analyser les rapports de domination/soumission entre un metteur en scène et son interprète, entre hommes et femmes ... et vice et versa. Un rapport sado maso, évidemment, mais surtout un jeu, aussi pervers soit-il, et une mise en abyme vertigineuse, qui ne caresse jamais dans le sens du poil. La Vénus à la fourrure est aussi une sorte de film fantastique avec des tas de références démoniaques et des clins d'oeil à la propre filmographie du cinéaste. Vulgaire ou sophistiquée, Emmanuelle Seigner est ébouriffante. Amalric joue lui un clone de Polanski qui se moque allègrement de sa réputation sulfureuse. Ludique et féroce, La Vénus à la fourrure, à partir d'un schéma minimaliste de huis-clos, offre des lectures multiples et un plaisir immédiat à partir de dialogues ciselées et d'une mise en scène précise et inspirée.

Je suis nettement moins enthousiaste que Traversay au sujet de La Vénus à la fourrure. C'est très bien fait, les acteurs sont excellents, mais quelque part j'ai eu le sentiment d'assister à un brillant exercice de style et rien de plus. Avec un sentiment de vacuité à la sortie. Bien sûr on ne s'ennuie pas pendant le film, mais je n'en ai pas réellement senti la nécessité. Un film de plus aurais envie de dire.

Arabella a écrit:

Je suis nettement moins enthousiaste que Traversay au sujet de La Vénus à la fourrure. C'est très bien fait, les acteurs sont excellents, mais quelque part j'ai eu le sentiment d'assister à un brillant exercice de style et rien de plus. Avec un sentiment de vacuité à la sortie. Bien sûr on ne s'ennuie pas pendant le film, mais je n'en ai pas réellement senti la nécessité. Un film de plus aurais envie de dire.

Et tel était mon préjugé...

Ben personnellement je l'ai trouvé très, très brillant ce film, très malin aussi...j'ai adoré la mise en abyme, le huis clos qui fonctionne très bien, toutes les réflexions sur le jeu d'acteur. Non, vraiment, c'est un très bon film

C'est vrai que c'est globalement un bon film.
Emmanuelle Seignier est épatante !

Les transitions de la répétition à la "réalité" (quand est-ce qu'une phrase prononcée est celle de la "pièce", et quand est-ce que c'est dans le cadre d'une discussion "normale") sont souvent bien faits.

Après, il y a une certaine artificialité, surtout à la fin, pas très bonne. Je ne sais pas ce que Polanski a modifié de la pièce de David Ives. Mais on sent qu'ils n'ont pas su comment finir de façon censée.
La fin est totalement tirée par les cheveux, ce qui fait que le film est "ludique", alors qu'il aurait pu être mieux que ça.
Mais la façon dont les passages du livre de Masoch ont été adaptés est vraiment habile, le petit jeu entre Seignier et Amalric, tout ça est très agréable à suivre, et souvent très drôle.

On pourrait presque croire à un début de mode des films à effectifs réduits : Gravity, La Vénus à la fourrure... Et, à chaque fois, on suit volontiers le film pendant 1h30, parce qu'il y a de vrais réalisateurs aux manettes (et, ici, deux bons acteurs)

 Le filme ne sort que le 21 à Berlin et j'ai hâte de le voir car j'ai vu la pièce de David Ives au théâtre le mois dernier et l'ai lue par la suite. On verra alors si je peux te répondre, eXPie.

eXPie a écrit:

C'est vrai que c'est globalement un bon film.
Emmanuelle Seignier est épatante !

Les transitions de la répétition à la "réalité" (quand est-ce qu'une phrase prononcée est celle de la "pièce", et quand est-ce que c'est dans le cadre d'une discussion "normale") sont souvent bien faits.

Après, il y a une certaine artificialité, surtout à la fin, pas très bonne. Je ne sais pas ce que Polanski a modifié de la pièce de David Ives. Mais on sent qu'ils n'ont pas su comment finir de façon censée.
La fin est totalement tirée par les cheveux, ce qui fait que le film est "ludique", alors qu'il aurait pu être mieux que ça.
Mais la façon dont les passages du livre de Masoch ont été adaptés est vraiment habile, le petit jeu entre Seignier et Amalric, tout ça est très agréable à suivre, et souvent très drôle.

On pourrait presque croire à un début de mode des films à effectifs réduits : Gravity, La Vénus à la fourrure... Et, à chaque fois, on suit volontiers le film pendant 1h30, parce qu'il y a de vrais réalisateurs aux manettes (et, ici, deux bons acteurs)

Oui. C'est bourré de références à d'autres films de Polanski. Il y a peu de réalisateurs capable d'animer de cette façon un huis-clos à deux personnages. Et ce n'est pas seulement le texte, c'est aussi la direction d'acteurs et la mise en scène.

La vénus à la fourrure


J'ai vu La Vénus à la fourrure comme un film de sortilèges qui montrerait la contamination du réel par la fiction. Un vrai film fantastique où, comme chez Doillon et Rohmer dans un autre registre, on démarre dans l'artifice le plus total (sorte de fausse réalité où tout sonne faux, où les acteurs semblent réciter leur texte et jouer mal alors qu'ils sont sensés être "vrais") et progressivement on atteint une sorte de vérité vertigineuse alors même que la fiction, l'imaginaire, la littérature, le jeu théâtral en deviennent la matière même.

Plus on va vers l'artifice et plus on est pris dans un abîme de confusion des identités, des genres, du masochisme et du sadisme qui ne font qu'un. Wanda et Novachek échangeant leurs identités comme les deux  faces d'une même entité. Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric sont géniaux dans ces moments où ils basculent d'un personnage à un autre, entrent et sortent de la réalité, et finissent par s'y perdre. Sauf que Wanda reste maîtresse du jeu jusqu'au bout et Novachek se retrouve au pilori, travesti, humilié mais dans la jouissance d'avoir atteint ce paroxysme qui le fait devenir Wanda elle-même.

Cette maîtrise de la mise en scène est impressionnante dans l'utilisation de l'espace, de l'atmosphère (d'accord avec Traversay pour le côté satanique), de la direction d'acteurs. Les réminiscences de ses films antérieurs (comme Le Locataire essentiellement) nourrissent ce récit d'une mise en abîme supplémentaire qui serait celle de Polanski investissant la pièce de théâtre elle-même autour du texte de Sacher-Masoch. Le cinéma de Polanski a toujours été hanté par la paranoïa, la manipulation mentale, le sentiment d'absurde et l'exclusion. Ce n'est pas pour rien qu'il avait donné la palme d'or à Barton Fink il y a quelques années et que Le Locataire est son chef d'oeuvre.


Le Locataire

La limite du film est peut-être dans le texte de la pièce qu'il adapte. Une lecture trop didactique du livre de Sacher Masoch. Sorte d'explication de texte qui éclaire le symbolisme, les références de l'oeuvre de manière succincte. Mais c'est un prétexte à ce spectacle de simulacres qui me semble davantage qu'un exercice de style. La nécessité réside peut-être dans ce qu'il montre de la magie du jeu d'acteur et de la porosité entre la vie réelle, l'art et le monde du spectacle comme révélateur de la condition humaine, des fantasmes. Il y a aussi une fascination pour le corps de la femme et un questionnement autour du mystère de l(a)' (in)différence des sexes.  Et également aussi une ironie grinçante (autobiographique?) autour du pouvoir de manipulation et d'envoûtement de la femme. En tout cas je le vois comme ça.

J'ai pris du plaisir mais je me suis aussi parfois détaché de l'écran par moments. Je me suis assoupi un peu (encore!). J'ai beaucoup aimé la fin qui nous laisse en pleine dimension mystique, mythologique et fantastique.

Marko a écrit:

J'ai pris du plaisir mais je me suis aussi parfois détaché de l'écran par moments. Je me suis assoupi un peu (encore!). J'ai beaucoup aimé la fin qui nous laisse en pleine dimension mystique, mythologique et fantastique.

Ah oui, tiens... Moi c'est la fin qui m'a un peu gêné. Peut-être mon côté rationnel... qui est Wanda exactement ? Il y a plein de possibilités, ça n'est pas le but de la pièce de déterminer vraiment, et c'est sans doute mieux comme ça, mais j'avais trouvé la toute fin un peu facile : on s'y attendait un peu... En fait, il n'y a que le metteur en scène Amalric qui ne l'a pas vu venir... Est-ce profond, est-ce que ça veut dire que le metteur en scène croit comprendre le texte - il fait, comme tu le dis, une sorte d'explication de texte - mais qu'il ne comprend pas la "vraie vie"... seulement, Wanda est un personnage qui n'existe pas, c'est plus un concept qu'un vrai personnage...
Je vois donc la toute fin plus comme une pirouette qu'autre chose (l'auteur s'étant demandé comment il pourrait finir). A tort, peut-être...

L'article de Wikipédia est instructif: Le masochisme de Sacher Masoch

-La Vénus à la fourrure-

Ta vision est intéressante Marko, j'ai aussi été frappée par le jeu excessivement faux d'Emmanuelle Seigner qui se métamorphose et devient réellement excellente lorsqu'elle endosse son rôle. Il y a cette mise en abyme et cette inter-action réel/ imaginaire, brillamment analysée et mise en scène. J'ai adoré les dialogues, l'incessant va et vient entre les deux d' où la fiction finit par prendre le dessus et la réalité se perdre. Et j'ai aimé l'humour, la malice de l'ensemble!

Marko a écrit:

Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric sont géniaux dans ces moments où ils basculent d'un personnage à un autre, entrent et sortent de la réalité, et finissent par s'y perdre. Sauf que Wanda reste maîtresse du jeu jusqu'au bout et Novachek se retrouve au pilori, travesti, humilié mais dans la jouissance d'avoir atteint ce paroxysme qui le fait devenir Wanda elle-même.

J'en parlais avec une copine puis avec Speedy, qui eux ne le voyaient pas ainsi. Pour moi c'est exactement cela, il finit par être pris au piège de son fantasme, prisonnier et sans autre possibilité de s'en sortir, même s'il le vit vraiment. C'est elle qui domine (puisqu'elle voit ça comme une vengeance)  Pour eux par contre, il ne sent sent pas humilié puisqu'il souhaiter le devenir. Il est donc arrivé à son paroxysme de jouissance (Ben oui, mais après...)

La toute fin apparaît comme un rêve, ce qui justifie le fait qu'elle soit tirée par les cheveux, comme le dit Expie. On voit d'ailleurs Wanda se revêtir de vraies ailes. Mais je pense que ma vision d'un Novachek victime de son propre jeu se rapproche de celle d'Expie car tout bêtement j'ai du mal avec la soumission à ce stade, même fantasmée.

Ce qui est certain, c'est que Polanski s'est beaucoup amusé à tourner ce film, il y révèle surement une part de ses démons et cette fascination qu'il a sur les rapports de domination/ soumission qui peuvent exister dans un couple, ou entre homme et femme. Impressionnée par le jeu d'acteur d'Amalric (sosie hallucinant de Polanski) et par celui d'Emmanuelle Seigner en Wanda. Du très bon cinéma pour moi, en tout cas. Et sans réserves, ou à peine!

La reconstitution des événements historiques est glaçante. Polanski se concentre sur la vie à l'extérieur des camps de la mort, à Varsovie, et évoque certains faits relativement peu traités dans les autres films sur la seconde guerre mondiale (la police juive par exemple). Adrien Brody se décompose au fil des mois puis des années... En voyant son délabrement physique et mental, on se demander s'il sera encore capable de jouer du piano un jour... On tremble avec lui à chaque perte, à chaque fois qu'on lui arrache quelque chose de plus, tout au long de cette escalade de haine, de violence et de peur. La peur est une constituante essentielle de cette période de notre histoire et ici, elle est palpable. Le Pianiste manque malgré tout d'un petit quelque chose pour atteindre les sommets mais je garderai en mémoire une scène grandiose qui rappelle à quel point l'art peut être d'une importance salvatrice dans un monde en ruines.

Poland is no longer alone.

Et quelle est cette scène qui t'a particulièrement marquée ?
Je n'ai plus beaucoup de souvenir de ce Pianiste...